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Il rendit ainsi à cette dynastie un service qu'elle n'oublia pas. Voulant toutefois s'assurer un lieu de retraite en cas de revers, il bâtit la ville d'Achir sur le flanc d'une montagne située dans le pays des Hosein et appelée encore aujourd'hui la montagne de Tîteri1. Ayant fortifié cette résidence avec l'autorisation d'ElMansour [le Fatemide], il se vit bientôt seigneur d'une des plus grandes villes du Maghreb. L'étendue et la population d'Achîr s'accrurent rapidement, et les pays les plus éloignés y envoyèrent leurs savants et leurs négociants. Quand Ismail-el-Mansour assiégea Abou-Yezid dans le château de Kiana, Zîri lui amena une armée composée de Sanhadja et d'autres peuples berbères. Jusqu'à la prise de cette forteresse, il ne cessa de harceler l'ennemi, et s'étant ainsi acquis l'amitié d'El-Mansour, il rentra en Maghreb comblé d'honneurs et de riches présents. Outre un diplôme qui le constituait chef des Sanhadja, il obtint de ce prince la permission d'élever des palais, des caravansérails et des bains dans Achîr. Il reçut aussi le commandement de la ville et de la province de Tèhert. Quelque temps après, il autorisa son fils Bologguîn à fonder trois villes, l'une sur le bord de la mer et appelée Djézaïr-Beni-Mezghanna (les îles des enfants de Mezghanna)2, et l'autre sur la rive orientale du Chélif et appelée Milîana; la troisième porta le nom des Lemdïa 3, tribu sanhadjienne. Bologguîn fut investi par son père du gouvernement de ces trois places, qui sont encore aujourd'hui les villes les plus importantes du Maghreb central. Zîri ne suspendit jamais ses hostilités contre les Maghraoua, et il montra toujours une fidélité inaltérable à la cause des Fatemides. Djouher-el-Kateb, ayant fait une expédition dans le Maghreb-el-Acsa, par l'ordre d'El-Moëzz-li-Dîn-Illah-Mâdd, amena Zîri avec lui, d'après la recommandation de son souve

1. Voir l'Appendice no I.

2. Maintenant Alger. Les Beni-Mezghanna habitent, de nos jours, l'aghalic des Beni-Djâd, à onze lieues S. E. d'Alger. Voir la carte dressée par MM. Carette et Warnier.

3. Maintenant Médéa, en arabe El-Media. Le mot lemdani s'emploie encore avec la signification de natif de Médéa.

rain, et eut souvent occasion de louer les grands services rendus par ce chef. Quand Yala-Ibn-Mohammed-el-Ifréni perdit la vie, les Zenata soupçonnèrent Ziri d'y avoir contribué. Pendant le siège de Fez, où Ahmed-Ibn-Bekr-el-Djodami résista très longtemps au général Djouher, Zîri déploya une grande bravoure, et, dans une attaque nocturne, emporta la ville par escalade.

La guerre entre Zîri et les Maghraoua devint enfin si acharnéc que ceux-ci formèrent une alliance avec El-Hakem-el-Mostancer souverain oméïade de l'Espagne] et firent proclamer l'autorité de ce prince dans le Maghreb central. Mohammed, fils d'El-Kheir et petit-fils de Mohammed-Ibn-Khazer, prit une part si active à cette démonstration qu'El-Moëzz jugea nécessaire de lui opposer les troupes sanhadjiennes. Il donna en même temps à leur commandant, Ziri, le gouvernement du Maghreb et l'autorisation de s'approprier tous les pays qu'il parviendrait à soumettre. Zîri réunit aussitôt les forces de son territoire et se mit en marche. Son avant-garde poussa en avant, sous la conduite de Bologguîn, afin d'attaquer à l'improviste les troupes zénatiennes qu'Ibn-elKheir était en train de rassembler. Le chef maghraouien n'avait pas encore complété ses dispositions, quand les Sanhadja fondirent sur lui. Il s'ensuivit un des conflits les plus acharnés qu'on eût jamais vus; la ligne de l'armée zénato-maghraouienne fut enfoncée, et Mohammed-Ibn-el-Kheir, se trouvant dans l'impossibilité d'échapper et jugeant la mort inévitable, passa dans un endroit écarté et mit fin à ses jours en se jetant sur son épée. Les Zenata prirent la fuite, et pendant le reste de la journée les Sanhadja continuèrent à les poursuivre et les tailler en pièces. Plusieurs siècles après, on voyait encore les ossements des morts répandus sur le champ de bataille. L'on rapporte que plus d'une dizaine de leurs principaux émirs y perdirent la vie. El-Moëzz reçut les têtes de ces chefs et ressentit la joie la plus vive à l'aspect de ce cadeau que Zîri lui avait envoyé. Quant à El-Hakemel-Mostancer, il éprouva un chagrin profond du coup terrible qui avait ainsi ébranlé son autorité.

