Images de page
PDF
ePub

Vénus. Ce précieux torse est en beau marbre blanc, d'une transparence qui rappelle presque l'albâtre translucide. Il est malheureusement coupé au-dessus des genoux; la tête et les bras manquent. Sa hauteur est de 95 centimètres et il en mesure 60 depuis la partie inférieure du pubis jusqu'aux clavicules, ce qui, en tenant compte de ce que la tête était penchée en avant et le torse un peu courbé, annonce une taille de femme assez élevée. La statue complète devait être entièrement nue; car, dans les Vénus demi-drapées, telle que la Vénus céleste, la draperie commence, de haut en bas, un peu au-dessous de la ceinture.

Ce n'est pas ici une Vénus idéale; mais pour se rapprocher du type de la beauté terrestre par des formes dont l'ampleur rappelle celles d'une jeune mère qui vient de connaître les douceurs de la maternité, notre Vénus n'en est pas moins un charmant morceau, d'une fort belle exécution. Par l'attitude, elle ressemble beaucoup à la Vénus de Médicis, à celle du Capitole et à la Vénus marine du Louvre. L'absence de tout attribut et son état de mutilation ne permettent pas de préciser davantage.

Des renseignements recueillis à Cherchel font penser que notre Vénus a été exhumée du palais des Thermes en 1846, lorsque le Génie militaire bâtissait la manutention. Il est, du reste, difficile d'affirmer quelque chose, quant à la provenance des objets déposés au Musée de Cherchel; car, avant M. de Lhotellerie, personne n'avait songé à en prendre note; et les anciens catalogues sont complètement muets à cet égard.

Il n'en sera pas ainsi avec le nouveau Conservateur qui comprend parfaitement que ce genre d'indications ajoute à l'intérêt, à l'utilité des découvertes et peut même contribuer à en faire faire de nouvelles; car signaler les endroits où l'on a déjà trouvé et où l'on pourrait trouver encore, c'est donner les moyens de substituer des recherches régulières et complètes à des fouilles partielles cxécutées au hasard et sans suite.

Hermaphrodite. - Ce charmant groupe en marbre blanc se compose de deux personnages : l'Hermaphrodite, demi-grandenr naturelle, et un faunisque, ou petit faune, de proportions encore plus réduites. Ce dernier est caractérisé par le bouquet de poils au bas des reins. On a trouvé ce groupe cassé en huit morceaux dont les cinq principaux se sont très-bien raccordés.

Le sujet de l'Hermaphrodite a été abordé par l'art hiératique dans

toutes les religions de l'antiquité: il symbolise l'unité de la vie par la fusion des formes propres aux deux sexes qui ont en eux les forces actives et passives de la génération. Il résume ainsi en un type saisissant la puissance qui produit, conserve et réunit. Il ne faut donc pas confondre l'Hermaphrodite, conception religieuse et philosophique des anciens et qui n'a jamais existé que dans le domaine de l'imagination, avec l'androgyne, cette réalité båtarde et rebutante que la nature produit quelquefois, comme pour indiquer une transition entre les deux sexes et marquer ainsi qu'elle ne passe jamais brusquement et par bonds d'un ordre de création à un autre.

Au premier aspect, notre groupe semble sortir du cercle de l'art hiératique pour rentrer dans un ordre d'idées tout mondain et que la civilisation antique n'a que trop affectionné à ses époques de décadence morale. Il ne faudrait cependant pas trop sc håter de le classer parmi les priapeia, car un examen attentif peut amener à l'apprécier plus favorablement.

Mais il faut d'abord indiquer le sujet qui, du reste, s'explique assez facilement de lui-même.

On devine, au premier aspect, que l'Hermaphrodite se tenait assis sur un rocher sous lequel rampe un serpent; une élégante draperie l'enveloppait, à partir de la ceinture, laissant à découvert tout le haut du corps, qui est celui d'une jeune fille pubère dans sa première phase de développement. Un petit faune, attiré par cette gracieuse apparition, s'approche sans soupçonner le péril que l'artiste semble avoir voulu symboliser par le reptile qui se cache. L'Hermaphrodite, appuyé de la main gauche sur le · rocher, saisit le faunisque de la main droite, et, pour mieux le retenir, lui prend la jambe droite entre ses cuisses. Dans ce brusque mouvement, la draperie est un peu retombée ; et le faune a pu s'apercevoir de son erreur. Le dégoût succède alors au désir.

