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ensemble, il découvrit que son hôte était le missionnaire qu'on attendait. Les voyageurs, s'étant alors remis en route accompagnés d'Ibn-Hamdoun, arrivèrent dans le pays des Ketama, en 280 (893) 1. Ils s'arrêtèrent à Ikdjan, ville située dans le territoire des Beni-Sekyan, branche de la tribu de Djemîla 2. MouçaIbn-Horeith, chef de l'endroit, leur assigna un logement à Feddjel-Akhyar (le ravin des gens de bien) 3, se conformant ainsi à une déclaration faite par le Mehdi et dont il eut connaissance. Cet imam avait annoncé qu'il serait lui-même obligé d'abandonner son pays, qu'il aurait pour défenseurs les gens de bien de son époque et que leur nom serait un dérivé de la racine du verbe ketem (cacher) 5. Une foule de Ketamiens se joignirent à Abou-Abd-Allah; leurs docteurs eurent des conférences avec lui et devinrent ses amis dévoués. Alors il leur déclara que l'imamat appartenait à un membre de la famille [de Mahomet], et il les invita à soutenir la cause de l'agréé (er-rida). Les Ketamiens, en grand nombre, embrassèrent les doctrines du missionnaire, auquel ils donnèrent les noms d'Abou-Abd-Allahes-Chi et d'El-Machreki (l'oriental).

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L'émir de l'Ifrîkïa, Ibrahîm-Ibn-Ahmed l'aghlebide, apprit les manœuvres d'Abou-Abd-Allah et lui envoya une lettre menaçante, à laquelle il reçut une réponse conçue en des termes outrageants. Alors ses préfets, tels que Mouça-Ibn-Aïach, gouverneurd'El-Mecîla, Ali-Ibn-Hafs-Ibn-Asloudja, gouverneur

1. Le manuscrit d'Ibn-Khaldoun porte 288; je suis l'autorité d'Ibnel-Athîr, d'En-Noweiri et de l'auteur du Baïan; mais je dois faire observer qu'El-Macrîzi donne la même date que notre auteur.

2. La tribu de Djemîla ou Djîmela a donné son nom aux ruines romaines qui se voient à six lieues E. N. E. de Setif.

3. Cette localité doit être cherchée entre Djemîla, Setif et Mila.

4. Le texte arabe porte : « que le Mehdi aurait une hégire et que les gens de bien seraient ses ansars », c'est-à-dire que son sort serait analogue à celui de Mahomet qui émigra (hedjer) de la Mecque et trouva des défenseurs (ansar) à Médine.

5. Les Arabes font dériver le mot Ketama de kitman, nom d'action du verbe ketem.

6. Ces deux pièces sont rapportées par En-Noweiri.

de Setif, et Haï-Ibn-Temîm, gouverneur de Belezma, portèrent la guerre chez les Ketama, dont les cheikhs craignaient extrêmement le pouvoir du souverain aghlebide. Quatre de ces chefs, Feth-Ibn-Yahya-el-Amîr le messaltien, Mehdi-Ibn-Abi-Kenaouale lehîcien, Carh-Ibn-Hairan l'addjanien et Temil-IbnFahl le latanien, se réunirent alors en conseil et prirent la résolution d'exiger de Baïan-Ibn-Saclab, chef des Beni-Sektan[Sekyan], l'extradition d'Abou-Abd-Allah, lequel se trouvait encore à Mont-Ikdjan; ils lui annoncèrent aussi que son refus aurait les suites les plus fâcheuses. Plusieurs légistes auxquels Baïan soumit cette demande, déclarèrent qu'il fallait livrer cet agent de désordre; mais la tribu de Djîmela prit la défense de son hôte et chassa ceux qui lui voulaient du mal. Les mêmes chefs renouvelèrent leurs démarches auprès de Baïan-Ibn-Saclab et parvinrent à s'en faire écouter; mais Abou-Abd-Allah et ses partisans s'aperçurent du danger et se réfugièrent auprès d'ElHacen-Ibn-Haroun. Ce chef les reçut à Tazrout 2, ville appartenant à sa tribu, les Ghasman. Les familles ketamiennes qui avaient prêté le serment de fidélité au missionnaire, ayant alors appris que les Ghasman s'étaient déclarés pour lui, s'empressèrent d'aller les joindre, de sorte que l'autorité de cet aventurier prit un grand accroissement.

