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haule importance, cependant, pour l'histoire de l'architecture.

L'état des crédits et certaines considérations toutes de circonslance ne permirent pas de donner suite à ce projet ; et le vœu formulé par les deux savants académiciens ne serait pas encore exaucé, sans la sollicitude éclairée de M. le Maréchal comte Randon pour nos monuments et nos études historiques.

A la suite de mon inspection de 1855, je présentai à M. le Gouverneur-Général un projet d'exploration du Tombeau de la Chrétienne, qu'il voulut bien approuver et pour lequel il me fournit des moyens d'exécution.

J'ai profité des congés de Noël 1855 et de Pâques 1856, pour ébaucher cette œuvre très-difficile et fort pénible: c'est-à-dire que, dans les deux explorations faites jusqu'ici, il n'y a pas eu plus de quinze jours de travail effectif, en déduisant le temps nécessaire pour aller et venir et les interruptions causées par les pluies. La dépense totale a été de 500 francs.

Le Moniteur algérien du 20 janvier 1856 a inséré un extrait de mon rapport à M. le Maréchal-Gouverneur, sur cette première exploration, et cc document a été reproduit, quelques jours après, par l'Akhbar, dégagé de quelques incorrections qui s'étaient glissées dans la feuille officielle.

J'ai rendu compte à M. le Gouverneur-Général des travaux de la deuxième exploration, peu de temps après mon retour, dans le rapport qu'on va lire et dont j'ai voulu réserver la publication pour notre Revue africaine.

Voici l'extrait de ce rapport.

DEUXIÈME EXPLORATION (en mars et avril 1856).

Je suis arrivé le 23 mars, dimanche de Pâques, avec le personnel et le matériel mis à ma disposition par M. le GouverneurGénéral, pour reprendre les travaux commencés le 19 décembre 1855 et interrompus le 5 janvier suivant.

L'exploration a duré du 24 mars au 5 avril inclusivement; mais en déduisant les interruptions causées par la pluie, il n'y a eu que huit journées de travail effectif. Parmi les cinquante zouaves mis à ma disposition, se trouvaient beaucoup de recrues et de convalescents que j'ai dù employer ailleurs qu'au Tombeau de la Chrétienne où il fallait des hommes vigoureux et habiles. Je les ai utilisés, autant que j'ai pu, à Dar-ed-Delam, lieu de notre bi

vac, les recherches dans ces ruines romaines n'exigeant que quelques mouvements de terre assez faciles. Mais ce n'était là qu'un travail très-secondaire et tout-à-fait indépendant du but principal. Celui-ci embrassait trois objets: la recherche de l'entrée du monument, celle de sa véritable forme architecturale, et celle de la date approximative de sa construction.

Tout en poursuivant ces points essentiels de l'exploration, j'ai fait exécuter quelques travaux accessoires. Ainsi, j'ai fait dégager la partie supérieure de la fausse porte du Sud, dont le chambranle est mieux conservé que celui des autres faces. J'ai fait déblayer le trou qui se trouve au sommet du monument et que les Arabes appellent menfous ou soupirail. Ils prétendent que c'est une des entrées; et comme plusieurs européens partagent leur opinion, j'ai tenu à éclaircir le fait. Mais je n'ai pas tardé à reconnaître que cette ouverture est le résultat d'une des nombreuses tentatives qui ont été faites pour pénétrer dans l'édifice sa forme n'est pas régulière comme elle devrait l'être, si elle appartenait au plan primitif. Les parois, grossièrement taillées, accusent l'emploi des instruments barbares avec lesquels les Indigènes ont procédé à leur entreprise, qu'ils n'ont pas, du reste, tardé à abandonner. Car, après avoir fait enlever de la terre et quelques éclats de pierres qui garnissaient le fond du trou, je n'ai pas tardé à retrouver le noyau du monument.

Plusieurs hommes ont été employés aussi à tirer de dessous les pierres qui les masquaient des membres d'architecture, arrachés de leur place lors de la destruction du revêtement.

C'est ainsi que j'ai pu constater que le chapiteau ionien employé dans cette construction n'avait pas constamment la même forme et présentait jusqu'ici, du moins deux variétés qui seront décrites plus loin.

J'arrive maintenant à l'énumération des résultats obtenus à chacun des chantiers principaux.

RECHERCHE DE l'entrée.

