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livres de Melahem 1 qu'il tenait de ses ancêtres; mais, pendant la route, ces volumes lui furent dérobés. L'on dit que son fils Abou-l-Cacem se les fit rendre à Barca, lors de son expédition contre l'Égypte. Arrivé à Tripoli, il s'y arrêta et laissa partir les marchands qui composaient la caravane. Il envoya toutefois avec eux Abou-'l-Abbas, frère d'Abou-Abd-Allah-es-Chîï, auquel il avait donné l'ordre d'aller joindre ce missionnaire dans le pays des Ketama. Abou-'l-Abbas voulut s'y rendre, en passant par Cairouan; mais, comme Zîadet-Allah l'aghlebide était déjà prévenu des mouvements du Mehdi et faisait subir à tous les voyageurs un interrogatoire sévère, il fut arrêté et questionné comme les autres. Ne pouvant rien tirer de lui, Zîadet-Allah le fit mettre en prison et envoya au gouverneur de Tripoli l'ordre de se saisir du Mehdi. Celui-ci échappa au danger et, passant près de Constantine, où il n'osa pas entrer, il continua sa route jusqu'à Sidjilmessa 2. Elîçâ-Ibn-Midrar, souverain de cette ville, l'accueillit avec distinction; mais, ayant ensuite appris par une lettre de Ziadet-Allah ou du khalife El-Moktefi, selon un autre récit, que son hôte était le Mehdi dont les émissaires se donnaient tant de mouvement dans le pays des Ketama, il le fit mettre en prison.

La mort d'Abou-'l-Khawal qui, pendant quelque temps avait tenu Abou-Abd-Allah en échec, permit à cet habile missionnaire de rallier tous les Ketama et de mettre le siège devant Setîf. AliIbn-Djâfer-Ibn-Asloudja, gouverneur de cette ville, et son frère Abou-Habib, y perdirent la vie; mais Dawoud-Ibn-Habatha, personnage éminent de la tribu de Lehîça, lequel s'y était ré

1. On donne le nom de Melahem à de certains ouvrages dans lesquels on a rassemblé des prédictions touchant les révolutions des empires et autres graves événements. Consultez, à ce sujet, la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, t. II, p. 298 et suiv.

2. Il évita de se rendre auprès de son missionnaire, Abou-Abd-Allahes-Chiï, pour ne pas compromettre les jours d'Abou-'l-Abbas; car Zîadet-Allah aurait alors acquis la certitude que celui-ci était effectivement l'une des personnes qu'il cherchait. — (Ibn-el-Athîr.)

fugié avec plusieurs autres chefs ketamiens, prit le commandement des assiégés. La place finit par capituler et fut ruinée de fond en comble par l'ordre d'Abou-Abd-Allah. Zîadet-Allah envoya alors une nouvelle expédition contre les Ketama. Cette armée, forte de quarante mille hommes et commandée par Ibn-Hobaïch, membre de la famille des Aghleb, s'avança jusqu'à Constantine, et, s'y étant arrêtée, elle laissa aux Ketama le temps de se retrancher dans leurs montagnes. Ibn-Hobaïch alla ensuite leur livrer bataille près de la ville de Belezma, mais il essuya une défaite et dut rentrer à Cairouan après s'être réfugié dans la ville de Baghaïa.

Quelques Ketamiens, auxquels le Chîï avait donné l'ordre de porter au Mehdi la nouvelle de cette victoire, s'y prirent avec tant d'adresse qu'ils purent accomplir leur mission sans être découverts. Le Chiï marcha ensuite sur Tobna, en tua le gouverneur, Feth-Ibn-Yahya-el-Messalti, et obtint la possession de cette place après avoir accordé une amnistie aux habitants. De là il alla emporter d'assaut la ville de Belezma, mais il perdit en même temps celle de Dar-Melouwel; une colonne de troupes que Zîadet-Allah avait envoyée contre lui sous les ordres de Harounet-Tobni, gouverneur de Baghaïa, étant venue ruiner cette place et en exterminer les habitants. Arouba-Ibn-Youçof, un des officiers du Chîï, essuya alors une défaite dans une rencontre avec Haroun, et mourut sur le champ de bataille. Bientôt après, Youçof-el-Ghassani, un autre général du Chîï, reçut à capitulation la ville de Tîdjist et permit à la garnison de se retirer dans Cairouan.

