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de Maïorque à son oncle, Abou-'z-Zobeir, et ayant équipé une escadre de trente-deux navires, il mit à la voile et emmena ses frères Yahya, Abd-Allah et El-Ghazi. Arrivés devant Bougie dans le mois de Safer 581 (mai 1185), ils s'emparèrent de la ville sans coup férir, les habitants ne s'étant nullement attendus à leur arrivée. Le cîd 1 Abou-'r-Rebiâ, fils d'Abd-Allah et petitfils d'Abd-el-Moumen, qui commandait alors à Bougie, était absent au moment de l'invasion, ayant fait une excursion à Aïmiloul. Aussitôt débarqués, les fils de Ghanîa arrêtèrent le cîd Abou-Mouça, fils d'Abd-el-Moumen, qui se rendait de l'Ifrîkïa en Maghreb, et ils enlevèrent toutes les richesses qui se trouvaient dans les maisons appartenant aux cîds et aux Almohades Le [cîd,] gouverneur de la Calâ [-Beni-Hammad], qui se rendait en ce moment à Maroc, apprit à Metîdja ce qui venait de se passer à Bougie et revint sur ses pas, afin de porter secours au cîd Abou-'r-Rebiâ. Ali[-Ibn-Ishac]-Ibn-Ghanîa marcha contre eux, mit leur armée en déroute et s'empara de leur camp et de leurs trésors. Les deux chef's almohades parvinrent à atteindre Tlemcen où ils s'arrêtèrent chez le cîd Abou-'l-Hacen, fils d'Abou-Hafs et petit-fils d'Abd-el-Moumen. Ce prince travailla sur-le-champ à restaurer les fortifications de sa ville, pendant que les deux cîds [Abou-'r-Rebiâ et le gouverneur de la Calâ y attendaient la revanche qu'ils espéraient prendre avec

son secours.

Ibn-Ghanîa se mit alors à butiner, et ayant distribué les fruits de ses rapines à une foule d'Arabes et d'autres bandits, il marcha avec eux sur Alger. S'étant emparé de cette ville, il y laissa Yahya-Ibn-Akhi-Talha en qualité de gouverneur, et ayant ensuite pris Mouzaïa 2, il poussa en avant jusqu'à Milîana. Après avoir placé cette ville sous le commandement de Yedder-IbnAïcha, il se dirigea contre El-Calâ | Calâ-Beni-Hammad] et l'em

1. Cid est la prononciation vulgaire du mot séïyid (chef, seigneur). Sous les Almohades, on donnait ce titre aux princes de la famille royale, descendants d'Abd-el-Moumen.

2. Le texte arabe porte Mazouna, leçon que la position géographique des lieux rend inadmissible.

porta d'assaut au bout de trois jours de siège. Dans toutes ces entreprises, les Arabes le secondèrent avec un zèle vraiment infernal. Il se présenta ensuite devant Constantine et, pendant qu'il faisait le siège de cette place forte, il prit à son service les bandes d'Arabes qui lui arrivaient de tous côtés avec leurs tentes, leurs troupeaux et leurs familles.

El-Mansour [le souverain almohade] eut connaissance de ces événements en débarquant à Ceuta après son expédition en Espagne. Il désigna aussitôt le cîd Abou-Zeid, fils d'Abou-Hafs et petit-fils d'Abd-el-Moumen, comme gouverneur du Maghreb central et le fit partir pour cette destination à la tête d'une forte armée. Il ordonna aussi à son amiral, Ahmed le Sicilien, de prendre la mer avec la flotte, et il confia le commandement de cette expédition maritime à Abou-Mohammed-Ibn-Ibrahîm-IbnDjamê. Les habitants d'Alger, avertis de l'approche des secours, tant par mer que par terre, se soulevèrent contre YahyaIbn-Akhi-Talha et le livrèrent, lui et ses compagnons, au cîd Abou-Zeid. Les prisonniers furent mis à mort sur le bord du Chelif; mais Abou-Zeid épargna Yahya, parce que Talha, l'oncle de ce chef, avait passé [du côté des Almohades]. Yedder Ibn-Aïcha quitta Milîana de nuit, mais les troupes [almohades] se ⚫mirent à sa poursuite et l'atteignirent à Omm-el-Alou1. Les Berbères, voulant le faire passer [la rivière], livrèrent un combat aux Almohades, mais ils ne purent empêcher leur protégé d'être fait prisonnier, conduit devant le cîd Abou-Zeid et d'être exécuté à mort.

