pour sommer les populations à reconnaître son autorité. Le petit nombre qui se refusa à cette invitation fut passé au fil de l'épée. Les principaux personnages parmi les Ketama reçurent, en récompense de leurs services, des sommes d'argent, de belles esclaves et des commandements importants. Les bureaux du gouvernement s'organisèrent, les impôts commençèrent à rentrer régulièrement et, dans toutes les villes, s'installèrent des gouverneurs et d'autres fonctionnaires. Makînoun-Ibn-Debara-elAddjani fut nommé au gouvernement de Tripoli, et El-HacenIbn-Ahmed-Ibn-Abi-Khanzîr à celui de la Sicile. Débarqué à Mazera le 10 de Dou-'l-Hiddja 297 (août 910), Ibn-Abi-Khanzîr confia à son frère le gouvernement de Girgente et à Ishac-Ibn-el-Minhel l'office de cadi. En l'an 298, il traversa la mer et, débarqué sur le bord septentrional [du détroit de Messine], il établit son camp dans la Calabre, province du pays des Francs. Après y avoir répandu la dévastation, il revint en Sicile; mais, par ses actes tyranniques, il indisposa tellement les habitants [musulmans] de cette île qu'ils se jetèrent sur lui et le mirent en prison. El-Mehdi accueillit favorablement la lettre de justification qu'ils lui adressèrent et, ayant agréé leurs excuses, il remplaça Ibn-Abi-Khanzîr par Ibn-Ali-Omar-el-Beloui. Le nouveau gouverneur arriva à sa destination vers la fin de l'année 299. MORT D'ABOU-ABD-ALLAH-ES-CHÎÏ ET DE SON FRÈRE. Obeid-Allah le Mehdi, se voyant maître de l'Ifrîkïa, résista à l'influence que les deux frères Abou-Abd-Allah-es-Chîïet Abou'l-Abbas voulaient exercer sur son esprit ; il ne leur permit même pas de se mêler de ses affaires. Par cette preuve de fermeté, il les blessa si profondément qu'Abou-'l-Abbas ne put dissimuler son mécontentement, malgré les conseils de son frère, et que celui-ci finit par en faire de même. Le Mehdi n'en voulut d'abord rien croire, et Abou-Abd-Allah lui ayant ensuite adressé des remontrances au sujet de sa trop grande familiarité avec le peuple, conduite nuisible, disait-il, au respect dû à la souveraineté, il lui répondit avec beaucoup de douceur et de modération. Frappé cependant du morne silence avec lequel son ancien serviteur accueillit ses paroles, il sentit éveiller ses soupçons, et, dès ce moment, il resta aussi mal disposé pour Abou-Abd-Allah que celui-ci l'était pour lui. Abou-Abd-Allah se mit alors à semer des germes de mécontentement parmi les Ketama et à les exciter contre le Mehdi, « qui, disait-il, s'était approprié les trésors d'Ikdjan sans leur en avoir accordé la moindre partie, et qui pourrait bien n'être ni l'imam impeccable, ni la personne pour laquelle ils avaient tant travaillé à soutenir les droits ». Cette déclaration troubla la confiance des Ketama, de sorte qu'ils chargèrent leur grand cheikh d'exposer au Mehdi les doutes qu'ils avaient conçus, et de lui demander un miracle en preuve du caractère sacré qu'il s'attribuait. Le Mehdi y répondit en faisant mourir l'envoyé et, par cet acte, il fortifia tellement leurs soupçons qu'ils prirent la résolution de l'assassiner. Abou-Zaki-Temmam et plusieurs autres grands personnages de la tribu de Ketama entrèrent dans le complot. Pour déjouer cette conjuration, le Mehdi eut recours à la ruse: chacun de ces chefs reçut sa nomination au gouvernement d'une ville, et Abou-Zaki eut l'ordre d'aller prendre le commandement à Tripoli. Makînoun, le commandant de cette forteresse, avait déjà reçu ses instructions et, aussitôt qu'AbouZaki y fut arrivé, il lui ôta la