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au milieu des broussailles dont cette colline était couverte, et, s'y étant installés, chacun de son côté, ils se livrèrent aux pratiques de la dévotion.

Le bruit de leur conduite se répandit au loin, et tous ceux qui portaient dans leurs cœurs les moindres semences de la vertu embrassèrent leurs croyances et s'associèrent à leurs exercices pieux. Mille individus de la tribu de Lemtouna les avaient déjà joints, quand leur cheikh, Ibn-Yacîn, leur adressa ces paroles : << Mille hommes ne se laissent pas facilement vaincre ; aussi >> devons-nous maintenant travailler à maintenir la vérité et à >> contraindre, s'il le faut, tout le monde à la reconnaître. Sor>> tons d'ici et remplissons la tâche qui nous est imposée. »>

Ayant alors attaqué les tribus lemtouniennes, guedaliennes et messoufites qui refusaient de les écouter, ils les forcèrent à rentrer dans la bonne voie et à embrasser la vraie religion. IbnYacîn autorisa ses disciples à prélever la dîme sur les biens des musulmans, et, leur ayant donné le nom d'Almoravides 1, il les plaça sous les ordres de l'émir Yahya-Ibn-Omar. Conduits par ce chef, les Almoravides traversèrent les sables du Désert et allèrent percevoir la dîme dans les territoires du Derâ et de Sidjilmessa. Après leur retour, ils reçurent d'Ou-Aggag-el-Lamti (de la tribu de Lamta) une lettre dans laquelle il se plaignait de' l'état de misère auquel les musulmans de son pays avaient été réduits par la tyrannie des Beni-Ouanoudîn, émirs de Sidjil

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» au temps de la haute marée, on s'y rendait en bateau. Elle renfermait » des arbres de la même espèce que ceux du continent, du gibier de » terre et de mer, tel qu'oiseaux, quadrupèdes et poissons. >> IbnKhaldoun me paraît avoir raison quand il place cette île dans la rivière du Sénégal. L'on sait que ce fleuve continua, pendant longtemps, à séparer la race berbère de la race noire. En l'an 1446, quand les Portugais faisaient leurs premières explorations de la côte occidentale de l'Afrique, les tribus des Assanhagi (Zanaga, Sanhadja) habitaient la rive septentrionale du Sénégal, et les Yalof ou Wolof, c'est-à-dire les Noirs, en occupaient l'autre. Nous devons faire observer que Sénégal est une altération du mot Asnaguen ou Zenaguen, pluriel de Zanag, c'està-dire Sanhadja.

1. En arabe Al-Morabetîn. Voir, pour la signification de ce mot, t. I, p. 83, n. 2.

messa1 et membres de la tribu des Maghraoua. Il les supplia, en conséquence, de porter remède aux maux qui affligeaient ses coreligionnaires.

Pour répondre à cette invitation, un corps nombreux d'Almoravides, montés, presque tous, sur des chameaux mehari2, quitta le Désert, en l'an 445 (1053-4), et se porta sur le Derâ. Leur but était d'enlever un troupeau d'environ cinquante mille chameaux qui se trouvaient dans le parc du gouvernement. Masoud-Ibn-Ouanoudîn, émir des Maghraoua et souverain de Sidjilmessa, marcha à leur rencontre afin de sauver ses chameaux et de protéger ses états. Un combat s'ensuivit dans lequel ce chef perdit la vie; ses troupes furent taillées en pièces ; leurs richesses, leurs armes, leurs montures et les chameaux du parc devinrent la proie des Almoravides. Les vainqueurs marchèrent alors sur Sidjilmessa, y pénétrèrent de vive force et massacrèrent les débris de l'armée maghraouienne qui s'y étaient réfugiés. Ayant ensuite rétabli l'ordre dans le pays, en faisant disparaître les abus qui choquaient la religion et en supprimant les contributions illégales, telles que les magharem et les mokous 3, ils

1. Voir t. III, chapitre sur les Beni-Khazroun, rois de Sidjilmessa. 2. Mehari est le pluriel de mohrïa, mot qui désigne un chameau de belle race, d'une marche très rapide et capable de supporter les fatigues d'une longue course dans le Désert. Mohrïa dérive de Mohra, nom d'un chef arabe qui fut le premier à élever cette espèce de chameau. Selon le Camous, Mohra était fils de Haîdan. Quant aux mehari, le nom et la chose sont bien connus en Algérie.