C'est le moment que l'artiste a choisi, celui où le faunisque lutte avec énergie pour se dégager de l'étreinte; de sa main gauche, appuyée fortement contre le sein droit de l'Hermaphrodite, il essaie d'éloigner de lui l'être bizarre qui le retient.

Au point de vue artistique, cette composition est d'une grâce extrême et d'une expression saisissante. Le torse de l'Hermaphrodite est d'une morbidezza juvénile charmante et qui annonce un artiste éminent. Le personnage du faune est plein de mouvement et très-bien accentué. La lutte des deux sentiments opRevue africaine, no 3.

15

posés,

-

attraction d'un côté, répulsion de l'autre, est parfaitement rendue.

Si l'on recherche la véritable pensée de cette œuvre, il faut d'abord, remarquer qu'elle ornait les plus beaux thermes de Julia Caesarea, ceux qui devaient être fréquentés par l'élite de la société de cette métropole. Si donc, en pareil lieu, nous trouvons un sujet de ce genre, il ne paraît pas probable que ce soit unede ces honteuses compositions qui se cachaient ordinairement dans l'ombre des demeures particulières. Il ne faut pas juger, d'ailleurs, les œuvres des anciens avec nos idées modernes; et nous devons plutôt essayer de les expliquer par leurs opinions, leurs préjugės, leurs superstitions connues. Assurément, nous n'avons pas ici une auvre pure de l'art hiératique; mais nous pouvons peut-être y reconnaître un produit du symbolisme moral, exprimant cette pensée l'homme, attiré par des dehors séduisants, se précipite vers l'objet qui le tente; mais, quand il peut voir de près cet objet qui lui semblait charmant, il se trouve que c'est un monstre. Le péril que l'on court dans cette recherche des plaisirs terrestres paraît indiqué par le serpent qui se tient caché sous la roche.

Un autre groupe, pareil à celui-ci et qui devait lui faire pendant, a été trouvé au même lieu et dans les mêmes fouilles. La seule différence qu'on y remarque dans la composition, c'est que le serpent est dans le bec d'un aigle, symbole probable d'un péril heureusement surmonté par la clairvoyance et par la force. Ce groupe qui est resté à Cherchel — peut égaler le nôtre comme souplesse de mouvement; mais il lui est inférieur dans l'exécution de certaines parties.

Jeune fille romaine. - Statue en marbre blanc, haute d'un mètre cinquante centimètres. Il y manque le bras droit et la main gauche, qui avaient déjà été rapportés à l'époque romaine. La tête, qui avait été aussi rapportée, a la face mutilée dans toute sa partie supérieure. Autant qu'on peut en juger par ce qui est demeuré intact, ce devait être une charmante figure juvénile. Ce visage délicat, des formes gracieuses, quoiqu'un peu grêles, et le faible développement des seins annoncent une toute jeune fille qui vient d'entrer à peine dans la phase de la puberté. Elle est vêtue d'une longue stola, qui ne laisse apercevoir que l'extrémité du pied gauche, ainsi que la mode romaine l'exigeait à l'endroit des vierges. Cette tunique talaire est serrée au-dessous des seins

par un étroit cordonnet noué très-négligemment et sans la moindre prétention à l'élégance. Une ample palla (vêtement qui rappelle, par sa forme et son emploi, le fouta des Mauresques d'Alger), placée sur l'épaule gauche, retombe, par un bout, en avant jusque au-dessous du genou, entre le bras et le corps. L'autre extrémité se fronce dans la main gauche, après avoir fait le tour du torse et s'être développée largement sous l'omoplate droite et le bassin, descendant sur le côté jusqu'à la malléole externe du pied droit.

Ce qui frappe immédiatement dans cette jolie statue, c'est qu'avec un costume d'une simplicité extrême et très-simplement agencé, ainsi qu'il convient à une vierge, l'artiste ait su faire une œuvre précisément fort remarquable par l'élégance des draperies et leur transparence, sans que ces plis si gracieux el ce corps de jeune fille dont toutes les formes se traduisent fidèlement sous l'étoffe, ôlent rien du caractère simple et chaste qu'il avait voulu exprimer avant tout.