vie. Ibn-el-Cadîm, qui avait autrefois servi Zîadet-Allah et que l'on soupçonnait d'avoir trempé dans le complot, fut aussitôt mis à mort, et toutes les richesses qu'il tenait de son ancien maître passèrent entre les mains du Mehdi. Voulant alors se défaire d'Abou-Abd-Allah et d'Abou'l-Abbas, ce prince autorisa les frères Arouba-Ibn-Youçof et Hobacha-Ibn-Youçof à les faire mourir. Dans le mois de Djomada 298 (janvier 911), ils rencontrèrent, auprès du château, les deux hommes qui devaient être leurs victimes; Arouba se jeta sur eux, et quand le Chîï lui cria de s'arrêter, il répondit : «< Celui à qui tu nous as ordonné d'obéir nous commande de te » tuer. >> On dit que le Mehdi lui-même présida à l'enterrement du Chîï et qu'il invoqua sur lui la miséricorde divine, déclarant, en même temps, que ce malheureux s'était laissé égarer par les conseils de son frère, Abou-'l-Abbas. Comme la mort de ces deux missionnaires excita une révolte parmi leurs partisans, le Mehdi monta à cheval et réussit à calmer les esprits. Une lutte sanglante, quiéclata ensuite entre les Ketamiens et les habitants de Cairouan, fut calmée de même par le Mehdi qui se rendit au milieu d'eux à cheval. A cette occasion, l'ordre fut donné aux missionnaires de ne plus faire de prosélytes parmi les gens de la basse classe et de mettre à mort plusieurs membres de la famille aghlebide qui étaient rentrés à Raccada après la fuite de Ziadet-Allah 1. Le Mehdi désigna son fils, Abou-'l-Cacem-Nizar, comme successeur au trône, après s'être débarrassé du Chîï, et il accorda le gouvernement de Barca et des contrées qui en dépendent à Hobacha-Ibn-Youçof. Ambeça, frère de Hobacha, reçut le gouvernement du Maghreb et alla s'installer à Baghaïa. La ville de Tehert, dont le Mehdi s'empara ensuite, fut placée sous le commandement de Dowas-Ibn-Soulat-el-Lehici. Plusieurs tribus ketamiennes, ayant pris les armes pour venger la mort du Chîï, mirent à leur tête un enfant auquel ils donnèrent le titre de Mehdi; ils prétendirent même qu'il était prophète et que le Chîï 1. Pour d'autres détails sur la chute des Aghlebides et les exploits d'Abou-Abd-Allah-es-Chiï, voir le chapitre sur l'origine de la dynastie des Fatimis, dans l'Histoire des Druzes, de M. de Sacy, t. I, p. CCXLVII et suiv., ainsi que The Establishment of the Fatemite Dynasty in Africa, par M. J. Nicholson, Tubingue, 1840, traduit sur le manuscrit arabe de la bibliothèque de Gotha, n° 261. Il faudrait aussi consulter le texte arabe du Baïan, ouvrage dont le savant éditeur, M. Dozy, devrait bien nous donner la traduction. Pour l'histoire des Arabes de la Sicile, on. a un long chapitre d'En-Noweiri, traduit en français par J.J.-A. Caussin. Cette traduction aurait besoin d'être revue et corrigée à l'aide du texte arabe. vivait encore. Abou-l-Cacem, fils du Mehdi, marcha contre eux, les tailla en pièces, tua l'enfant et revint auprès de son père, dont il venait ainsi d'exécuter les ordres. En l'an 300 (912-3), le peuple de Tripoli se révolta et chassa son gouverneur, Makînoun. Abou-'l-Cacem partit pour le châtier, d'après les ordres de son père, et, à la suite d'un long siège, il s'empara de la ville, passa au fil de l'épée une partie des habitants et frappa les survivants d'une contribution de trois cent mille pièces d'or. L'année suivante, le Mehdi plaça ce même prince à la tête d'un corps de troupes ketamiennes et l'envoya contre la ville d'Alexandrie, en Égypte, pendant qu'une flotte de deux cents. navires, parfaitement approvisionnée