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derrière le revêtement actuel ne seraient-ils pas aussi des signes d'appareillage, tracés par des ouvriers indigènes, longtemps peutêtre avant l'apparition des Romains sur le sol de la Mauritanie? Ces observations n'ayant été recueillies et rapprochées que vers la fin de la deuxième exploration, le temps m'a manqué pour étudier suffisamment cette question intéressante. Mais, si je dois m'abstenir de rien affirmer à ce sujet jusqu'à plus ample informé, je ne pouvais me dispenser d'en dire quelque chose dans cette notice. Je rappellerai, en terminant, que j'avais cru jusqu'ici, d'après un travail de restauration fait, il y a quelques années, par M. Cazaban, conducteur des Ponts-et-Chaussées, que la base du Tombeau de la Chrétienne était octogone; mais nos travaux de déblai devant la fausse porte du Nord ont fort ébranlé cette croyance. Les colonnes qui flanquent cette fausse porte n'en sont pas détachées, comme M.Cazaban l'avait présumé, elles touchent immédiatement le chambranle. Cette circonstance, qui prouve un entre-colonnement plns étroil, suppose aussi plus de huit faces. Je ne suis pas éloigné de penser qu'il pouvait y en avoir douze. C'est, au reste, un problème qui sera résolu à la reprise des travaux, dès que nous aurons pu exécuter des déblais jusque vers l'angle Nord-Est.

Les travaux très-secondaires entrepris à Dar-ed-Delam, emplacement du bivac, à 800 mètres environ au N. E. du tombeau, ont eu les résultats suivants :

On a déblayé la tour octogone dont les fondations prennent la forme circulaire; on a trouvé, en enlevant les terres, des moulins à bras antiques différant très-peu de ceux dont les femmes arabes font usage anjourd'hui, une petite auge en pierre et un vase de même matière dont l'orifice a une forme triangulaire.

La construction romaine qui donne son nom à la localité, Dar-ed-Delam, ou maison de l'obscurité, a été déblasée égale'ment. C'est une belle citerne, à margelle en pierre taillée inscrite dans le sol très solidement bétonné d'une cour antique; celle-ci est entourée de murailles aujourd'hui rasées presqu'au niveau du terrain. Il a fallu nos travaux dans cette citerne pour engager des gens de Chenoua à s'y hasarder à leur tour, car ce lieu leur inspirait jadis une assez grande terreur.

On a déblayé aussi une des petites citernes situées à la pointe Ouest du mamelon Dar-ed-Delam. Leur plan trace une ellipse et la paroi intérieure est recouverte d'un enduit hydraulique trèsbien fait et parfaitement conservé.

La proximité de ces ruines par rapport au Tombeau de la Chrétienne, la forme octogone de la tour qu'on y remarque, forme assi

gnée jusqu'ici au Kobeur Roumia, et surtout le désir d'utiliser les hommes les plus faibles, m'avaient fait entreprendre ce travail dans un établissement antique qui pouvait avoir quelque rapport avec l'édifice qui s'élève non loin de là. Ce pouvait être, par exemple, le lieu où se tenaient les gardiens. Mais rien n'a confirmé celte dernière conjecture, et tout porte à croire que c'était seulement une station sur le chemin qui passe par les crêtes du Sahel. Après avoir lu cette notice, on pensera, sans doute, qu'il reste encore beaucoup à faire pour obtenir la solution complète des divers problêmes indiqués au commencement de ce travail. Mais, on jugera peut-être aussi, qu'en une quinzaine de jours et eu égard aux grandes difficultés de l'entreprise, les résultats obtenus ne sont pas sans quelque valeur.

Je saisirai, du reste, toutes les occasions qui pourront se présenter de reprendre cet intéressant travail; la besogne est maintenant assez avancée pour qu'on puisse espérer d'avoir bientôt le mot de cette énigme archéologique.

Les vues photographiques qui accompagnaient cette deuxième notice sont l'œuvre de M. Greene, ainsi que celles de la première exploration. Je saisis cette occasion de lui en témoigner une vive reconnaissance, au nom de tous les amis de l'art; son œuvre, importante pièce à l'appui, conservera l'état primitif du monument et indiquera toutes les phases du travail.

Un autre photographe distingué, M. Moulin, de Paris, a pris plusieurs vues pendant ma deuxième exploration. Faites par le procédé du collodion, elles ont l'avantage de pouvoir reproduire la nature vivante. Ainsi, l'une d'elles représente la face Nord dans le moment où les zouaves sont au travail; chaque personnage est un portrait parfaitement reconnaissable. On peut ainsi, par comparaison avec les travailleurs disséminés sur le monument, apprécier la masse imposante du Tombeau de la Chrétienne.