A peine la flotte almohade fut-elle arrivée au port de Bougie, que Yahya-Ibn-Ghanîa en fut expulsé par les habitants et alla rejoindre son frère Ali, sous les murs de Constantine. Cette forteresse était déjà réduite à la dernière extrémité quand le cîd Abou-Zeid, ayant délivré le cîd Abou-Mouça, quitta Tîklat, lieu des environs de Bougie où il s'était campé, et marcha au secours des assiégés. Ibn-Ghanîa se jeta alors dans le Désert, et

1. Cette localité, dont l'exacte position nous est inconnue, devait être située sur le Chelif. Il ne faut pas la confondre avec un endroit du même nom, aux environs de Tlemcen.

les Almohades, l'ayant poursuivi inutilement jusqu'à Maggara et Nîgaous, reprirent le chemin de Bougie. Pendant que le cîd AbouZeid s'installait dans cette ville, Ibn-Ghanîa s'empara de Cafsa et entreprit le siège de Touzer et de Castîlïa 1. Découragé enfin par la résistance qu'il y rencontra, il partit pour Tripoli.

Caracoch-el-Ghozzi 2-el-Modafferi se trouvait alors dans cette ville. Voici l'histoire de ce chef d'après les renseignements consignés par Abou-Mohammed-et-Tidjani dans son ouvrage intitulé Er-Rihla3. Salah-ed-Dîn (Saladin), souverain de l'Egypte, avait envoyé son neveu Taki-ed-Dîn, fils de Chahanchah, vers le pays de l'Occident avec la mission d'y prendre autant de villes qu'il le pourrait, afin d'avoir des lieux de retraite en cas d'une guerre avec Nour-ed-Dîn-Mahmoud, fils de Zingui et souverain de la Syrie. Salah-ed-Dîn était alors vizir de Nour-edDîn, et comme il avait réussi à établir son indépendance en Egypte, il s'attendait à y être attaqué par son ancien maître. Un événement imprévu ayant forcé Taki-ed-Dîn à rebrousser chemin, Caracoch l'Arménien l'abandonna avec une partie des troupes. Son exemple fut imité par Ibrahîm-Ibn-Caratikîn, le silahdar (porte-glaive), surnommé El-Moaddemi, parce qu'il avait été attaché au service d'El-Mélek-el-Moaddem-Chems-ed-Dola, fils d'Aïoub et frère de Saladin. Caracoch atteignit Santerïa dont il s'empara en l'an 586 (1190), et le vendredi suivant, il y fit célébrer la prière au nom de Salah-ed-Dîn et de Taki-ed-Dîn.

Après leur avoir envoyé des dépêches renfermant l'annonce de cette conquête, il alla se rendre maître de Zella, d'Audjela et du Fezzan, province qu'il enleva aux Beni-Khattab, famille appar

1. Ibn-Khaldoun s'exprime ici d'une manière incorrecte. Voyez l'index géographique, au mot Castilia.

2. Le mot Caracoch ou Caracouch appartient à la langue turque et signifie, à la lettre : oiseau noir. El-Ghozzi signifie membre de la tribu des Ghozzi. Caracoch était client de la famille de Saladin, laquelle appartenait à la race turcomane ainsi que la grande famille des Ghozz. Pour l'origine de ce peuple, voir l'Histoire des Huns, t. III, p. 206. 3. On trouvera dans le Journal asiatique d'août-septembre 1852 la traduction de ce rihla (récit de voyage), par M. A. Rousseau. Dans notre premier volume, p. 139, nous avons parlé d'Et-Tidjani.