Pendant que les populations [de l'Ifrikïa] souhaitaient le triomphe d'Abou-Abd-Allah à cause de sa clémence envers les vaincus et de son respect pour les traités, Ziadet-Allah recevait à toute heure les nouvelles les plus fâcheuses et vidait son trésor afin d'organiser une nouvelle armée et de réparer ses places fortes. En l'an 295 (907-8), il se mit lui-même en campagne et marcha jusqu'à Laribus; mais, n'osant pas risquer un combat, il écouta les conseils de son entourage, ramena ses troupes à Cairouan et chargea son parent, Ibrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb, d'en

prendre le commandement et de se bien défendre dans cette forteresse. Le Chîï s'avança alors contre Baghaïa, qui capitula aussitôt, le gouverneur s'étant enfui à son approche, et de là il expédia un détachement qui prit Mermadjenna d'assaut et en tua le commandant. Encouragé par ce succès, illança ses colonnes sur I'Ifrîkïa et dirigea plusieurs expéditions contre les Nefza et les autres Berbères. Les habitants de Tîfech lui firent leur soumission, et ayant ainsi mérité leur grâce, il reçurent comme gouverneur Souab-Ibn-Abi-'l-Cacem-es-Sektaï ; mais Ibahîm-IbnAbi-'l-Aghleb vint bientôt les faire rentrer sous la domination .aghlebide. Le Chîïte rassembla alors une nombreuse armée et marcha sur Baghaïa, d'où il alla s'emparer de Meskiana et de Tebessa. Il se dirigea ensuite vers El-Casrein, dans la province de Camouda, reçut les habitants de cette ville à composition et marcha sur Raccada. Pour détourner le danger qui menaçait Ziadet-Allah, danger d'autant plus grand que la garnison de cette place était peu nombreuse, Ibrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb alla livrer bataille au Chiï et le contraignit à se réfugier dans Ikdjan. Étant alors rentré à Laribus, il donna à son adversaire l'occasion de mettre le siège devant Constantine. Les habitants de cette ville capitulèrent pour avoir la vie sauve, et ceux de Cassa 1 imitèrent leur exemple. Le vainqueur se porta alors jusqu'à Baghaïa pour y laisser une garnison sous les ordres d'AbouMekdoula de la tribu de Djîmela, puis il reprit la route d'Ikdjan. Ayant ensuite appris qu'Ibn-Abi-'l-Aghleb voulait profiter de son éloignement pour attaquer Baghaïa, il plaça un corps de douze mille hommes sous les ordres de trois de ses officiers, Abou-l-Medini-Ibn-Ferroukh-el-Lehîci, Arouba-Ibn-Youçofel-Melouchi et Redja-Ibn-Abi-Conna, en les chargeant d'aller couvrir la ville. Ces généraux repoussèrent Ibn-Abi-`l-Aghleb jusqu'au défilé d'El-Arar 2, où ils cessèrent la poursuite.

En l'an 296 (908-9), Abou-Abd-Allah le Chîï marcha sur La

1. Encore une ville dont la position est inconnue.

2. Il y a un endroit de ce nom sur la route de Constantine à Batna.

ribus à la tête de deux cent mille hommes ', et, ayant combattu Ibn-el-Aghleb pendant plusieurs jours, il le força à évacuer le camp où il s'était retranché et à prendre la route de Cairouan. Laribus fut livré à la fureur du soldat et le vainqueur s'était déjà avancé jusqu'à Camouda, quand Ziadet-Allah quitta Raccada en toute hâte pour se rendre en Orient. Les palais de Raccada furent aussitôt mis au pillage, et les habitants de la ville coururent se réfugier, les uns dans Cairouan et les autres dans Souça. Ibrahim-Ibn-Abi-'l-Aghleb, étant arrivé sur ces entrefaites à Cairouan, se rendit à la maison du gouvernement, convoqua les notables et les invita à le reconnaître comme souverain. Il leur demanda aussi des secours d'argent; mais, voyant qu'ils lui faisaient des difficultés et que la populace commençait à s'émeuter contre lui, il prit la fuite et courut rejoindre ZîadetAllah.

