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Moussa m'a raconté, à ce sujet, que, quand le repas quotidien avait fait défaut, il fesait néanmoins allumer le feu de ménage, comme à l'ordinaire, afin, disait-il, que les voisins voyant la fumée, s'imaginassent que nous soupions et n'eussent pas à souffrir de la pensée de nos privations.

Cette même année, Moussa alla chez les Mozabites: en entrant dans Gardaïa, il portait sur ses épaules un morceau de carcasse de bête de somme dont il avait rencontré la charogne sur la route, et il allait criant par les rues les louanges de Dieu. Les habitants, indignés de cette action insultante, se bornèrent pourtant à lancer après ses trousses les enfants de la ville qui le chassèrent à coups de pierres.

Rentré à Laghouat, il fit si bien qu'il s'aliéna aussi l'esprit des gens de cette oasis.

En 1249 (1833-34), il se rencontra à Blida avec El-Hadj-elSerir-ben-Sid-'Ali-ben-Embarak, avec El-Berkani et Ben-Sidiel-Kebir-ben-Youcef qui l'engagèrent à soulever les Arabes du Sahara, afin de grossir les rangs de ceux qui combattaient pour la guerre sainte. Le sultan Abd-el-Kader, alors fort occupé d'établir son autorité du côté de Tlemcen, n'avait pas encore songé aux régions de l'Est.

Moussa me fit part des propositions qu'on lui avait faites ; j'essayai de le détourner de cette voie dangereuse, en lui fesant envisager l'extrême puissance des Français. Tout fut inutile: au commencement du printemps, il vint avec les contingents du Sahara, les populations des Ksour, les tribus du Tel central auxquelles se joignirent celles qui entourent Médéa. Tous prirent d'une voix unanime l'engagement de s'emparer d'Alger.

Moussa vint camper près de Médéa dans un endroit appelé Bsal (?). J'allai à sa rencontre avec les Oulėmas de la ville pour l'engager à ne point passer outre, lui objectant que la multitude qu'il traînait après lui allait manger toute la contrée. A cela, il répondit en nous proposant de nous joindre à lui, ce que nous refusåmes. Il n'y eut pas moyen de s'entendre.

Médéa n'avait pas même alors une porte solide et ne possédait qu'un vieux canon tout usé. Cependant, quand nous retournâmes en ville et que nous annonçâmes aux coulouglis et aux citadins que Moussa voulait entrer de vive force, on fit une sortie et on se battit dans les jardins. Moussa parvint tout près de nos murailles; et le vieux canon que l'on tira alors, éclata du premier coup.

La population vit dans cet événement un miracle en faveur de Moussa, qui passa subitement pour le Mohdi, le Moula saa (1). (1) Espèces de Messies musulmans qui sont toujours attendus et dont chaque agitateur s'efforce de se donner les apparences, telles qu'elles sont indiquées dans les traditions. (Voir : RICHARD, Insurrection du Dahara.)

L'alarme fut générale et on passa la nuit sur le rempart, n'ayant pas de porte capable d'arrêter l'ennemi.

Au point du jour, les Arabes entourèrent Médéa. Dans ce moment critique, je sortis de la ville avec un des adoul et je trouvai Moussa monté sur un cheval bai. Je m'emparai vivement, mais d'un air amical, d'un chapelet qu'il tenait à la main, et je lui dis Je tiens un gage de paix entre toi et notre population : hier, tu as perdu huit hommes; de notre côté, nous avons eu sept victimes. La paix vaut mieux que tout cela. »

Bref, il consentit à un arrangement et entra dans l'oratoire extérieur (moussalla) pour vendre et acheter, lui et tout son monde; et il ne se fit aucun mal, de part ni d'autre.

Il envoya alors deux hommes à Miliana, à Hadj-es-Ser'ir pour annoncer son arrivée et lui donner rendez-vous à Blida. Ces envoyés furent dix jours sans reparaître, ce qui décida Moussa à pousser en avant. Il passa dans les jardins de Médéa la nuit qui devait précéder son départ et je l'y visitai avec seize oulémas; nous lui promimes d'aller le rejoindre à Blida.

Mais voici que sur ces entrefaites arrivent ses messagers qui lui apprennent qu'Abd-el-Kader venait de faire la paix avec les Français, et qu'à la tête d'un camp très-nombreux, il était dans la province, exigeant partout la reconnaissance de son autorité et que Hadj-es-Ser'ir était nommé son khalifa de l'Est.

Cette nouvelle changea les plans de Moussa qui se dirigea alors vers la montagne de Ouamri. Il était, du reste, en proie à l'irrésolution la plus complète : tantôt voulant combattre ce rival qui surgissait à l'improviste, tantôt se décidant à abandonner la partie.