Trois de ces belles statues proviennent des fouilles faites par M. De Lhotellerie dans les Thermes occidentaux de Julia Cæsarea. Les Thermes de l'Est ont aussi fourni leur contingent, quoiqu'on n'y ait pas fait de recherches proprement dites; mais, en nivelant le Champ-de-Manœuvres, on a trouvé tout près de ce monument une jolie statuette en bronze représentant une Vénus qui met ou ôte sa sandale. L'attitude est tout à fait semblable à celle de la statuette en bronze trouvée à Portici, le 22 février 1757 et qui figure dans la collection David, tome vi des Antiquités d'Herculanum. La seule différence entre ces deux charmantes productions de l'art antique, c'est que celle de Portici porte un spinther ou bracelet qui manque à la nôtre.

Cette statuette fait aujourd'hui partie du Musée d'Alger.

[ocr errors]

---

TIPASA. En revenant de remplir une mission à Cherchel, M. Berbrugger a visité Tipasa à la fin du mois de décembre dernier. Il avait exprimé, devant le représentant du concessionnaire de ce terrain, le désir d'entreprendre le plus tôt possible des fouilles dans la curieuse église byzantine qui s'élève à l'Est de la cité romaine et touchant son rempart oriental, à Koudit Zarour. M. Rousseau, le propriétaire dont nous venons de parler, écrit à ce sujet une lettre dont nous extrayons le passage suivant :

"Nul doute que des travaux de recherches sur ma propriété ne ⚫ mettent à découvert de précieuses trouvailles pour l'histoire des » temps qui nous ont précédés; je les verrai exécuter avec bonheur sous votre direction et je les suivrai avec le plus vif in• térêt.

. Mais, pour ce qui concerne l'église romaine, cette relique des premiers âges du christianisme, ce temple de la foi qui ren⚫ ferme sans doute dans son sein la sépulture des saints ministres » de Dieu, qui enseignaient la parole sacrée de l'Évangile et qui, » eux-mêmes, sont entourés des tombeaux des fidèles qui ve⚫naient les entendre, oh ! Monsieur, recevez avec bonté la prière

que je vous adresse de ne faire dans cette église aucune fouille » avant que je n'aie l'honneur de vous voir pour nous entendre » sur la direction à donner à ces travaux, afin d'éviter tout ce qui pourrait ressembler à un sacrilège.

[ocr errors]

J'aime beaucoup la science archéologique; je lis avec avidité les découvertes qui se font, chaque jour, dans le domaine de l'histoire; mais j'ai aussi des sentiments religieux qui me portent à respecter avec ferveur tout ce qui témoigne de la foi des ⚫ premiers chrétiens; et lorsqu'il s'agit de mon église romaine (1), je vous demande de faire un peu plus pour la foi que pour la • science. »>

Nous applaudissons au sentiment respectable qui a dicté cette lettre, quoique les craintes qu'on y exprime ne nous paraissent nullement justifiées. Si le caractère de la personne qui se proposait de faire les fouilles dont il s'agit ne semblait pas à M. Rousseau une garantie suffisante, il y en avait une très-rassurante dans cet intérêt d'amour-propre qui porte toujours un amateur de l'antiquité à conserver religieusement tout ce qu'il peut découvrir. En présence de l'état où se trouve aujourd'hui le monument auquel M. Rousseau s'intéresse tant et avec beaucoup de raison, les scrupules qu'il met en avant ne se conçoivent guère; car, nous pouvons le dire pour l'avoir vu tout récemment de nos yeux, la pauvre église byzantine est en ce moment le réceptacle d'immondices de toute nature qui proviennent des gourbis voisins. Quant aux antiques tombeaux des fidèles, on les brise journellement pour en faire des moellons; et ce ne sont pas des archéologues qui se livrent à ces dévastations sacrilèges.

(1) Il est impossible que l'État ne se soit pas réservé la propriété de cette église. Mon n'est donc pas ici le mot propre. N. de la R.

« PrécédentContinuer »