approvisionnements de guerre. Rechîc, secrétaire d'état, et Yacoub-Ibn-Ishac eurent le commandement de cette expédition. Aussitôt après leur départ, El-Mansour se mit en campagne ; mais, cédant aux instances de ses officiers, il revint sur ses pas. La garnison de Souça, aidée par les troupes que la flotte y avait débarquées, fit une sortie contre Abou-Yezîd, tailla en pièces ses troupes, livra leur camp au feu et au pillage. Les fuyards cherchèrent à se réfugier dans Cairouan, mais les habitants leur fermèrent la porte de la ville. Abou-Yezîd se dirigea alors vers Sbîba, emmenant avec lui le gouverneur qu'il avait installé dans Cairouan et que les habitants venaient d'expulser. Ceci se passa dans le mois de Choual 334 (mai-juin 946). : Après le départ de ce chef, El-Mansour arriva dans Cairouan et accorda une amnistie aux habitants; il respecta même les femmes et les enfants d'Abou-Yezîd qui y étaient restés, et il leur accorda des pensions pour leur entretien. Une division de son armée sortit alors pour reconnaître les mouvements de l'ennemi, mais elle fut attaquée et mise en déroute par un détachement qu'Abou-Yezîd avait mis en campagne pour découvrir ce qui s'y passait. Ayant de nouveau raffermi son autorité par cette victoire, Abou-Yezid rassembla assez de troupes pour faire le siège de Cairouan. El-Mansour retrancha son armée et attendit l'assaut dès le premier jour, la fortune se déclara pour lui; dans le second, il attaqua l'ennemi avec avantage et conserva sa position jusqu'à ce qu'il eut rallié les secours qui lui arrivaient d'El-Mehdia et de Souça. Découragé par cette vigoureuse résistance, Abou-Yezîd s'éloigna, vers la fin du mois de Dou-lHiddja; puis, au bout de quelque temps, il revint à la charge. Dans les combats qui s'ensuivirent, les revers balançaient les succès; mais enfin El-Mehdïa et Souça se virent encore sérieusement menacées par les troupes de cet aventurier. Pour le décider à la retraite, El-Mansour lui rendit ses femmes et ses enfants, auxquels il donna de riches cadeaux ; il s'attendait alors à quelque répit, puisqu'Abou-Yezîd lui avait promis, sous la foi du serment, qu'il décamperait; mais le 5 Moharrem 335 (août 946), il s'en vit attaquer de nouveau. Bien que, dans les pre miers jours, la fortune ne le favorisât guère, il réussit, le 15 du même mois, à prendre sa revanche. Ayant placé les Berbères à l'aile droite de son armée et les Ketama à l'aile gauche, il se tint lui-même au centre avec ses propres troupes. Abou-Yezid commença la bataille par une charge contre l'aile droite, et, après l'avoir culbutée, il essaya d'enfoncer le centre. Comme El-Mansour demeura inébranlable, le combat se soutint avec acharnement; enfin l'armée du prince fatemide chargea comme un seul homme, renversa les rangs des insurgés, s'empara de leurs bagages et tua tant de monde que le nombre des tètes apportées à Cairouan et livrées aux enfants de la ville pour leur servir de jouets, montait à dix mille. AbouYezid s'enfuit du champ de bataille et tâcha de se réfugier dans Baghaïa, mais les habitants refusèrent de lui ouvrir les portes. Il tenta alors d'y mettre le siège, mais l'approche d'El-Mansour l'obligea à décamper. Ce prince était parti de Cairouan dans le mois de Rebià premier (octobre 946), après y avoir laissé comme lieutenant Merah l'esclavon, et bientôt après il parut devant Baghaïa. Chaque fois que son adversaire se dirigeait vers une forteresse, il l'y avait déjà devancé, et arrivé à Tobna, il reçut une communication importante de Mohammed-Ibn-el-Kheir, seigneur du Maghreb central et partisan d'Abou-Yezîd. Ce