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il déshonora, dit-on, le harem de son ancien maître. L'une de ces femmes appartenait à la tribu des Beni-Corra, et ses frères, sur la plainte qu'elle leur fit parvenir, vinrent à Cabes pour l'emmener chez eux. Comme Youçof refusa de la livrer, ils partirent avec Mâmer, fils de Rached, et dénoncèrent la conduite de l'usurpateur à El-Hacen [fils d'Ali], souverain de l'Ifrîkïa. Celui-ci écrivit à Youçof une lettre de reproche, et, n'ayant pas reçu de réponse, il équipa une armée pour se venger. Youçof, ayant eu connaissance de ces préparatifs, fit avertir Roger le Franc, seigneur de la Sicile, qu'il était prêt à le reconnaître pour souverain, à la condition de rester en possession de Cabes et d'y gouverner comme lieutenant de ce prince, ainsi que faisait Ibn-Matrouh à Tripoli. Peu de temps après, il reçut de Roger les pelisses d'honneur et la patente de sa nomination. Quand El-Hacen apprit que Youçof avait pris la livrée de Roger et fait lire au peuple assemblé le diplôme de sa nomination, il partit aussitôt à la tête de son armée et mit le siège devant Cabes. Les habitants se soulevèrent contre Youçof, parce qu'il avait osé reconnaître l'autorité des Francs, et livrèrent la ville à El-Hacen. Youçof se défendit quelque temps dans la citadelle, mais il ne put empêcher cet asile d'être emporté d'assaut. Étant tombé entre les mains de Mâmer-Ibn-Rached et des Beni-Corra, il eut à subir mille tourments on lui coupa même les parties génitales et on les lui mit dans la bouche. Mâmer remplaça alors son frère dans le gouvernement de la ville, et les Beni-Corra emmenèrent leur sœur. Le fils de Youçof s'enfuit [en Sicile], avec son oncle paternel Eïça, et pria Roger de tirer vengeance d'ElHacen. Le prince chrétien écouta leur plainte et, plein d'indignation, il résolut de rompre la trêve qu'il avait faite avec le sultan zîride, trêve qui ne devait expirer que deux années plus tard. D'ailleurs, l'Ifrikïa était alors en proie à la famine et il savait qu'une occasion aussi favorable pour faire la conquête de ce pays ne se présenterait plus. La disette avait commencé en l'an 537 (1142-3); toute l'Afrique septentrionale en souffrit horriblement, et surtout en l'an 542. A cette époque beaucoup de monde quitta les campagnes et les villes pour se réfugier en

Sicile; une foule de malheureux mourut de faim, et on en vint à manger de la chair humaine. Roger s'empressa en conséquence de mettre en mer environ cent cinquante galères, remplies d'hommes et d'armes. Arrivée à Cossura, île située entre ElMehdïa et la Sicile, cette flotte s'empara d'un navire qui venait d'El-Mehdia. On conduisit l'équipage devant George, commandant de l'expédition, et on interrogea les prisonniers sur l'état de l'Afrique. Comme il y avait parmi eux un homme porteur d'une cage de pigeons messagers, on le força d'écrire la note suivante Arrivés à Cossura, nous y avons trouvé quelques navires siciliens, dont les équipages nous ont assuré que la flotte maudite vient de faire voile pour les îles de Constantinople. On lâcha ensuite un des pigeons avec ce billet attaché au cou. L'émir El-Hacen reçut bientôt cette communication et en éprouva une vive satisfaction. George, voulant se montrer inopinément devant El-Mehdïa et cerner la place avant que les habitants eussent le temps de s'en éloigner, régla la marche de sa flotte de manière à pouvoir y arriver au point du jour, mais il essuya un vent contraire et fut obligé de faire marcher ses vaisseaux à la rame. Dans la matinée du 2 Safer (22 juin), les musulmans virent approcher l'ennemi, et George, ayant reconnu que son coup était manqué, écrivit en ces ternies à l'émir El-Hacen : « Nous sommes venus pour venger Mohammed, fils >> de Rached, et pour le rétablir dans le gouvernement de Cabes. >> Vous n'avez rien à craindre de nous, vu que notre traité de paix n'est pas encore prêt à expirer. Il faut cependant nous >> fournir un corps de troupes pour cette expédition. » El-Hacen convoqua aussitôt les jurisconsultes et les notables, afin de les consulter, et, dans cette réunion, il leur tint le discours suivant : « Vous me conseillez de combattre l'ennemi, car, dites-vous, >> notre ville est assez forte pour lui résister. Sachez qu'il pourra débarquer des troupes et nous bloquer par terre et par mer ; >> en ce cas, nous ne pourrions soutenir un long siège, car il nous >> reste à peine un mois de vivres. Il me demande un corps d'ar»mée pour attaquer Cabes, chose à laquelle je ne saurais con» sentir, puisqu'il n'est pas permis d'aider des infidèles contre

