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ver aucune résistance de la part des émis indépendants qui s'étaient partagé ce pays. Ibn-el-Haddj marcha contre lui, la même année, à la tête des troupes almoravides, et mit les chrétiens dans une déroute vraiment honteuse. Ayant alors déposé IbnRechîc, seigneur de Murcie, il se dirigea sur Denia, et en força le seigneur, Ali-Ibn-Modjahed, à partir pour Bougie. En-NacerIbn-Alennas, souverain de cette ville, accueillit le fugitif avec une haute distinction.

Le même général almoravide plaça alors un corps de troupes à la disposition d'Ibn-Hadjaf, cadi de Valence, qui était venu le pousser à faire une expédition contre El-Cader-Ibn-Di-'n-Noun. Ce détachement occupa Valence, en l'an 485 (1092), et Ibn-Di'n-Noun y perdit la vie. A la réception de cette nouvelle, le roi chrétien alla camper sous les murs de la ville conquise et s'en empara, l'an 487. Plus tard, les Almoravides s'en rendirent maîtres, et Youçof-Ibn-Tachefîn en donna le commandement à l'émir Mezdeli.

En 481 (1088), Youçof passa en Espagne pour la seconde fois et remarqua que les émirs indépendants mirent très peu d'empressement à venir le recevoir. Ces chefs s'étaient souvenus du mécontentement qu'il avait déjà éprouvé en les voyant accabler leurs sujets d'impôts, de corvées et de vexations de toute espèce. Sommés par lui, à cette époque, de faire cesser ces abus et de rentrer dans la légalité, ils évitèrent de se rencontrer avec lui. Ibn-Abbad fut le seul qui alla le rejoindre, et profita même du peu d'empressement que montraient ses voisins pour tourner contre eux la colère du monarque africain. Il se fit même livrer Ibn-Rechîc contre lequel il nourrissait une haine violente. Youçof envoya alors un corps d'armée contre Almeria, et il en mit le seigneur, Ibn-Somadeh, dans la nécessité de se réfugier auprès d'El-Mansour-Ibn-en-Nacer, souverain de Bougie.

Comme les chefs indépendants qui régnaient en Espagne s'étaient engagés, d'un accord unanime, à ne fournir ni troupes ni approvisionnements aux Almoravides, Youçof conçut d'eux une opinion très défavorable, et soumit leur conduite au jugement des légistes et des hommes d'Espagne et de Maghreb les plus ca

pables. Tous furent d'avis qu'il avait le droit de déposer les chefs réfractaires, opinion que les docteurs les plus distingués de l'Irac, tels qu'El-Ghazzali et Tortouchi1, confirmèrent par la leur. Fort d'une décision aussi favorable, Youçof se rendit à Grenade et en détrôna le souverain, Abd-Allah-Ibn-Bologguîn-Ibn-Badîs (483: 1090-1). Il traita de la même manière Temîm, frère du précédent et souverain de Malaga; puis, ayant découvert que ces princes avaient été en négociation avec le roi chrétien dans un but hostile aux Almoravides, il les déporta tous les deux en Maghreb. Ce procédé inspira une telle frayeur à Ibn-Abbad qu'il évita de se rendre auprès de Youçof; aussi leur mésintelligence ne tarda pas à éclater.

Youçof, s'étant alors transporté à Ceuta où il avait l'intention. de rester quelque temps, confia le gouvernement de l'Espagne à l'émir Sir-Ibn-Abi-Bekr-Ibn-Mohammed-Ibn-Oureggout, et ui ordonna de partir pour ce pays. Ibn-Abbad, s'étant abstenu d'aller au-devant de ce chef pour lui faire sa cour, reçut bientôt de lui la sommation formelle de reconnaître l'autorité de l'émir Youçof-Ibn-Tachefîn et d'abdiquer le trône. Il en résulta une guerre dans laquelle le général almoravide occupa les états de son adversaire, enleva Cordoue à El-Mamoun, fils d'Ibn-Abbad, et força Yezid-er-Radi, autre fils du même, à abandonner le commandement de Ronda et de Carmona. Après avoir mis à mort tous ces princes, il assiégea El-Motamed-Ibn-Abbad dans Séville et le mit dans la nécessité d'invoquer le secours du roi chrétien. Ce monarque accourut pour le dégager et pour empêcher la chute de la ville; mais les Lemtouna le repoussèrent de manière à lui ôter tout espoir de succès, et en l'an 484 (1091), ils emportèrent Séville d'assaut. El-Motamed fut fait prisonnier et conduit à Maroc.