3. Mokous, pluriel de meks, sont les droits de marché et de transit. Magharem, pluriel de maghrem, sont toutes les taxes et contributions qui ne sont pas autorisées par la loi divine. Les mokous sont des magharem ; aussi Ibn-Khaldoun aurait-il dû écrire : les mokous et autres magharem. Ce dernier mot, sous la forme gharama, est employé en Afrique pour désigner toutes les taxes imposées par le gouvernement. Dans les premiers siècles de l'islamisme, les musulmans payaient la dîme; mais toutes les terres qui avaient appartenu aux chrétiens étaient soumises au kharadj. Le besoin d'argent porta ensuite les souverains de ce pays à substituer la zouidja à la dîme (voir t. I, p. 404, note) et à introduire de nouvelles impositions dont aucune n'était autorisée par le Coran. Les dévots et les contribuables crièrent au scandale, mais ils finirent par s'y habituer et par payer.

reprirent le chemin du Désert. Avant de partir, ils prélevèrent la dîme partout et confièrent le gouvernement du pays à des officiers de leur propre nation.

Yahya-Ibn-Omar mourut en 447 (1055-6), après avoir choisi pour successeur son frère, Abou-Bekr. Le nouveau chef appela les Almoravides à la conquête du Maghreb, et, en l'an 448, il envahit le pays de Sous et occupa Massa, Taroudant et toutes les autres forteresses de cette province. L'année suivante, il s'empara d'Aghmat et força Laghout-Ibn-Youçof-Ibn-Ali, le maghraouien, à se réfugier auprès des Beni-Ifren à Tedla. En 450 (1058), les Almoravides pénétrèrent dans les montagnes de Deren (l'Atlas), chez les Masmouda, et, après avoir visité tous les recoins de cette région, ils envahirent [la province de] Tedla et y firent de grands ravages. Les Beni-Ifren, princes de ce pays, perdirent la vie, et Laghout, seigneur d'Aghmat, mourut avec

eux.

Zeineb la nefzaouienne, fille d'Ishac-en-Nefzaoui et veuve de Laghout, devint alors l'épouse d'Abou-Bekr-Ibn-Omar. Egalement distinguée par sa beauté et par son habileté politique, cette femme avait été concubine de Youçof-Ibn-Ali-Ibn-Abd-er-Rahman-Ibn-Ouatas avant son mariage avec Laghout. Pendant la domination des Aimgharen1 dans le pays des Masmouda, ce Youçof fut cheikh des Ourîka, des Hezerdja et des Hîlana. Quand les Beni-lfren domptèrent les Ourîka et s'emparèrent d'Aghmat, Zeineb devint la femme de Laghout. Ensuite elle épousa AbouBekr-Ibn-Omar.

Les Almoravides, encouragés par leur chef, entreprirent ensuite la guerre sainte contre les Berghouata, peuple qui habitait Anfa, le Temsa et le littoral occidental du pays. En l'an 450, dans une des rencontres qui eurent lieu entre les deux peuples, Abd-Allah-Ibn-Yacîn perdit la vie. Les Almoravides firent alors choix de Soleiman-Ibn-Addou pour directeur spirituel, et conservèrent à Abou-Bekr-Ibn-Omar les fonctions de commandant militaire. Cet émir continua la guerre contre les Berghouata jus

1. Aimgharen est le pluriel berbère de Maghra, en arabe Maghraoua.

qu'à ce qu'il eut fait disparaître du Maghreb toute trace de cette secte infidèle.

En l'an 451 (1059), douze mois après la mort d'Ibn-Yacîn, son successeur Ibn-Addou périt en combattant ce même peuple. L'année suivante, Abou-Bekr mit le siège devant la ville de Louata, et, l'ayant emportée d'assaut, il passa au fil de l'épée tous les Zenata qui s'y étaient enfermés.