L'Emir vint de son côté camper au pied de la montagne de Ouamri, à Amoura, en face de son ennemi. Il franchit le Chelif dans la matinée du lendemain ; et les deux partis commencèrent la lutte dans l'après-midi. Mais Abd-el-Kader avait du canon, et le bruit de cette artillerie épouvanta les contingents de Moussa, qui furent facilement mis en déroute. L'Emir lui tua 280 hommes, lui fit à peu près autant de prisonniers et enleva beaucoup de femmes. Quant à Moussa, il se sauva dans le Désert, pendant que l'Emir envoyait son harem à Miliana, ainsi que son fils Mohammed (1).

Pour moi, j'avais été dépouillé sur le champ de bataille; cependant à la faveur de la nuit, je pus échapper aux gens de Emir et gagner Cherchel, d'où je vins ensuite à Alger.

Abd-el-Kader, à ce que j'ai su depuis, alla à Médéa où il resta vingt jours. Il y nomma bey et son khalifa, El-Berkani; fit arrêter Bou-Chareb et Ben-Ramoul et les envoya en prison à Mascara, (1) Cette affaire eut lieu en avril 1835.

comme auteurs de troubles qui avaient agité Médéa. En effet, ces deux personnages avaient amené de Fez un certain El-Hadj-Moati et l'avaient installé gouverneur de Médéa; il y était resté à ce titre environ deux ans; mais, fatigués de ce gouverneur, les habitants avaient invoqué le secours d'Ahmed, bey de Constantine, qui l'avait chassé. C'étaient ces deux individus qui avaient fait venir Moussa (1).

Quant à ce dernier, il se tint depuis sa défaite aux environs de Laghouat. Il était en grande vénération parmi les populations du Désert, à cause de la rigueur avec laquelle il se conformait à la tradition religieuse (sonna). On se disputait dans la contrée, comme relique, les chachias qu'il avait cessé de porter, et il s'en est vendu jusqu'à cent donros (500 fr.) pièce.

Ses amis parvinrent à lui faire rendre sa femme et son fils qui étaient prisonniers à Miliana, depuis le combat d'Amoura. Il s'était d'ailleurs remarié et menait un train considérable au Ksar de Msad où il s'était fait construire une maison que le général de Ladmirault fit détruire dans une expédition du Sud.

Il a aussi habité Berrian (2), près du Mzab, et y a bâti une mosquée. Lorsque Bouzïan se souleva à Zaatcha, Moussa eut une apparition du Prophète qui lui ordonna de prendre les armes; il alla donc se mêler à la lutte contre les Français, au moment où elle était le plus ardente. Il put pénétrer dans la place et combattre pendant les vingt derniers jours de ce siège sanglant.

Au moment de l'assaut final, il partagea le sort de Bouzïan et mourut à ses côtés. Il avait alors 53 ans, et il s'en était écoulé vingt depuis sa première apparition à Laghouat.

Dieu nous dirige par les voies qui lui conviennent!

GORGUOS.

CHRONIQUE.

PROVINCE D'ORAN.

AÏN-TEMOUCHENT.

Cet ancien poste militaire, devenu un village par arrêté du 26 décembre 1851, est situé sur la route d'Oran à Tlemcen et occu

(1) A propos de ces gouverneurs, l'autorité française avait fait quelques représentations aux gens de Médéa. Ceux-ci répondirent par une lettre du 14 janvier 1832 que les chrétiens ne pouvant les administrer, ils cherchaient à s'en acquitter eux-mêmes; et que, depuis qu'ils ont choisi pour chef le cheikh Si Mohamed, leur ville jouit de la plus parfaite tranquillité. (2) Le texte arabe donne ce mot, mais il doit y avoir une erreur, car El-Hadj-Moussa n'aurait pas été admis dans une ville de Mozabites, après son aventure de Gardaïa.

pe l'emplacement d'une cité antique,

Timici, selon M. Mac Carthy. -On y a trouvé, à diverses reprises, des inscriptions et autres vestiges romains.