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1. Abou-Hamed-el-Ghazzali, célèbre philosophe et légiste chafite, était professeur de jurisprudence à Baghdad et mourut en 503 (1109). Abou-Bekr-et-Tortouchi, docteur du rite malekite, controversiste et ascète, naquit à Tortosa, en Espagne, voyagea en Orient et mourut à Alexandrie en l'an 520 (1126). Dans le second volume de la traduction du dictionnaire biographique d'Ibn-Khallikan se trouvent deux notices consacrées à ces docteurs.

Il

passa le reste de ses jours dans une captivité étroite et mourut à Aghmat en l'an 494 (1100-1), dans la prison où Youçof l'avait fait enfermer 1.

Sîr marcha ensuite sur Badajoz, mit aux arrêts Omar-Ibn-elAftas, souverain de cette ville, puis, s'étant acquis la certitude que son prisonnier et ses fils avaient négocié secrètement avec le roi chrétien dans le but de lui livrer Badajoz, il les fit tous mettre à mort. Cette exécution eut lieu le 10 de Dou-'l-Hiddja 489 (décembre 1096) 2.

L'année suivante Youçof passa en Espagne pour la troisième fois, et sachant que le roi chrétien venait à sa rencontre, il le fit attaquer par une armée almoravide sous les ordres de Mohammed-Ibn-el-Haddj. Dans cette bataille les musulmans remportèrent la victoire et mirent l'ennemi en pleine déroute.

En l'an 493 (1099-1100), Yahya-Ibn-Abi-Bekr, petit-fils de Youçof-Ibn-Tachefîn, arriva en Espagne et opéra sa jonction avec Mohammed-Ibn-el-Haddj et Sir-Ibn-Abi-Bekr. Il enleva alors aux roitelets musulmans toutes leurs places fortes, à l'exception de Saragosse, ville où El-Mostaïn-Ibn-Houd se tenait sous la protection des chrétiens. L'émir Mezdeli, gouverneur de Valence, envahit le territoire de Barcelone, y répandit la dévastation, et, après avoir pénétré plus loin dans cette contrée qu'aucun de ses devanciers, il rebroussa chemin. L'Espagne [musulmane] passa ainsi sous la domination de Youçof-Ibn-Tachefîn, et l'autorité des rois provinciaux disparut comme si elle n'avait jamais existé.

Devenu maître de l'Espagne et du Maghreb, Youçof-IbnTachefîn défit les chrétiens à plusieurs reprises, et ayant adopté

1. Pour l'histoire d'El-Motamed, on peut consulter l'Historia Abbadidarum de M. Dozy, Leyde, 1846, et le troisième volume de la traduction d'Ibn-Khallikan.

2. En 1839, feu M. Hoogvliet publia, à Leyde, une histoire très détaillée de la famille Aftas, sous le titre de Prolegomena ad edit. IbniAbduni poematis, dans laquelle il a réuni de nombreux extraits des auteurs arabes. M. Dozy vient de publier le texte arabe du poème d'Ibn-Abdoun avec le commentaire d'Ibn-Bedroun.

T. II.

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le titre de Commandant des musulmans (Emir el-Moslemîn), il fit proclamer la suprématie d'El-Mostadher, khalife de Baghdad, et lui expédia deux ambassadeurs. L'un de ces envoyés fut AbdAllah-Ibn-Mohammed-Ibn-el-Arebi el-Mâaferi, natif de Séville, et l'autre fut le cadi Abou-Bekr, fils de celui-ci 1. Ces agents prirent un ton si insinuant et remplirent leur mission avec tant d'adresse, que le khalife déclara leur maître souverain de l'Espagne et du Maghreb et expédia des lettres patentes à cet effet, afin d'en donner connaissance au public. Ils rapportèrent aussi à Youçof un acte d'investiture par lequel le khalife lui accordait la souveraineté de toutes les contrées sur lesquelles il avait déjà étendu sa domination. L'imam El-Ghazzali et le cadi Abou-Bekrel-Tortouchi lui adressèrent aussi des lettres de conseils et l'engagèrent de la manière la plus pressante à gouverner avec justice. et à ne jamais s'écarter de la bonne voie ; ils lui envoyèrent en même temps leur décision relative aux roitelets musulmans de l'Espagne, décision qui l'autorisait à exécuter sur eux la sentence de Dieu.

