333 (944-5), Touzer fut complètement bloquée. Il reçut ensuite à composition les villes de Tebessa et de Mermadjenna. Ayant pris pour monture un âne gris dont un homme de Mermadjenna lui avait fait cadeau, il fut dès lors appelé l'Homme à l'âne. Son habillement consistait en une chemise de laine, assez courte et à manches étroites. Ayant dispersé l'armée ketamienne établie près de Laribus, il pilla cette ville, la livra aux flammes et massacra toutes les personnes qui s'étaient réfugiées dans la grande mosquée. Un détachement de ses troupes s'empara de Sebîba et en tua le gouverneur. Quand El-Caïm eut connaissance de cette révolte, il se borna à dire : « Sans aucun doute, cet homme s'avancera jusqu'au mosalla d'El-Mehdia. » Il expédia alors des troupes à Cairouan et à Raccada; il chargea Meiçour, l'eunuque, d'aller combattre le rebelle et dépêcha vers Bédja un corps d'armée sous les ordres de son affranchi Bochra. Abou-Yezid attaqua celui-ci, l'obligea à se jeter dans Tunis, et mit le feu à Bédja, après l'avoir livré au pillage. Les hommes et les enfants furent massacrés par son ordre, et les femmes réduites en esclavage. Se voyant soutenu par de nombreuses tribus berbères, il adopta l'usage des tentes, des drapeaux et de tout l'appareil de la guerre. Une armée que Bochra fit partir de Tunis pour le combattre fut mise en déroute; Bochra lui-même s'enfuit de cette ville, et les habitants délaissés firent leur soumission au vainqueur et reçurent de lui un nouveau gouverneur. El-Caïm, ayant alors appris qu'AbouYezîd marchait sur Cairouan, ordonna à Bochra d'aller le combattre et lui recommanda de se faire précéder par des éclaireurs. Le chef insurgé avait pris la même précaution, mais son armée fut mise en déroute, laissant les corps de quatre mille cavaliers surle champ de bataille. Les prisonniers faits dans cette journée furent emmenés à El-Mehdïa et mis à mort. Abou-Yezid vint encore attaquer les troupes ketamiennes, en refoula l'avant-garde dans Cairouan, et, soutenu par une armée de cent mille hommes, cerna la ville de Raccada. Khalil-IbnIshac, gouverneur de la place, s'était attendu à voir Meiçour arriver quand l'ennemi fit son apparition, et, bien qu'il se trouvât sans espoir de secours, il céda aux instances des habitants et tenta de faire lever le siège. Ses troupes marchèrent au combat, mais elles furent repoussées dans la ville et la laissèrent enlever d'assaut. Tout y fut livré au feu et au pillage. Dans le mois de Safer 333 (sept.-oct. 944), Cairouan fut prise et pillée par Aïoubez-Zouîli, l'un des chefs des insurgés, et Khalîl, le gouverneur, auquel on avait promis la vie sauve, fus mis à mort par l'ordre d'Abou-Yezîd. Les cheikhs de la ville allèrent implorer la merci du conquérant et obtinrent leur grâce et la cessation du pillage. Meiçour partit enfin pour attaquer les rebelles, et ayant su, par une lettre d'El-Caïm, que les Beni-Kemlan, tribu qui l'accompagnait, entretenaient une correspondance avec l'ennemi, il les chassa de son camp. Abou-Yezîd, auquel cette peuplade vint aussitôt se rallier, marcha contre les troupes de son adversaire et les força à prendre la fuite. Les Bedi-Kemlan tuèrent Meiçour et portèrent sa tête en triomphe à travers les rues de Cairouan. Pendant qu'Abou-Yezîd faisait annoncer partout la nouvelle de cette victoire, El-Caïm se disposait à soutenir un siège [dans El-Mehdïa], et faisait entourer la ville d'un retranchement. Abou-Yezîd passa soixante-dix jours dans le camp de Meiçour, afin de laisser à ses détachements le temps de parcourir les