Quelque temps après, Mahmoud-Ibn-Haroun chercha à enlever le commandement des Ghasman à son frère El-Hacen, et, pour mieux y parvenir, il se concerta avec son ami, Mehdi-Ibn-AbiKenaoua, afin de ruiner l'influence d'Abou-Abd-Allah. Une guerre eut donc lieu entre les Lehîça et les Ghasman, et AbouAbd-Allah, qui, jusqu'alors, s'était tenu caché, chargea ElHacen de combattre pour lui. Mehdi fut tué par son frère AbouMedîni, lequel prit alors le commandement des Lehîça et passa avec eux du côté d'Abou-Abd-Allah. Le reste des Ketama se rassembla pour combattre le chîïte et pour l'assiéger dans Tazrout. Sehel-Ibn-Foucach se rendit alors auprès de son beau-père Fahl

1. Variante: Kenaza.

2. Tazrout est situé à deux ou trois lieues au sud-ouest de Mila.

Ibn-Nouh, chef des Latana, afin de le décider à quitter le parti des coalisés et à faire la paix. Cette démarche n'eut aucun succès, et Abou-Abd-Allah, qui l'avait provoquée, marcha contre ses adversaires et les mit en fuite. Arouba-Ibn-Youçof-el-Melouchi se distingua par sa bravoure dans cette journée dont les suites furent très importantes : tous les Ghasman, les Lehîça et même les tribus de Belezma se rangèrent sous le drapeau du vainqueur. Les Addjana vinrent aussi se joindre à lui, sous la conduite de Makinoun-Ibn-Debara et Abou-Zaki-Temmam-Ibn-Moarek. Feredj-Ibn-Kheiran, chef des Addjana, Youçof-Ibn-Mahmoudet Fahl-Ibn-Nouh, chefs des Latana, parvinrent à se réfugier dans Mila. Feth-Ibn-Yahya rassembla tous les membres de satribu, les Messalta, qui reconnaissaient encore son autorité, et se prépara au combat ; mais ses troupes furent mises en déroute par celles d'Abou-Abd-Allah, et les fuyards, qui s'étaient jetés dans Setîf, embrassèrent la cause du vainqueur. Feth-Ibn-Yahya, leur ancien chef, fut remplacé par Haroun-Ibn-Yahya, membre de la même tribu, et obligé de se réfugier chez les Addjîça. Un nouveau corps de troupes, qu'il parvint à rassembler, s'enferma avec lui dans une des places fortes de ce pays, mais leur asile fut bientôt assiégé et pris. Abou-Abd-Allah, ayant alors réuni sous ses drapeaux les Addjîça, les Zouaoua et toutes les fractions de la grande tribu des Ketama, revint à Tazrout d'où il répandit ses émissaires dans tout le pays.

Pendant que les populations de la province faisaient leur soumission, les unes de bon gré, les autres contraintes par la force des armes, Feth-Ibn-Yahya se rendit à Tunis, afin de porter l'émir aghlebide, Ibrahîm-Ibn-Ahmed, à se mettre en campagne. Le Chiïte s'empara alors de Mila par la trahison d'un des habitants, et, en ayant tué le gouverneur, Mouça-Ibn-Aïach, il le remplaça par Abou-Youçof-Makinoun-Ibn-Debara-el-Addjani. Ibrahim, fils de Mouça-Ibn-Aïach, parvint à joindre Abou-'lAbbas l'aghlebide, fils d'Ibrahim, qui se trouvait alors à Tunis, son père étant parti pour la Sicile. Abou-l-Abbas avait déjà vu arriver Feth-Ibn-Yahya-el-Messalti, et lui avait promis des secours; aussi fit-il partir sur-le-champ ces deux chefs, accom

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pagnés d'un corps de troupes sous les ordres de son fils Abou'l-Khawal1. Cette expédition quitta Tunis en l'an 289 (902) et soumit les Ketama; ensuite elle se dirigea sur Tazrout et mit en fuite les troupes qu'Abou-Abd-Allah avait concentrées auprès de la ville de Melouça 2. Le Chiïte abandonna aussitôt la forteresse de Tazrout et courut s'enfermer dans Ikdjan. Abou-'l-Khawal marcha contre 'lui, après avoir démantelé Tazrout; mais, à mesure qu'il s'avançait dans le territoire des Ketama, les difficultés augmentèrent et le découragement se mit alors parmi ses troupes. Ibrahim, fils de Mouça-Ibn-Aïach, ayant été envoyé à la découverte du côté de Mîla, vit son détachement mis en déroute par les insurgés et eut beaucoup de peine à leur échapper et à rentrer au camp. La position d'Abou-'l-Khawal empira tellement qu'il évacua le pays des Ketama.