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>> des vrais croyants. Si je lui refuse ma coopération, il s'em>> pressera de rompre le traité de paix afin de nous investir, car >> il sait bien que nous ne pouvons pas lui résister. Mon avis est >> donc d'évacuer la ville et d'emmener nos familles avec nous. >> Hâtons-nous et partons de suite. » Ils suivirent ce conseil à l'instant même, et partirent avec leurs familles et leurs effets les plus faciles à transporter. Le reste des habitants se réfugia dans les maisons des chrétiens et dans les églises. Pendant près des deux tiers de la journée, la flotte se tint au large à cause du vent qui lui était contraire; mais, vers le soir, elle aborda, et la ville fut prise sans coup férir. George se rendit au palais où il trouva toute chose à sa place, El-Hacen n'ayant emporté que les objets les plus légers; aussi, les chambres renfermant les trésors des rois zîrides restaient encore pleines de richesses et d'objets rares et précieux. Il y fit mettre les scellés et s'empara de plusieurs concubines qu'El-Hacen avait laissées derrière lui. Quelques officiers de l'armée musulmane restèrent encore dans la ville, ayant eu la précaution de se faire envoyer d'avance des lettres de protection pour eux et leurs familles. Le pillage de la ville. dura deux heures, mais George y mit un terme et fit proclamer une amnistie générale. Ceux des habitants qui s'étaient cachés sortirent alors de leurs retraites et l'ordre s'y rétablit. Le lendemain, le chef chrétien fit venir les Arabes des environs et leur donna des sommes considérables. Quelques soldats de la milicequi n'avaient pas quitté la ville, sortirent à la recherche des habitants qui s'étaient enfuis et leur portèrent des lettres de grâce. Ils emmenèrent aussi des montures pour les femmes et les enfants. Ces malheureux furent ainsi arrachés à une mort certaine et eurent le bonheur de retrouver intactes les choses précieuses qu'ils avaient cachées chez eux. Une semaine s'était à peine écoulée que la plus grande partie de la population se retrouval dans la ville. Quand tout ce monde fut rentré, George expédia un détachement de sa flotte contre Sfax et un autre contre Souça. Ali, fils de l'émir El-Hacen et gouverneur de cette dernière ville, l'avait déjà quittée en apprenant la chute d'El-Mehdïa. Son intention était d'aller joindre son père. Les habitants, le voyant