Les pluies nous ont fait perdre la moitié du temps que nous pouvions employer à ce travail; autrement nous saurions dès aujourd'hui si l'entrée est de ce côté, comme les probabilités l'indiquent, ou s'il faut la chercher sur un autre point. Mais si nous n'avons pas encore pu obtenir à cet égard une solution affirmative ni une conviction négative, nous nous sommes beaucoup rapprochés du but, car les travailleurs ont déplacé sur ce point une masse de pierres écroulées représentant une pyramide tronquée, haute de 6 mètres, large de 20 mètres à la base, de 10 mètres au sommet et épaisse de 10 mètres environ. La difficulté de cette be

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sogne a été augmentée, comme la première fois, par la grande quantité d'arbres séculaires, dont il a fallu arracher très-péniblement les racines.

Le résultat final a été de nous rapprocher beaucoup de l'axe du monument, par un simple déblai et sans avoir à enlever une seule des pierres qui se trouvaient à leur place primitive. Car, le rayon du monument étant à peu près de 30 m., nous avons pénétré de 14 mètres, en marchant de la circonférence vers l'axe. Or, en tenant compte de la place occupée par la chambre sépulcrale, il est évident que la distance qui nous en sépare est désormais très-peu considérable; de sorte que, tout autre moyen de recherches étant épuisé, on a la certitude d'y arriver en ouvrant une petite galerie longue d'une dizaine de mètres au plus. Mais, je le répète, c'est un moyen auquel il ne faudra recourir qu'à la dernière extrêmité et qu'il n'y aura probablement pas lieu d'employer.

Le déblai opéré au grand éboulement sur la façade de l'Est a permis d'étudier facilement la structure de l'édifice: aussi loin qu'on a pu pénétrer, on a toujours rencontré les mêmes assises hautes de 58 c. Les pierres sont simplement juxtaposées sans aucun emploi de mortier; mais pour éviter les porte-à-faux on a coulé entre elles de la terre ou du sable, on y a même quelquefois placé de petites cales, quand l'intervalle était trop grand.

Il y a entre les assises du noyau et celles du revètement des différences très-remarquables: ces deux dernières n'ont que 50 cent. de hauteur et les pierres qui les composent se touchent exactement par leurs diverses faces. De plus, elles étaient très-solidement rattachées les unes aux autres par des scellements en queue d'aronde, où une tige de métal était encastrée dans un culot de plomb. J'ai rapporté pour le Musée un échantillon de ces culots qui avait échappé aux recherches des Indigènes.

RECHERCHE DE LA VÉRITABLE FORME DU MONUMENT.

Ici le hasard ne jouait aucun rôle; aussi, le succès a été aussi complet que possible, eu égard au temps consacré à ce travail et au nombre de bras qu'on pouvait employer.

On comprendra que les diflicultés matérielles ont dû être fort grandes, si on se rappelle que, pour arriver au pied du tombeau, il fallait opérer un déblai dans une masse de pierres écroulées, haute de 5 mètres en moyenne et épaisse de 30 mètres. Quelquesunes des pierres à déplacer avaient 2 mètres 85 cent. de longueur! Ce sont là, il faut l'avouer, des fouilles d'une nature toute exceptionnelle; aussi, les personnes qui nous ont vu au travail peuvent scules comprendre à quel prix il a fallu acheter les résultats obtenus. Pour s'en faire une idée, en ce qui concerne le chantier de

la face Nord, il faut comparer la vue no6 (1), qui indique l'état des lieux quand le travail a commencé, avec la vue no 10 qui indique à peu près le point où nous nous sommes arrêtés. Je dis à peu près, car il y a une fouille, en contre-bas de près d'un mètre, qu'on ne peut apercevoir dans cette épreuve photographique.

En somme, la fausse porte du Nord dont on ne voyait que le haut est aujourd'hui complètement découverte ; et ce monolithe, de 4 mètres sur 1 mètre 76, apparaît maintenant dans toute sa hauteur, avec une portion de son chambranle et la partie inférieure des colonnes qui le flanquaient. Ces colonnes, en place, reposent encore sur leurs bases qui s'appuient sur un soubassement à moulures.

Maintenant que nos travaux ont mis complètement sous les yeux de l'observateur, les principaux éléments de conviction, il est facile de reconnaître que si, en effet, le Kobeur Roumia est d'ordre Ionique, il présente des déviations de ce style, à quelque type qu'on le compare.