Zîri et les Sanhadja parvinrent alors à dompter les peuples nomades du Maghreb; il s'acquit ainsi une grande supériorité

sur Djâfer-Ibn-Ali', seigneur d'El-Mecîla et du Zab, et son rival en rang à la cour du khalife. El-Moëzz, ayant alors pris la résolution de transporter au Caire le siège de son gouvernement, invita Djâfer à quitter El-Mecîla et à venir prendre le commandement de l'Ifrîkïa. Cet émir, redoutant les intrigues qui s'ourdissaient contre lui depuis quelque temps, hésita d'obéir, et ayant appris qu'un des affranchis d'El-Moëzz était en route pour le chercher, il céda à la crainte et s'enfuit d'El-Mecîla. Arrivé au milieu des Maghraoua, il les rallia autour de lui, et profitant des bonnes dispositions que ces peuples lui témoignèrent ainsi que de leur ancien attachement pour les Oméïades, il proclama de nouveau la souveraineté d'El-Hakem-el-Mostancer. Zîri sentit la nécessité de comprimer cette révolte avant que les insurgés eussent le temps de raffermir leur puissance. Il se hâta donc de marcher contre eux et de leur livrer bataille. A la suite d'un combat sanglant, l'armée sanhadjienne fut mise en déroute; le cheval de Zîri s'abattit sous lui, et la retraite des vaincus laissa voir les corps de leur chef et de ses gardes étendus au milieu d'un champ de carnage. La tête de Zîri fut portée à Cordoue par une députation d'émirs maghraouiens, qui avaient pour mission de renouveler à El-Hakem-el-Mostancer le serment de fidélité et de lui demander l'appui de ses armes. Yahya-IbnAli, le frère de Djâfer, conduisit cette députation. Zîri perdit la vie en l'an 3602, après avoir gouverné pendant vingt-six ans.

Quand la nouvelle de ce désastre parvint à Achîr, Bologguîn se mit aussitôt en campagne et remporta sur les Zenata une victoire éclatante. Par cet exploit il vengea non seulement la mort de son père et de ses parents, mais il mérita les éloges d'ElMoëzz et obtint sa nomination au gouvernement d'Achîr, de Tèhert et de toutes les provinces du Maghreb qui avaient composé les états de son prédécesseur. Il reçut, de plus, le gouvernement d'El-Mecîla, du Zab et des autres provinces qui avaient appartenu à Djâfer-Ibn-Ali. L'accroissement de sa puissance et l'éten

1. Voir l'histoire de ce chef dans l'Appendice n° III.

2. En-Noweiri ajoute : dans le mois de Ramadan (juillet 971).

due que ses états venaient de prendre lui permirent d'écraser les Mezata, les Hoouara, les Nefza et les autres Berbères qui habitaient des maisons construites de broussailles. Il pénétra au fond du Maghreb pour châtier les Zenata, et, cette entreprise accomplie, il revint, l'an 361, à la cour du sultan, qui l'avait invité à venir se charger du gouvernement de l'Ifrîkia. Les honneurs dont El-Moëzzle combla en cette occasion excitèrent au plus haut degré la jalousie des Ketama. Ce monarque partit alors pour le Caire, après avoir constitué Bologguîn son lieutenant en Ifrîkia. Tel fut le commencement de la dynastie Zîride.