contrées voisines et d'y faire du butin. Un de ces corps prit d'assaut la ville de Souça 1, et les autres portèrent la dévastation dans toutes les parties de l'Ifrîkïa. Un petit nombre de malheureux, échappés à ce grand désastre, arriva dans Cairouan, sans habits ni chaussures, le reste étant mort de faim et de soif. ElCaïm appela alors à son secours les chefs des Ketama et d'autres tribus berbères, et il pria Zîri-Ibn-Menad, prince des Sanhadja, de lui amener des renforts. Ces chefs étaient encore à faire leurs préparatifs pour se mettre en marche, quand Abou-Yezid, ayant deviné leur intention, alla prendre position à cinq parasangs (lieues) d'El-Mehdïa. Les Ketama, ayant su qu'il avait dis 1. Comme on lit plus loin qu'Abou-Yezid assiégea la ville de Souça après sa tentative contre El-Mehdia, il faut supposer que la première de ces forteresses avait été évacuée par lui et réoccupée par les Fatemides. persé ses troupes dans les environs pour y porter le ravage, résolurent de l'attaquer à l'improviste. On était alors vers la fin de Djomada premier (19 janvier 945). Abou-Yezîd envoya à leur rencontre son fils El-Fadl qui venait de lui amener des renforts de Cairouan, et il le suivit de près avec le reste de l'armée. Les Ketamiens avaient déjà mis les troupes d'El-Fadl en pleine déroute, quand ils virent arriver l'armée d'Abou-Yezid. A cet aspect, ils prirent la fuite sans attendre le combat et se réfugièrent dans El-Mehdia. Abou-Yezîd s'avança jusqu'à la porte de la ville [de Zouîla] et recula ensuite, afin d'en commencer l'attaque quelques jours plus tard. Arrivé alors au bord du retranchement, il en chassa le corps de nègres qui le défendait et, longeant la muraille, il suivit [le bord de] la mer et entra dans le mosalla qui était à une portée de flèche d'El-Mehdïa, Les Berbères qui attaquaient la ville du côté opposé venaient de reculer devant une sortie faite par les Ketama, Ziri-Ibn-Menad allait arriver, aussi Abou-Yezid résolut-il de passer devant la porte d'ElMehdia afin de tourner Zîri et les Ketamiens. Les habitants de Zouila, l'ayant reconnu, coururent aux armes pour le repousser et le mirent dans un péril d'où il eut de la peine à se tirer. II regagna enfin son ancienne position et y trouva ses soldats aux prises avec le corps de nègres 1. Son arrivée redoubla le courage. de ses partisans et amena la retraite de leurs adversaires. Il s'éloigna alors à une petite distance de la ville et se fortifia dans un camp retranché. Une foule immense de Berbères lui étant arrivée du pays des Nefouça, du Zab et du fond du Maghreb, il serra la ville de près, et, vers la fin du mois de Djomada [2], il livra un assaut avec tant d'acharnement qu'il faillit y perdre la vie. D'après son ordre écrit, le gouverneur de Cairouan lui envoya toutes ses troupes disponibles. Vers la fin de Redjeb 1. La ville d'El-Mehdïa occupait l'extrémité d'une péninsule; le faubourg de Zouîla en était situé à l'occident, sur la terre ferme, et touchait des deux côtés à la mer; entre la ville et le faubourg, se trouvait un terrain découvert, large d'une ou deux portées de flèche, et, près d'une extrémité de ce terrain, se voyait un local qu'on avait disposé pour servir de mosalla. (Voir t. I, p. 372.) . (19 mars 945), lors de l'arrivée de ce renfort, il renouvela l'attaque, mais il dut se retirer après un combat qui lui coûta beaucoup de monde ainsi qu'aux Fatemides. Dans les derniers jours du mois de Choual (milieu de juin), il livra un quatrième assaut qui manqua comme les autres. Étant alors rentré dans son camp, il