s'en aller, suivirent son exemple, de sorte que les Francs purent occuper la ville sans éprouver de résistance. Souça fut pris le 12 du mois de Safer (2 juillet). La ville de Sfax avait une forte population arabe; aussi elle ne succomba pas sans combat. Quand l'ennemi s'approcha dans le dessein de s'en emparer, les habitants sortirent pour lui livrer bataille. Les Francs simulèrent une retraite, et, quand ils eurent attiré leurs adversaires loin de la ville, ils se retournèrent contre eux et les mirent en pleine déroute. Une partie des musulmans réussit à rentrer dans Sfax, et le reste se jeta dans les déserts qui l'avoisinent. Les Francs s'emparèrent de la place après avoir livré un assaut qui leur coûta beaucoup de monde. Le vainqueur, ayant ensuite fait proclamer une amnistie, ramena les fuyards, leur rendit leurs femmes et leurs enfants et les traita avec autant de douceur qu'il en avait montré envers ceux de Souça et d'El-Mehdïa. La prise de Sfax eut lieu le 23 du mois de Safer. Quelque temps après, on reçut des lettres du roi Roger, adressées à tous les habitants de l'Ifrikïa et renfermant les plus belles promesses avec l'assurance de sa haute protection. George, ayant rétabli l'ordre dans les villes conquises, conduisit sa flotte contre le château fort appelé Iclîbïa [l'ancienne Clypea]. A son approche, les Arabes se jetèrent dans la place et la défendirent si vigoureusement que les Francs durent se rembarquer et faire voile pour El-Mehdïa, après avoir perdu un grand nombre de soldats. Malgré cet échec, l'ennemi se trouva maître de tout le pays qui s'étend depuis Tripoli jusqu'aux environs de Tunis, et depuis la mer jusqu'au voisinage de Cairouan.

§ VII.

GUERRE ENTRE LE SEIGNEUR DE LA SICILE ET LE ROI
DES ROUM.

En l'an 544 (1149-50), une guerre éclata entre Roger, seigneur de la Sicile, et le roi de Constantinople. Elle dura deux années et empêcha ces princes de rien entreprendre, pendant ce temps, contre les musulmans. Sans cet événement, Roger se

serait emparé de toute l'Ifrîkïa. Il y eut plusieurs combats entre les deux partis, et, dans chaque rencontre, la victoire se déclara pour Roger. Les choses en vinrent au point que la flotte de celui-ci pénétra dans le port de Constantinople d'où elle enleva plusieurs galères et un bon nombre de prisonniers. Les Francs lancèrent même des flèches dans les fenêtres du palais impérial. Ce fut George, vizir du seigneur de la Sicile, qui fit éprouver cet échec aux Grecs, ainsi qu'il en avait déjà fait éprouver aux musulmans de l'Afrique.

§ VIII.

PRISE DE BOUGIE PAR ABD-EL-MOUMEN.

En l'an 546 (1151-2), Abd-el-Moumen se transporta de Maroc à Ceuta où il se mit à équiper une flotte et à écrire aux troupes cantonnées dans le voisinage qu'elles devaient se tenir prêtes à marcher sur la première réquisition. Tout le monde croyait qu'il voulait passer en Espagne, mais sa véritable intention était de marcher contre Bougie. Après avoir fait intercepter toute communication avec le Maghreb central, tant par terre que par mer, il quitta Ceuta dans le mois de Safer 547 (mai-juin 1152), et se dirigea à grandes journées vers l'Orient, en ralliant toutes les troupes qui se trouvaient sur son passage. Le peuple de Bougie ne s'aperçut de rien jusqu'au moment où son territoire se trouva envahi. Son roi, Yahya-Ibn-el-Azîz, ne s'occupait que de chasse et d'amusements frivoles, laissant l'entière direction des affaires à Meimoun-Ibn-Hamdoun. Celuici rassembla l'armée et marcha de Bougie à la rencontre d'Abdel-Moumen; mais, quand il trouva en face de lui l'avant-garde des Almohades, forte de vingt mille cavaliers, il se vit abandonné par ses troupes qui prirent la fuite sans coup férir. Cette avant-garde s'empara alors de Bougie et Abd-el-Moumen y arriva deux jours plus tard. Demeuré sans défenseurs, dont les uns s'étaient sauvés dans les terres et les autres s'étaient embarqués, Yahya courut s'enfermer dans Cosantîna-t-el-Houa (Constantine l'aérienne). Ses frères, El-Hareth et Abd-Allah,

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