chef, qui commandait aux Maghraoua, sollicita et obtint d'El-Mansour sa grâce pleine et entière, à la condition d'aider à la poursuite des rebelles. Abou-Yezid se trouvait chez les Beni-Berzal, tribu qui professait les doctrines des Nekkarïa, quand l'approche d'El-Mansour fut annoncée. Il passa dans le Désert et reparut bientôt après dans le pays des Ghomert. Là encore il se rencontra avec El-Mansour, et, ne pouvant soutenir la charge impétueuse que ce prince dirigea contre lui, il s'enfuit vers le Salat. Poursuivi à travers les précipices et les défilés de cette montagne, il se jeta encore dans le Désert, et El-Mansour, sachant que son adversaire ne pouvait atteindre le Soudan à cause des solitudes affreuses qu'il lui aurait fallu traverser, rentra chez les Ghomert pour l'y attendre, pendant que les bandes de Khazer marchaient sur la piste des fuyards. Arrivé dans le pays des Sanhadja, au milieu des Ghomert, El-Mansour fut accueilli avec de grands honneurs par le chef sanhadjien, Zîri-Ibn-Menad. Une maladie l'ayant contraint à s'arrêter dans cette contrée, Abou-Yezid profita d'une si favorable occasion et vint mettre le siège devant El-Mecîla. Au 1er Redjeb 335 (fin de janvier 947), El-Mansour se trouva assez bien portant pour aller au secours de cette ville et refoula l'ennemi dans le Désert. Abou-Yezid voulut alors se rendre dans le Soudan, mais les Beni-Kemlan refusèrent de l'y accompagner, et il se trouva obligé de se jeter avec eux dans les montagnes des Kiana et des Adjîça. Le 10 du mois de Châban (6 mars), il se vit bloqué dans ses retranchements et en sortit pour repousser les assaillants; mais, ayant essuyé de nouveaux revers, il prit la fuite, pendant que ses partisans et même ses fils mettaient bas les armes. Poursui vi par quelques cavaliers, il fut atteint d'un coup de lance qui le jeta au bas de son cheval. Ses amis vinrent à son secours, et une mêlée s'ensuivit dans laquelle plus de dix mille hommes perdirent la vie. Parvenu encore à s'échapper, il occupa une position tellement escarpée qu'aucun moyen de retraite ne lui resta. El-Mansour, qui n'avait cessé de le poursuivre depuis le commencement de Ramadan (fin de mars), l'attaqua vivement, mit ses partisans en déroute, s'empara de leurs bagages et les força à se réfugier sur les cimes de la montagne. Ils s'y défendirent encore en lançant des pierres sur leurs adversaires, et bientôt les combattants se trouvèrent tellement rapprochés qu'ils purent se battre corps à corps. La nuit vint mettre fin à ce conflit sanglant et Abou-Yezid s'enferma dans le château de Kîana. Tous les Hoouara qui l'avaient accompagné jusqu'à ce moment, prirent le parti de faire leur soumission. El-Mansour attaqua le château à plusieurs reprises et parvint à y mettre le feu. De tous les côtés, on massacra les compagnons d'Abou-Yezid qui tâchaient de s'échapper, et, pendant ce temps, les enfants de ce chef intrépide se tenaient dans le château. A l'entrée de la nuit, El-Mansour fit mettre le feu aux broussailles, afin de mieux découvrir les personnes qui chercheraient à s'évader; mais, au point du jour, les amis d'Abou-Yezid firent une sortie et frayèrent un passage à leur chef à travers les rangs des assiégeants. Les troupes d'El-Mansour les eurent bientôt atteints, et Abou-Yezîd, affaibli par sa blessure, glissa des bras des trois hommes qui l'emportaient et tomba dans un précipice. Il en fut retiré vivant et déposé aux pieds d'El-Mansour, qui se prosterna pour remercier Dieu. Dès ce moment Abou-Yezîd resta en détention auprès du prince fatemide, et vers la fin de Moharrem 336 (août 947), il mourut