Dans une lettre, adressée au Président de la Société, le 20 février dernier, M. Raby Duvernay fait cette communication:

. En 1849, quand je fus chargé de faire le plan du futur village d'Aïn-Temouchent, je découvris, à un mètre de profondeur, » une imposte d'environ 2 mètres de largeur sur 90 centimètres de hauteur. Une des faces offrait deux compartiments de gran» deur inégale: le supérieur et le moins large représentait Cléo» påtre couchée sur un lit et pressant l'aspic sur son sein, tandis » qu'un esclave lui montrait la tête d'Antoine. Le triumvir était lui-même figuré en buste dans un médaillon placé au milieu du compartiment inférieur. Cette curieuse antiquité a été transportée au Château-Neuf d'Oran. J'ai trouvé, au même endroit, » un piedestal d'encadrement de porte dont la face extérieure ⚫ représentait le Bacchus indien à cheval sur un tigre. »

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Il résulte des renseignements pris à Oran, auprès de l'autorité supérieure, que le bas-relief de la mort de Cléopâtre était encore, à la date du 2 mars dernier, dans la cour d'entrée du ChâteauNeuf. Quant à celui où figurait le Bacchus, on n'a pas encore pu en retrouver la trace.

Il est regrettable qu'une ville de l'importance d'Oran n'ait pas un licu spécial pour recevoir et conserver les antiquités que l'on découvre dans la province.

En réunissant les documents épigraphiques et autres objets romains trouvés à Arbal, Aïn-Temouchent, etc., on pourrait cependant composer déjà un noyau de collection assez intéressante.

Il a été fait à Aïn-Temouchent d'autres découvertes archéologiques dont nous rendrons compte dans un article spécial.

LES DJEDAR DE LA HAUTE-Mina.

M. le commandant Bernard, correspondant de Tlemcen, donne les renseignements suivants sur trois édifices antiques que les Indigènes appellent DJEDAR et qui se trouvent vers les sources de la Mina:

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En lisant la relation des recherches archéologiques que vous dirigez au Kobeur-Rounïa, je me suis souvenu d'une reconnais»sance que je fis avec le général de la Moricière, à deux lieues de notre camp, en 1842, et à quelques lieues de Frenda, dans les Hauts plateaux. Un matin, nous nous sommes trouvés dans un » vallon entouré de monticules sur lesquels sont des monuments du genre de celui que vous explorez en ce moment. Il y en a de

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⚫ fort grands qui ont de 50 à 60 mètres de face, construits avec de grandes et belles pierres de taille très-bien travaillées et sur chacune desquelles il y a des caractères presque semblables à ⚫ ceux que vous signalez sur les pierres du Tombeau de la Chrétienne (1). Ces mêmes caractères se trouvent groupés en quelques endroits de ces monuments dans des cartouches entourés ⚫ de doubles filets. Ils paraissent alors former des inscriptions ⚫ commémoratives.

Je suis monté sur l'un de ces édifices, et j'ai trouvé une entrée formée de deux chambranles en pierres de taille, couronnés » d'un linteau monolithe; l'envoûtement à gradins et l'escalier lui-même sont bátis également avec des matériaux de grand appareil.

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Nous n'avons pu descendre que cinq marches, n'ayant aucun ‣ outil pour écarter les obstacles qui nous empêchèrent d'aller plus loin. J'ai retrouvé les dessins de ces édifices ainsi que » l'itinéraire que j'avais suivi pour y arriver.

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Le nom de Djedar donné par les Arabes à ces monuments, qui, -dit-on, sont au nombre de trois, n'a rien de spécial: les Indigènes l'appliquaient jadis à toutes les villes romaines ruinées; il ne signifie pas autre chose, dans leur langue, qu'un lieu entouré de murs.

L'intéressante communication de M. le commandant Bernard appelle un complément qu'il est, du reste, en mesure de nous donner, comme on le voit par la fin de sa lettre.

A la séance où ces détails ont été lus, M. le baron de Slanc a rappelé deux passages de sa Traduction d'Ebn-Khaldoun qui paraissent se rapporter aux Djedar de la Haute-Mina (V. t. 1, p. 234 et t. 1, p. 539). Il est dit que le calife fatémite El-Mansour étant à la poursuite des Louata qui avaient participé à la révolte d'Ebn-Yesel, seigneur de Tibaret, se trouva un jour en face de monuments anciens auprès des châteaux qui s'élèvent sur les Trois-Montagnes.

Ces monuments étaient en pierres de taille, et, vus de loin, ils présentaient l'aspect de tombeaux en dos d'âne, dit EbnKhaldoun. Sur une pierre, il y avait une inscription dont on donna au sultan la traduction suivante :

« Je suis Soliman, le serdeghos (Strategos?) Les habitants de » cette ville s'étant révoltés, le Roi m'envoya contre eux; ct . Dieu m'ayant permis de les vaincre, j'ai fait élever ce monument pour perpétuer mon souvenir..

Il est à remarquer que le calife vit ces monuments dans le pays

(1) La typographie locale n'a pas les moyens de reproduire ces caractères dont M. le commandant Bernard donne un fac simile. Mais ce sont des lettres romaines liées, ou surchargées d'appendices qui permettent de varier les signes d'appareillage.

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