A la base des colonnes, au lieu d'un petit tore et d'un grand tore, il y a deux tores parfaitement égaux en épaisseur et en diamètre.

Le chapiteau n'est pas à oves. Celui des colonnes qui flanquaient les fausses portes est à palmettes et rappelle tout-à-fait le chapiteau ionien de l'Erechtheum d'Athènes, tel qu'il est indiqué par Stuart dans le tome 2o de son ouvrage. Celui des autres colonnes est à bandeau et assez semblable au chapiteau ionien trouvé ici dans les déblais de la grande mosquée des Malékites et qui figure à notre Musée sous le no 125.

La diminution des colonnes se fait aussi contrairement à la règle. Mais je dois réserver ce détail et quelques autres pour le travail de restauration auquel il manque encore quelques éléments.

En somme, jusqu'ici, les curieux qui visitaient le Tombeau de la Chrétienne n'avaient sous les yeux qu'un amas gigantesque de pierres taillées, les unes à leur place primitive et les autres entassées confusément autour de la base. Aujourd'hui, grâce aux travaux exécutés sous les auspices de M. le Maréchal comte Randon, la lumière commence à se faire dans ce chaos; l'aspect monumental se révèle à mesure que l'édifice se dégage des décombres qui l'obstruaient, et déjà l'on peut comprendre la construction bizarre, mais grandiose, qui servait de sépulture commune aux rois de Mauritanie.

On a vu, dans l'historique de la première exploration, que les pierres de revêtement portent des signes d'appareillage qui appartiennent toutes à l'alphabet latin. L'A à deux barres est celui qu'on (1) Des vues photographiques étaient jointes à ce rapport.

rencontre le plus fréquemment, ainsi que l'X divisé en deux par un montant. On trouve encore ces autres signes: ID, Z, F, II, LV, AL, F. Comme les Grecs et les Romains ont beaucoup de majuscules communes, on pourrait hésiter sur la nationalité de ceux qui ont tracé ces caractères, s'il ne s'en trouvait pas dans le nombre, l'L par exemple, qu'on ne peut attribuer qu'à l'alphabet latin.

En rapprochant cette circonstance des irrégularités architecturales du Tombeau de la Chrétienne, on se confirme dans la conviction que ce monument est bien l'œuvre de Juba II. C'est à son époque seulement, où des colonies romaines existaient sur le sol de la Mauritanie sous une domination berbère, qu'on peut appliquer cette construction romaine et pourtant étrangère au goût romain. Les colons italiens auront fourni la main-d'œuvre, et le plan leur a été imposé par Juba II, qui, peut-être, a voulu imiter quelque ancien édifice local qu'il avait sous les yeux ou qui aura subi l'influence des Grecs de Julia Cæsarea (1).

J'ai dit que les signes d'appareillage du revêtement étaient latins; mais, derrière ce revêtement, quelques pierres portent des signes bizarres que je ne puis rattacher à aucun alphabet à moi connu. Cette particularité m'amène à en signaler une autre qui n'est peut-être pas sans quelque relation avec elle.

Sur la vue photographique n° 1,on aperçoit à droite, au-dessus d'un arbre, une grande cymaise fouillée en dessous à la manière d'une mouchette de larmier. J'en ai observé deux semblables sur d'autres points et dans des rapports identiques avec les assises qu'elles dominent et celles qui sont au-dessus. Une de ces cymaises était surmontée de quatre assises dont la plus élevée avait un rebord saillant à la partie supérieure, sorte de corniche seulement ébauchée. Que des membres d'architecture soient employés comme matériaux dans des constructions plus récentes, c'est un fail assez commun, surtout dans ce pays; mais les retrouver en divers endroits, placés régulièrement à la même hauteur, dans les mêmes rapports, et de telle sorte qu'ils ont l'air d'être une portion d'entablement, ceci ne parait pas aussi facile à expliquer.

On se demande, involontairement, si l'on n'a pas sous les yeux les vestiges d'un monument antérieur à la construction faite par Juba II, et si celle-ci même ne consisterait pas uniquement dans l'application d'un revêtement avec colonnade sur un édifice plus ancien. Dans cette hypothèse, les caractères inconnus dont j'ai parlé plus haut et qui s'observent seulement sur des pierres placées

(1) L'épigraphic locale prouve qu'il y avait beaucoup de gens de cette nation à Julia Cæsarea sous Juba II et son successeur.

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