Il n'avait pas encore terminé la conquête du Maghreb, quand il apprit que la division s'était mise entre les Lemtouna et les Messoufa, et cela, dans le Désert même, lieu de leur origine, région où ils avaient jeté leurs premières racines et dans laquelle ils s'étaient multipliés. Craignant que ces dissensions n'amenassent la rupture des liens qui tenaient ces tribus ensemble, il partit pour y porter remède. Cette démarche lui paraissait d'autant plus nécessaire qu'il désirait éviter la rencontre de Bologguîn, fils de Mohammed-Ibn-Hammad et seigneur de la Calâ, qui, en l'an 453, venait de se mettre en marche pour le Maghreb. Ayant donc confié à son cousin Youçof, fils de son oncle parternel Tachefîn, le soin de gouverner ce pays pendant son absence, il lui fit épouser Zeineb avec laquelle il divorça exprès, et se rendit au milieu de son peuple pour réparer les brèches que la discorde y avait opérées. Voulant alors donner libre cours à leur ardeur, il les mena contre les nations infidèles du Soudan, et porta ses armes victorieuses jusqu'à la distance de quatre-vingt-dix journées au delà du pays des Almoravides.

Pendant ce temps, Youçof-Ibn-Tachefîn se tenait sur la frontière du Maghreb, et Bologguîn, ayant assiégé Fez et obtenu des otages pour en assurer la soumission, était rentré dans le Maghreb central. Youçof passa alors dans le Maghreb et en soumit une grande partie. Abou-Bekr y arriva quelque temps après et trouva son lieutenant peu disposé à reconnaître son autorité. Zeineb avait conseillé à Youçof de faire acte d'indépendance, sous les yeux mêmes de son ancien chef, et de lui offrir en cadeau une quantité de ces objets et ustensiles dont on a le plus besoin dans le Désert. L'émir Abou-Bekr comprit la signification de ce don, et, pour éviter un conflit, il céda à Youçof-Ibn-Tachefin le

gouvernement du Maghreb. Rentré dans son pays, il mourut en 480 (1087-8).

Ce fut en 454 (1062) que Youçof-Ibn-Tachefîn fonda la ville de Maroc. Il commença par y établir son camp qu'il entoura d'une enceinte, puis il construisit une mosquée et une petite citadelle destinée à recevoir ses trésors et ses armes. En l'an 526 (1131-2), sous le règne de son fils, la ville fut achevée et fermée de murs. Youçof avait envisagé cet établissement comme une simple position militaire d'où ses troupes pouvaient harasser les tribus masmoudiennes des alentours, habitants des montagnes de Deren. Les Masmouda étaient alors le peuple le plus puissant et le plus nombreux du Maghreb.

Tournant ensuite ses armes contre les Maghraoua, les BeniIfren et les autres tribus zenatiennes, Youçof brisa leur puissance et délivra de leur oppression les populations sédentaires du Maghreb. Au sujet de leur tyrannie, les auteurs qui ont retracé l'histoire de Fez sous leur domination, racontent une foule de traits épouvantables. Dans l'accomplissement de cette entreprise,. il commença par assiéger Fazaz, forteresse où se tenait MehdiIbn-Touala de la tribu d'Idjefech, « peuplade, dit l'auteur du Nadm-el-Djouher', qui faisait partie des Zenata ». Mehdi était devenu seigneur de cette place forte par suite de la mort de son père. Youçof serrait Fazaz de près, quand Mehdi-IbnYouçof-el-Gueznaï 2, seigneur de Miknaça (Mequinez), implora son secours contre Moannecer le maghraouien, souverain de Fez. Il se mit aussitôt en marche, dispersa les troupes de Moannecer, s'empara des forts qui entouraient la ville de Fez et pilla les maisons des alentours. Parvenu, au bout de quelques jours de siège, à en faire prisonnier le gouverneur, Bekkar-IbnIbrahîm, il l'envoya à la mort.

De Fez, il se porta sur Sofrouï où il tua tous les membres de la famille Ouanoudîn qui s'y étaient enfermés; puis, en l'an 455

1. Ce titre signifie : Perles enfilées. L'ouvrage ainsi nommé et qui traitait de l'histoire du Maghreb nous est inconnu.

2. Le texte arabe porte Gueznabi.

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