Ces photographies, rassemblées au nombre de vingt dans un album accompagné d'une notice manuscrite sur les travaux, sont déposées à la Biliothèque d'Alger et mises à la disposition des personnes qui voudraient avoir une idée exacte du Kobeur Roumia avant et après mes deux explorations.

A. BERBRUGGER.

De l'esclavage musulman en France.

On a beaucoup parlé de la condition des esclaves chrétiens en Berbérie, mais on s'est peu occupé de celle des captifs musulmans.

en France. C'était cependant un revers de médaille qu'il ait utile d'étudier. A ma connaissance, un seul auteur, M. Eugène Sue, a entrepris d'en donner une idée dans le paragraphe suivant, qui est relatif à la partie musulmane des chiourmes, sur. les galères françaises, vers l'an 1660:

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« Mais une fraction tout à part et toute différente de ces galé⚫riens était composée d'esclaves tunisiens, algériens, turcs ou maures, qui provenaient des prises, des descentes et surtout des achats fails sur les côtes de la Méditerranée. Généralement, on » lisait sur les visages mornes de ces ACHETÉS, victimes de cette singulière traite des blancs, une expression de tristesse sauvage et concentrée ou d'abattement stupide. Silencieux et im⚫ passibles, ils auraient paru vivre d'une existence toute machinale, n'eussent été de temps à autre un tressaillement plutôt de rage désespérée que de douleur, lorsque le bâton de l'argousin sillonnait leur dos nu, ou une larme furtive, lorsque "le hasard de la navigation les amenait devant ces terres afri» caines, ces déserts sans fin, leur terre promise à eux, où ils » avaient vécu joyeux et libres sous leurs toits de palmier ou sous la tente, partageant le maïs avec leur cheval favori, et, le soir, fumant leur longue pipe en rêvant, les yeux fixés sur la voûte profonde et étoilée de leur ciel d'Orient. (V. Jean Bart et Louis XIV, p. 88.)

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On verra bientôt si, en écrivant cette appréciation historique, M. Eugène Sue n'a pas cédé un peu à ses instincts de romancier.

Il est certain que les Barbaresques nous faisaient beaucoup de prisonniers et que nous ne leur en prenions guère, car on voit, par la correspondance administrative sous Louis XIV, que, sur di vers points, mais principalement à Malte, des agents de la France avaient mission d'acheter ceux qui étaient faits par les galères des chevaliers de Malte ou des autres nations en guerre avec Tripoli, Tunis, Alger et le Maroc.

En 1662, le chevalier de Goût demande des instructions pour acheter des Turcs à Malte, en vue d'une prochaine entreprise. (V. Correspondance administrative sous Louis XIV, t. 1, p. 888.) Il s'agissait alors de l'expédition que le duc de Beaufort devait diriger deux ans plus tard contre Djidjel ou Gigeli, avec un si misérable succès.

Le chevalier de Piencourt écrivait de Malte au ministre Co!bert, en 1675: « Il y a quelque temps que je n'ai aucune nou⚫velle des corsaires (de Malie). J'ai envoyé 20 ou 25 Turcs depuis deux mois. Il m'en reste encore quelques-uns que j'enverrai à la première occasion. J'ai fait peu d'achats depuis quelque temps, les corsaires ayant fait peu de prises.» (V. Ibidem, l. 11, p. 910.)

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Il est question, à la même page, d'un projet d'instructions au

sieur Merchant, qui se charge d'aller acheter des Turcs à la suite de l'armée vénitienne, pour le compte du gouvernement français. Comme ce commerce était, à ce qu'il paraît, assez lucratif, des particuliers français achetaient aussi de ces Turcs qu'ils revendaient pour nos galères avec d'assez gros bénéfices. C'est ce qui détermina le marquis de Seignelay à envoyer à Cotolendi, consul à Livourne, l'ordonnance que celui-ci avait demandée, afin de couper court à cette spéculation et de pouvoir acheter à bon marché les Turcs destinés à recruter les chiourmes de nos galères royales. Malgré tous ces soins et ces précautions, le recrutement devenait de plus en plus difficile; et, le 1er mai 1656, le général des galères de France, de Vivonne, écrivait au ministre Colbert:

Je vous ai mandé ci-devant la pensée que j'avais d'avoir ⚫ des Mores de Guinée et la faculté d'en avoir de Portugal et tout » à la fois le nombre dont on aurait besoin: ce qui serait très› avantageux pour le service du Roi, à cause que la chiourme ferait son novicial tout ensemble et qu'elle serait bonne la ⚫ seconde année. (V. Ibidem, p. 932.)