et commandée par Hobacha-Ibn-Youçof, partit pour la même destination. Abou-lCacem soumit d'abord le pays de Barca et se rendit ensuite maître d'Alexandrie et de la province d'El-Faiyoum; mais, à la suite de plusieurs combats qu'il eut à soutenir contre les troupes que le khalife El-Moctader y avait envoyées de Baghdad, sous la conduite de ses généraux, Tikîn et Mounès l'eunuque, il se vit forcé d'évacuer l'Égypte et de rentrer en Maghreb. Hobacha arriva avec sa flotte à Alexandrie, en l'an 202, et prit possession de la ville. Il marcha ensuite sur le Vieux-Caire ; mais, ayant perdu sept mille hommes dans le dernier des nombreux combats que Mounès lui livra, il s'empressa de repartir pour le Maghreb où il fut mis à mort par l'ordre du Mehdi. Cet acte de sévérité porta Arouba, frère de Hobacha, à lever l'étendard de la révolte et à rassembler une nombreuse armée composée de Ketamiens et d'autres peuples berbères. Ghaleb, affranchi du Mehdi, marcha contre les insurgés et les dispersa, après leur avoir tué beaucoup de monde. Dans cette bataille, Arouba et ses cousins perdirent la vie. En l'an 304 (916-7), les habitants de la Sicile arrêtèrent leur gouverneur, Ali-Ibn-Omar, et choisirent pour chef Ahmed-IbnCorhob. Comme cet officier n'eut rien de plus pressé que de proclamer, dans cette île, la souveraineté du khalife abbacide El-Moetader, le Mehdi donna à El-Hacen-Ibn-Abi-Khanzîr le commandement d'une flotte et l'envoya contre les rebelles. Cette flotte fut dispersée par celle d'Ibn-Corhob, et son chef périt dans le conflit. Quelque temps après, les Siciliens rétablirent l'ancien ordre de choses et envoyèrent Ibn-Corhob prisonnier en Ifrîkïa, où le Mehdi le fit immoler sur le tombeau d'Ibn-AbiKhanzîr. Un nouveau gouverneur, nommé Ali-Ibn-Mouça-IbnAhmed, leur arriva alors de la part du Mehdi, amenant avec lui un corps de troupes ketamiennes. La perspective du danger auquel l'empire serait exposé dans le cas où les Kharedjites [de l'Ifrikïa] prendraient les armes, décida le Mehdi à fonder, sur le bord de la mer, une ville qui pût servir d'asile aux membres de sa famille. L'on rapporte, à ce sujet, qu'il prononça les paroles suivantes : « Je bâtirai cette >> ville pour que les Fatemides puissent s'y réfugier pendant >> une courte durée de temps. Il me semble les y voir, ainsi que » l'endroit, en dehors des murailles, où l'homme à l'âne vien» dra s'arrêter. » Il se rendit lui-même sur la côte afin de choisir un emplacement pour sa nouvelle capitale, et, après avoir visité Tunis et Carthage, il vint à une péninsule ayant la forme d'une main avec le poignet : ce fut là qu'il fonda la ville qui devait être le siège du gouvernement. Une forte muraille, garnie de portes en fer, l'entourait de tous les côtés, et chaque battant de porte pesait cent quintaux. On commença les travaux vers la fin de l'an 303 (juin 916). Quand les murailles furent élevées, le Mehdi y monta et lança une flèche du côté de l'occident. Faisant alors remarquer le lieu où elle tomba, il dit : « Voilà l'endroit auquel parviendra l'homme à l'âne », voulant ainsi désigner Abou-Yezîd. Il fit tailler dans la colline un arsenal qui pouvait contenir cent galères (chini); des citernes et des silos y furent creusés par son ordre; des maisons et des palais s'y élevèrent et tout ce travail fut achevé en l'an 306 (918-9). Après avoir mené à terme cette entreprise, il s'écria : « Je suis maintenant tranquille sur le sort des Fatemides ! » 1. Il sera question de ce personnage plus loin. |