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tenant à la tribu des Hoouara. Le roi qu'il détrôna se nommait Mohammed, fils de Khattab, fils d'Isliten, fils d'Abd-Allah, fils de Sanfel, fils de Khattab. Avec lui finit cette dynastie, mais Zouîla, l'ancienne capitale de son empire, porte encore le nom de Zouîla des fils de Khattab. Caracoch, l'ayant fait prisonnier, le laissa mourir dans les tourments, en essayant de lui faire déclarer le lieu où il avait caché ses trésors. Il passa ensuite auprès de Tripoli, rallia sous ses drapeaux les Arabes soleimides de la branche de Debbab, pénétra dans la montagne de Nefouça et y fit un grand butin qu'il abandonna à ses nouveaux alliés. Masoud-Ibn-Zemam, cheikh des Douaouida, étant alors arrivé dans cette province après avoir effectué son-invasion du territoire du Maghreb ', réunit ses bandes à celles de Caracoch et l'aida à réduire la ville de Tripoli. Caracoch, qui avait pris à son service une foule de brigands arabes appartenant aux tribus de Hilal et de Soleim, établit sa domination dans cette forteresse et les pays voisins. Arménien de naissance, on lui avait donné les surnoms d'El-Modafferi et d'En-Naceri, parce qu'il était mamlouk d'ElModaffer et qu'il avait prononcé la prière du vendredi au nom d'El-Mélek-en-Nacer (le prince victorieux) -Salah-ed-Dîn. Dans ses manifestes, il s'intitulait Ouéli amr îl-Moumenîn (chargé d'affaires des vrais croyants 3). L'alama (paraphe) qu'il inscrivit de sa main au bas de ces documents renfermait les mots suivants : Ouathecto billahi ouahdahou (j'ai placé ma confiance en Dieu seul).

Son camarade, Ibrahîm-Ibn-Caratikîn, se dirigea sur Cafsa à la tête d'une troupe d'Arabes, et, en ayant occupé tous les alentours, il somma les Beni-'r-Rend qui y commandaient de faire leur

1. Voir t. I, p. 71.

2. El-Mélek-el-Modaffer (le prince victorieux), tel fut le titre honorifique de Taki-ed-Din, fils de Chabanchah.

3. Dans le texte arabe, les mots bi-sokoun il-mim (avec un m quiescent) se rapportent au mot amr. L'intention de l'auteur était d'empêcher le lecteur de regarder amr comme une faute de copiste et amir comme la bonne leçon. En ce dernier cas, le titre porté par Caracoch aurait signifié ami du Commandant des Croyants.

soumission. Cette famille portait une telle haine à la dynastie d'Abd-el-Moumen qu'elle ouvrit les portes de la ville et permit à Ibn-Caratikîn d'y faire célébrer la prière publique aux noms du khalife abbacide et de Salah-ed-Dîn. Officier dévoué, il maintint la suprématie de ces princes à Cafsa jusqu'à ce qu'il fut tué par El-Mansour [le souverain almohade lors de la prise de cette ville.

Revenons maintenant à Ibn-Ghanîa. Quand Ali-Ibn-Ghanîa arriva à Tripoli, il y trouva Caracoch et prit avec lui l'engagement de se soutenir mutuellement contre les Almohades. Il rallia sous ses drapeaux tous les Arabes soleimides qui s'étaient cantonnés avec leurs troupeaux dans le territoire de Barca, et il eut toujours à se louer du dévouement que cette tribu lui témoigna. Plusieurs fractions de la tribu de Hilal, telles que les Djochem, les Rîah et les Athbedj, embrassèrent aussi sa cause, tant elles détestaient la domination des Almohades; mais les Zoghba se rangèrent du parti de cette dynastie et lui restèrent invariablement fidèles. Les débris des Lemtouna et des Messoufa accoururent de tous côtés pour soutenir Ibn-Ghanîa et l'aiderà consolider son autorité. Ayant établi dans ces contrées la domination de son peuple, il réorganisa l'empire almoravide dont il ressuscita tous les usages. Après avoir pris plusieurs villes du Djerîd et y avoir fait proclamer la suprématie des Abbacides, il envoya son fils auprès du khalife En-Nacer, fils d'El-Mostadi, en le faisant accompagner par son secrétaire, Abd-el-Berr-IbnFerçan, natif d'Espagne. L'objet de cette mission était de solliciter l'appui du khalife et de renouveler à la cour de Baghdad les assurances de fidélité et d'obéissance que les Almoravides du Maghreb n'avaient jamais cessé de lui donner. Le divan répondit à cette communication en accordant à Ibn-Ghanîa tous les privilèges dont ses prédécesseurs avaient joui et en adressant une lettre à Salah-ed-Dîn-Youçof, fils d'Aïoub-el-Ghozzi, souverain de l'Egypte et de la Syrie, qui lui ordonnait de porter secours au prince almoravide. Conformément à cette injonction, Salah-edDîn transmit à Caracoch la recommandation de travailler de concert avec Ibn-Ghanîa, afin de relever en Afrique la suprématie des

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