bloqua la ville si étroitement que les habitants finirent par s'enfuir de tous les côtés, après avoir mangé leurs chevaux et même des cadavres. Resté seul avec ses soldats, El-Caïm fit ouvrir les dépôts de blé qué le Mehdi avait eu la précaution de former, et il en distribua le contenu aux troupes de la garnison. Une armée ketamienne qui s'était rassemblée à Constantine fut dispersée, vers cette époque, par un corps d'Ourfeddjouma qu'Abou-Yezîd avait envoyé contre elle. Comme de toutes parts les Berbères accoururent pour se ranger sous ses drapeaux, il se trouva en mesure de [faire] bloquer la ville de Souça; mais la conduite immorale que, depuis quelque temps, il affichait publiquement, finit par scandaliser ses alliés. Cédant à l'indignation et à la jalousie mutuelle qui les animaient, les tribus berbères refusèrent de lui obéir plus longtemps et s'en allèrent chacune chez elle. Cette contrariété l'obligea à rentrer dans Cairouan, où il arriva l'an 334 (945-6). Tout ce qu'il avait laissé dans son camp tomba entre les mains de la garnison d'ElMehdia. Les excès auxquels les Berbères se livrèrent dans les villes et dans les campagnes de l'Ifrîkïa devinrent à la fin si intolérables que les habitants de Cairouan prirent les armes contre eux et reconnurent de nouveau l'autorité d'El-Caïm, Aïoub, fils d'AbouYezîd, répara cet échec en attaquant, de nuit, le camp d'AliIbn-Hamdoun qui venait d'El-Mecila [au secours des Fatemides], et en dispersant les troupes de cet officier. Il marcha ensuite sur Tunis, mais il eut à livrer plusieurs combats aux troupes qu'ElCaïm expédia contre lui, et, à la suite d'une dernière défaite, il se dirigea sur Cairouan. Ceci se passa en l'an 334. Son père l'envoya alors contre Ali-Ibn-Hamdoun qui s'était retiré dans El-Mecîla. L'on se battit à plusieurs reprises avec des alternatives de succès et de revers, mais Aïoub réussit enfin à prendre la ville en au se ménageant des intelligences parmi les habitants. Ibn-Hamdoun s'enfuit dans le pays des Ketama, rassembla les guerriers de cette grande tribu et alla camper à Constantine. De là il expédia une partie de ses troupes contre les Hoouara; mais, moment où cette tribu subissait le châtiment de ses méfaits, elle reçut le secours que lui envoya Abou-Yezîd. Ce renfort ne put cependant pas empêcher Ibn-Hamdoun d'enlever aux Hoouara les villes de Tidjest et de Baghaïa. Dans le mois de Djomada second de la même année (janv.-fév. 946), Abou-Yezid se rendit à Souça pour y assiéger la garnison qu'El-Caïm y avait installée. § IX. MORT D'EL-CAÏM ET AVÈNEMENT DE SON FILS EL-MANSOUR. Abou-l-Cacem-el-Caïm-Mohammed, fils d'Obeid-Allah, mourut en l'an 334 (946) | à El-Mehdïa], pendant le siège de Souça par Abou-Yezîd. Avant de rendre le dernier soupir, il désigna comme héritier du trône son fils Ismaîl. Ce prince, auquel on donna le surnom d'El-Mansour (le victorieux), tint secrète la mort de son père, afin d'empêcher Abou-Yezid de tirer profit d'un événement aussi grave. Tant que le siège dura, il s'abstint de prendre le titre de khalife, il empêcha de changer les inscriptions des monnaies et des drapeaux, et il ne permit pas que la prière publique fut célébrée en son nom. Ces changements n'eurent lieu qu'après la chute d'Abou-Yezîd. § X. Suite de l'Histoire d'abou-YEZÎD. SA MORT. Abou-Yezid avait réduit la ville de Souça à la dernière extrémité quand El-Caïm mourut. Le premier soin d'Ismaîl-el-Mansour fut d'équiper la flotte qui stationnait à El-Mehdïa, et de l'envoyer à Souça pour y déposer des vivres, des troupes et des |