Abou-Abd-Allah établit alors sa demeure à Ikdjan, où il fonda une ville qu'il appela Dar-el-Hidjra (maison de la retraite), et, comme son pouvoir était devenu trop grand pour être méconnu, il rallia à sa cause une foule de tribus. Quelque temps après, El-Hacen-Ibn-Haroun cessa de vivre, et Abou-'l-Khawal, qui avait été placé par son père, Abou-'l-Abbas, à la tête d'une seconde expédition, envahit de nouveau le pays des Ketama. Cette tentative n'eut point de succès, et le prince aghlebide dut rétrograder vers une position d'où il pourrait mieux s'opposer au progrès de l'ennemi. Sur ces entrefaites, eurent lieu la mort. d'Ibrahim-Ibn-Ahmed l'aghlebide et l'assassinat de son fils Abou'l-Abbas. Zîadet-Allah prit alors le commandement de l'état et fit mourir Abou-'l-Khawal qu'il avait rappelé à Tunis. S'étant ensuite transporté à Raccada, il se plongea dans la débauche, pendant que l'autorité du Chîïte grandissait tous les jours et que les armées de cet aventurier envahissaient le territoire de l'em

1. En-Noweiri écrit ce nom El-Ahouel dans son histoire des Aghlebides (voir t. I de notre ouvrage, p. 440); mais, dans son histoire des Fatemides, il emploie la même orthographe qu'Ibn-Khaldoun.

2. La position de cette ville est inconnue. On peut supposer qu'elle n'était pas loin de Tazrout, du côté du sud.

pire. Ce fut vers cette époque qu'Abou-Abd-Allah annonça la prochaine apparition du Mehdi, et sa parole ne tarda pas à s'accomplir.

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LE MEHDI ARRIVE EN MAGHREB ET EST EMPRISONNÉ A
IL RECOUVRE LA LIBERTÉ ET S'EMPARE DU POU-

SIDJILMESSA.

VOIR.

Mohammed-el-Habib, étant près de mourir, légua l'imamat à son fils Obeid-Allah, et lui adressa ces paroles : « C'est toi qui >> es le Mehdi ; après ma mort tu dois te réfugier dans un pays >> lointain où tu auras à subir de rudes épreuves. » Quand la nouvelle de cet événement parvint aux missionnaires qui se trouvaient en Ifrîkïa et en Yémen, Abou-Abd-Allah chargea quelques Ketamiens d'aller annoncer au Mehdi le triomphe que Dieu leur avait accordé et de l'informer que l'on désirait sa présence en Ifrîkïa. Le bruit de l'apparition du Mehdi s'étant répandu partout, le khalife abbacide, El-Moktefi, ordonna des perquisitions pour le découvrir. Obeid-Allah s'enfuit alors de la Syrie et passa en Irac, d'où il se rendit en Égypte avec son fils Abou-'l-Cacem, qui était encore très jeune, et avec quelques amis dévoués, accompagnés de leurs serviteurs. Il s'était d'abord proposé d'aller en Yémen; mais, ayant appris qu'Ali-Ibn-elFadl, le successeur d'Ibn-Haucheb, s'était très mal conduit dans ce pays, il renonça à son projet et résolut d'aller trouver AbouAbd-Allah dans le Maghreb. En quittant le Vieux-Caire, il se dirigea sur Alexandrie, d'où il se remit en route avec ses amis déguisés en marchands. Eïça-en-Noucheri, gouverneur du Caire, avait déjà reçu une dépêche d'El-Moktefi, renfermant le signalement du fugitif et l'ordre d'aposter des agents partout, afin de l'arrêter. Il parvint effectivement à découvrir les voyageurs, mais ne pouvant constater leur identité malgré le soin qu'il avait mis à les interroger, il jugea convenable de les relâcher. El-Mehdi partit sur-le-champ et marcha à grandes journées jusqu'à Tripoli. Il avait emporté dans son sac de voyage plusieurs

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