HISTOIRE DES ZÎRIDES, LIEUTENANTS DES FATEMIDES EN IFRÎKÏA.
ORIGINE ET VICISSITUDES DE LEUR AUTORITÉ.

Quand El-Moëzz se disposa à partir pour l'Orient, il tourna son attention vers les états qu'il allait quitter, et chercha parmi les grands officiers de l'empire un homme fidèle et capable, partisan dévoué de la secte chîite, auquel il pourrait confier le gouvernement du Maghreb et de l'Ifrîkïa. Son choix tomba sur Bologguîn, fils de Zîri-Ibn-Menad. Ce chef, dont la famille s'était attachée, depuis longtemps, au service des Fatemides, venait de châtier les Zenata, ennemis déclarés de cette dynastie, et tout en vengeant la mort de son père, il avait défendu la cause des Chîites et soutenu leur empire1.

El-Moëzz, ayant rappelé

Règne de Bologguîn, fils de Zîri. Bologguîn qui était alors dans le fond du Maghreb, lui confia l'administration de ce pays ainsi que de l'Ifrîkïa. Il laissa toutefois le gouvernement de la Sicile entre les mains de la famille Abou-l-Hacen-el-Kelbi, et maintint Abd-Allah-Ibn-Yakhlofel-Ketami dans celui de Tripoli. A cette occasion il changea le nom de Bologguîn en celui de Youçof, et, lui ayant accordé le surnom

1. Pour l'histoire d'El-Moëzz et de ses prédécesseurs, voir l'Appendice no II. On doit aussi consulter la vie d'El-Moëzz par M. Quatremère.

d'Abou-'l-Fotouh (le père des victoires) et le titre de Seif-edDola (l'épée de l'empire), il lui présenta la robe de lieutenance, le revêtit d'un habillement magnifique et lui donna les plus beaux de ses propres chevaux richement harnachés. Lui ayant alors conféré le droit de commander les troupes, de percevoir l'impôt et d'administrer les provinces, il lui recommanda de bien observer trois choses, savoir de tenir le glaive toujours suspendu sur la tête des Berbères, de ne jamais affranchir les nomades du poids de leurs impôts, et de ne jamais confier un commandement à aucun membre de la famille Ziri. Il le chargea aussi de signaler le commencement de son administration par une expédition dans le Maghreb, afin d'en arracher toutes les semences de révolte et de briser les liens qui attachaient encore ce pays au gouvernement des Oméïades.

En l'an 352 (973), El-Moëzz1 partit pour le Caire, et Bologguîn, qui l'avait accompagné jusqu'aux environs de Sfax, rentra à Cairouan et s'installa dans le palais de son maître. Aussitôt qu'il eut pris le pouvoir en main, il se mit en marche pour le Maghreb, à la tête d'une armée composée de Sanhadjiens et d'un corps de troupes ketamiennes qu'El-Moëzz avait laissé en Ifrîkia. Ibn-Khazer, seigneur du Maghreb central, s'enfuit à Sidjilmessa pour éviter son ennemi héréditaire; les habitants de Tèhert, qui avaient chassé leur gouverneur, virent détruire leur ville par Bologguin en punition de leur révolte, et les Zenata, qui s'étaient rassemblés à Tlemcen, s'en éloignèrent précipitamment quand ils surent que cet émir venait les attaquer. Tlemcen se rendit à discrétion, et les habitants furent transportés à Achir. Bologguin reprit alors la route de Cairouan, en conséquence d'une dépêche par laquelle El-Moëzz lui défendit de pénétrer plus avant dans le Maghreb.

En l'an 367 (977-8), il obtint du khalife Nizar, fils d'El-Moëzz, que Tripoli, Adjedabia et Sort fussent incorporés dans ses états, et aussitôt qu'Abd-Allah-Ibn-Yakhlof, le gouverneur actuel de

1. Ibn-Khaldoun désigne ce prince tantôt par son titre El-Moëzz, et tantôt par son vrai nom Mâdd.

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