de ses blessures. Son cadavre fut écorché et sa peau, remplie de paille, fut placée dans une cage pour servir de jouet à deux singes qu'on avait dressés à ce métier. El-Mansour prit alors la route de Cairouan pour se rendre à El-Mehdïa 1. Fadl, fils d'Abou-Yezîd, alla trouver Mâbed-Ibn-Khazer et marcha avec lui contre Tobna et Biskera; mais ils durent se jeter dans les montagnes de Kiana pour échapper à la poursuite d'El-Mansour. Chafe et Caïcer, affranchis de ce monarque, conduisirent une armée contre eux, et Ziri-Ibn-Menad assista à cette expédition avec sa tribu, les Sanhadja. Les deux rebelles finirent par prendre la fuite, leurs partisans se dispersèrent et El-Mansour rentra enfin à Cairouan. § XI. Suite de l'histoire d'el-mANSOUR. Dans le mois de Safer 336 (août-sept. 947), El-Mansour marcha contre Hamid-Ibn-Isliten, gouverneur du Maghreb, qui, ayant cessé de reconnaître l'autorité de Fatemides, venait de mettre le siège devant Tèhert, après avoir proclamé dans cette province la souveraineté des Oméïades espagnols. Arrivé à SoucHamza, il y fit halte pour rallier les Sanhadja de Zîri-Ibn-Menad. Des renforts lui étant arrivés de tous les côtés, il alla délivrer Tehert. Hamid courut s'embarquer à Ténès et se rendit à Cordoue, auprès d'En-Nacer, le souverain oméïade. Pendant son séjour à Tehert, El-Mansour nomma Yala-IbnMohammed l'ifrénide au gouvernement de cette ville et accorda 1. Dans le tome III, se trouve encore un chapitre sur Abou-Yezîd. à Ziri-Ibn-Menad le commandement général des Sanhadja et de toute la région occupée par ce peuple. Ensuite il tourna ses armes contre les Louata, et les ayant refoulés dans le Désert, il occupa une position qui dominait la vallée du Mînas. Là, se voyaient trois montagnes dont chacune était couronnée d'un château en pierres de taille, et, sur la face d'un de ces édifices, on remarqua une large pierre portant une inscription. El-Mansour la fit interpréter et apprit que le sens était celui-ci : Je suis Soleiman le Serdéghos. Les habitants de cette ville s'étant révoltés, le roi m'envoya contre eux et Dieu m'aida à les vaincre. C'est Ibn-erRakîk qui, dans son histoire, rapporte cette circonstance. Après avoir revêtu Zîri-Ibn-Menad des hautes fonctions dont nous venons de parler, El-Mansour partit pour Cairouan, où il arriva dans le mois de Djomada 336 (décembre 947). Averti alors que Fadl, fils d'Abou-Yezid, venait de reparaître dans le Mont-Auras, il marcha aussitôt contre lui et, l'ayant poursuivi à travers le Zab jusqu'au Désert, il reprit la route de Cairouan pour se rendre à El-Mehdïa. Fadl profita de son éloignement pour venir assiéger Baghaïa, mais il fut assassiné par un nommé Batît, et sa tête fut envoyée à El-Mansour. En l'an 339 (950-1), El-Mansour donna le gouvernement de la Sicile à El-Hacen-Ibn-Ali-Ibn-Abi-'l-Kelbi qui remplaça ainsi Khalil-Ibn-Ishac. El-Hacen s'y rendit indépendant et transmit l'autorité à ses enfants, ainsi que je le raconterai ailleurs 2. El-Mansour, ayant appris que le roi des Francs 3se préparait à faire la guerre aux musulmans, expédia une flotte sous la conduite de son affranchi Fareh, , pour observer les mouvements de l'ennemi. Il envoya aussi l'ordre à El-Hacen-Ibn-Ali, gouverneur de la Sicile, de seconder ce général. Les deux chefs débarquèrent en Calabre et pénétrèrent dans le pays des Francs. Red 2. Voir pp. 165 et suiv. de l'extrait d'Ibn-Khaldoun publié par M. Noel des Vergers sous le titre : Histoire de l'Afrique sous la dynastie des Aghlabites, etc. 3. C'est-à-dire l'officier qui gouvernait la Calabre au nom de l'empereur grec, Constantin VII. |