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Cette ingénieuse combinaison que le général de nos galères semble avoir empruntée à Moula-Ismaïl, l'empereur du Maroc qui créa la garde noire, ne parait pas avoir eu de suites.

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Les Turcs barbaresques pris ou achetés par la France étaient quelquefois employés chez des particuliers. Ainsi, en 1695, le comte de Pontchartrain écrivait à un sieur de Manse: « Le turc qui venait chez vous s'étant évadé, c'est à vous de le payer, puisqu'il a été perdu en vous servant et que vous avez dù en répondre ou ne pas vous en charger, si vous n'éliez pas sûr de sa fidélité. » (Ibidem, p. 953.)

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Mais voici un emploi des captifs dont on ne trouve aucune trace dans les annales barbaresques. Il est signalé par une lettre que Colbert écrit, en 1666, au procureur-général de Harlay et où il lui expose que le nommé Saint-Pair, condamné le 21 juillet 1665 par le Parlement à cinq ans de galères, a obtenu, par lettre de cachet du 12 décembre suivant, signifiée à M. de Vivonne et à l'intendant des galères, de pouvoir recouvrer sa liberté en mettant un Turc à sa place. Ce qui a été exécuté, ajoute le document officiel. (V. Ibidem, p. 932.)

Il était fort heureux pour le Turc remplaçant que le sieur de Saint-Pair n'eût pas été condamné à mort !

Il ne parait pas du tout que les Turcs captifs, retranchés dans un isolement farouche, fissent tout-à-fait bande à part dans nos chiourmes, comme le prétend M. Eugène Sue: ils prenaient, au contraire, assez bien les habitudes, surtout les mauvaises, de nos forçats nationaux. Une lettre du 30 octobre 1663 dit : Il nous

⚫ est mort un Turc (dans les galères) à force de boire de "cau» de-vie.» (Ibidem, p. 886.)

Et ce n'était pas un fait isolé, témoin ce passage d'une autre lettre de la même année : « Nos malheureux forçats vendent leurs. ⚫ chemises et habits pour ivrogner. J'en ai fait châtier en ma pré⚫sence quatre ou cinq; mais comme les coups de gourdin et de latte ne sont que chatouillements pour eux, je leur ai promis de leur faire couper, le nez aux chrétiens, et les oreilles aux ■ Turcs. » (Ibidem, p. 919.)

Il eût été facile de multiplier les citations sur ce sujet; mais ce qu'on vient de lire suffit pour convaincre toute personne qui a étudié avec impartialité l'esclavage ici et en France, que le sort des captifs n'était pas beaucoup meilleur d'un côté que de l'autre, Je dirai même, tout en sachant bien que l'on criera au paradoxe, - qu'il valait mieux être esclave ici que là-bas tous les captifs musulmans, sauf de bien rares exceptions, ramaient dans nos galères, ce qui était tout aussi pénible d'un bord de la Méditerranée que de l'autre ; mais, ici, un très-grand nombre de chrétiens étaient employés chez des particuliers où ils étaient en général assez bien traités. Ceux qui servaient chez les grands personnages l'étaient mieux encore, et l'histoire du pays atteste que beaucoup d'entre eux y acquéraient une grande influence et une position assez belle pour ne plus désirer de retourner dans leur patrie.

Au reste, le lecteur désireux d'approfondir ce sujet qui a donné lieu à tant d'exagération, faute d'avoir tenu compte de la différence des époques, doit étudier avec soin la Relation de la captivité d'Aranda, l'ouvrage le plus complet et le plus impartial sur la matière.

BERBRUGGER.

El-Hadj-Moussa, ou l'Homme à l'Anc

ET L'ÉMIR ABD-EL-KADER, EN 1835.

Les documents européens abondent sur la guerre que nous soutenons ici depuis 1830, mais les matériaux arabes sont d'une rareté extrême. Aussi, tandis que nous apercevons très-clairement tout ce qui s'est passé dans le camp français, nous n'entrevoyons que d'une manière fort confuse ce qui se faisait dans ces temps de lutte sous les tentes arabes, Le récit ne peut cependant être complet et prendre ses véritables couleurs que lorsque ce double aspect scra bien connu. La lacune signalée est surtout regrettable, quand il s'agit d'événements qui se sont passés entre indigènes et dont nos relations, officielles ou autres, ne parlent qu'en termes fort laco

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