En l'an 497 (1103-4), Youçof passa en Espagne pour la quatrième fois, à la suite de l'expédition que le souverain hammadite, El-Mansour-Ibn-en-Nacer, avait entreprise, la même année, contre Tlemcen. Nous avons déjà parlé de cette démonstration hostile dans notre notice sur les Beni-Hammad2 et mentionné qu'Ibn-Tînamer avait enlevé à El-Mansour la ville d'Achir. Pour donner satisfaction au prince hammadite, Youçof ôta le commandement de Tlemcen à Ibn-Tînamer et ordonna à Mezdeli de quitter le gouvernement de Valence et d'aller remplir la place vacante. Abou-Mohammed-Ibn-Fatema fut nommé gouverneur de Valence.

Après avoir fait de nombreuses expéditions dans le pays des chrétiens, Youçof-Ibn-Tachefin mourut à la fin du cinquième siècle (dans le mois de Moharrem 500 Septembre 1106). Ali-Ibn Youçof, fils d'Ibn-Tachefîn et prince d'un excellent

1. Voir vol. I, p. 138.

2. Voir p. 54 de ce volume.

caractère, monta alors sur le trône. Son règne commença par des jours prospères et par une suite de victoires sur les infidèles. Ayant passé le Détroit, il mit à feu et à sang le pays des chrétiens, ramena une foule de prisonniers et confia à [son frère] Temîm le gouvernement de l'Espagne. Le roi chrétien rassembla alors des troupes pour combattre les musulmans, mais son armée fut mise en déroute par celle de Temîm.

En l'an 503 (1109-10), Ali-Ibn-Youçof traversa le Détroit, assiégea Tolède et porta le ravage dans le territoire chrétien. Après sa rentrée de cette expédition, le fils de Radmîr [Alphonse I, fils de Don Sanche Ramirez] marcha contre Saragosse et défit les musulmans [de Tudèle] qui étaient sortis à sa rencontre. Leur chef, [El-Mostaïn-JIbn-Houd, mourut sur le champ de bataille, martyr de la foi, et le fils de Radmîr assiégea la ville [de Tudèle] jusqu'à ce qu'elle se rendît à discrétion 1.

Quelque temps après, c'est-à-dire en 509 (1115-6), les Génois s'emparèrent de Maïorque. Cette île dut sa délivrance et le retour de sa prospérité à Ibn-Tafertast, général almoravide dont nous avons déjà parlé dans notre notice sur les roitelets d'Espagne 2.

Ali-Ibn-Youçof continua à jouir d'un règne prospère et à augmenter sa puissance. En l'an 526 (1131-2), il nomma son fils Tachefîn gouverneur de l'Espagne occidentale, lui désigna Cordoue et Séville comme résidences, et le fit accompagner à sa destination par Ez-Zobeir-Ibn-Omar, chef almoravide de haut rang. Il accorda en même temps le gouvernement de l'Espagne orientale à Abou-Bekr-Ibn-Ibrahîm-el-Messoufi auquel il assigna Valence pour lieu de séjour. Cet Abou-Bekr est le même émir que le poète Ibn-Khafadja 3 a célébré dans ses vers

1. Nous avons corrigé l'erreur d'Ibn-Khaldoun. Saragosse fut assiégé en 1114 par le roi d'Aragon. Ce prince s'empara alors de Tudèle, leva le siège de Saragosse, l'assiégea de nouveau en 1118 et s'en empara. 2. La notice des souverains espagnols se trouve dans la partie inédite de l'ouvrage.

3. La vie de ce poète se trouve dans le premier volume de la traduction d'Ibn-Khallikan, p. 36.

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