Abou-Abd-Allah, ayant appris le départ des Aghlebides,quitta Sebîba, où il se trouvait alors, et marcha sur Raccada. Son avant-garde, sous les ordres d'Arouba-Ibn-Youçof et de HacenIbn-Abi-Khanzîr, entra dans la place en proclamant une am-` nistie générale, et, en effet, un accueil plein de bienveillance fut accordé par le Chîï aux habitants de cette ville et à ceux de Cairouan. Dans le mois de Redjeb 296 (avril 909), Abou-AbdAllah fit son entrée à Raccada, et, descendu au palais, il donna l'ordre de retirer son frère, Abou-'l-Abbas, de la prison où on le retenait. Par une amnistie qu'il fit alors proclamer, il ramena tous les fuyards qui avaient abandonné Cairouan 2. Ensuite ilenvoya de nouveaux gouverneurs dans les provinces de l'empire. et parvint à en expulser les malfaiteurs qui y entretenaient le désordre. Il partagea les maisons de la ville entre ses Ketamiens, fit réunir et mettre sous bonne garde les trésors et les armes que Zîadet-Allah y avait laissés et prit sous sa protection toutes les jeunes esclaves que ce prince n'avait pu emmener. Quand

1. Ce chiffre est évidemment exagéré.

2. Ibn-Khaldoun aurait dû ajouter que, peu de temps après la prise de Raccada, le Chîï occupa Cairouan,

les prédicateurs vinrent lui demander quel était le souverain au nom duquel ils devaient faire la prière, il ne leur désigna personne; mais, d'après ses ordres, on frappa des monnaies portant, sur une des faces, les mots Hoddja-'t-Allah (la preuve de Dieu), et, sur l'autre, tefarrac ada Ollah (que les ennemis de Dieu soient dispersés). Sur les armes il fit inscrire les mots fi sebil Illah (dans la voie de Dieu), et il marqua les chevaux des mots el-molk lillah (le royaume appartient à Dieu). Il partit alors pour Sidjilmessa, afin de délivrer Obeid-Allah; mais, avant de se mettre en marche, il désigna son frère pour gouverner l'Ifrîkïa pendant son absence et il plaça auprès de lui le chef addjanien, Abou-Zaki-Temmam-Ibn-Temîm. Aussitôt qu'il se fut mis en campagne, une agitation extrême se répandit par tout le Maghreb, les Zenata s'étant empressés d'abandonner le pays qu'il devait traverser et d'offrir leur soumission. Elîçà-Ibn-Midrar, souverain de Sidjilmessa, auquel il envoya une députation dans l'espoir de l'amener à un accommodement, en fit mourir tous les membres et sortit de sa ville pour livrer bataille. Quand les deux armées se trouvèrent en présence, celle d'Elîçâ recula dans le plus grand désordre et il prit lui-même la fuite, suivi d'un petit nombre d'amis. Le lendemain, les habitants de Sidjilmessa allèrent au-devant du Chîï et l'accompagnèrent jusqu'à la prison où le Mehdi et son fils étaient enfermés. Les en ayant fait sortir, il prêta hommage au Mehdi et les fit monter à cheval; puis il marcha à pied devant eux, ainsi que tous les chefs de tribu, et les conduisit ainsi au camp, en versant des larmes de joie. « Le voici, s'écria-t-il, le voici, votre seigneur! » Eliçâ tomba entre les mains des personnes envoyées à sa poursuite et fut mis à mort par l'ordre du Chîïte.

Après avoir passé quarante jours à Sidjilmessa, les vainqueurs reprirent le chemin de l'Ifrîkïa, et le Chîï, en passant par Ikdjan, remit au Mehdi tous les trésors déposés dans cette ville. Ils arrivèrent à Raccada dans le mois de Rebià 297 (déc. 909), et les habitants de Cairouan s'y rendirent aussi pour prêter le serment de fidélité au Mehdi. Ce prince, étant ainsi parvenu au pouvoir, envoya des agents dans toutes les parties de l'empire

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