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l'envoya en Yémen comme missionnaire (daï), sur la nouvelle que Mohammed-Ibn-Yâfor, roi de Sanâ, avait abdiqué le trône pour mener une vie de pénitence et de dévotion. Arrivé en ce pays, Ibn-Haucheb trouva, dans la ville d'Aden-Laa, des chîïtes appelés les Beni-Mouça, et obtint l'appui de leur chef, Ali-Ibnel-Fadl le Yémenite. Mohammed lui annonça ensuite par écrit qu'il venait d'accorder à Obeid-Allah[-el-Mehdi] l'héritage de l'imamat, et il l'autorisa, en même temps, à faire valoir les droits de ce prince par les armes. Pour se conformer à cet ordre, Ibn-Haucheb propagea la doctrine ismaïlienne dans le Yémen, et, ayant rassemblé des troupes, il s'empara de plusieurs villes et se fixa dans Sanâ, d'où il chassa [la famille régnante] les BeniYâfor. De là il répandit ses daïs dans les provinces du Yémen, de Yémana, de Bahrein, du Sind, de l'Inde, de l'Egypte et du Maghreb. Ces missionnaires travaillèrent à gagner des prosélytes pour la cause du membre agréé de la famille de Mahomet (er-Rida min al Mohammed); mais ils ne firent connaître l'identité de ce personnage et [du fils] de Mohammed-el-Habib, qu'après avoir vu rétablir l'autorité de leur maître dans le Yémen.

Abou-Abd-Allah-es-Chîï, émissaire de celui-ci, se rendit chez les Ketama. Arrivé en Ifrìkïa, il y trouva un grand nombre de Baténiens, secte dont les doctrines avaient été introduites dans ce pays par les daïs de Djâfer-es-Sadec. Ces croyances s'étaient propagées chez les tribus berbères et surtout chez les Ketama. Aussi commença-t-il, ce daï du Mehdi, à enseigner ces principes, à les répandre et à les faire fructifier, de sorte qu'il put enfin accomplir sa tâche et proclamer la souveraineté d'Obeid-Allah.

§ III.

COMMENCEMENT DE LA DYNASTIE obeidite.

Obeid-Allah-el-Mehdi, premier souverain de cette dynastie, était fils de Mohammed-el-Habîb, fils de Djâfer-el-Mosaddec, fils de Mohammed-el-Mektoum, fils de Djâfer-es-Sadec. Telle est la filiation de ses aïeux, selon les historiens du Maghreb; telle est aussi la manière dont le généalogiste Mohammed-Ibn-Asâdel-Djouali expose l'origine de ce prince, dans son ouvrage sur

la famille des Mohenna, émirs de Médine. Parlant des Habîb, branche du Mohenna, il dit : « Au nombre des descendants >> d'Ismaïl l'imam, on compte les Habîb, enfants de Mohammed, >> fils de Djâfer, fils de Mohammed, fils d'Ismaïl; de cette famille ›› est la souche d'une dynastie de khalifes, sur lesquels soit le >>> salut! »> On voit par ce passage qu'El-Djouali regardait les Fatemides-obeidites comme descendants de Mohammed-el-Habîb.

On ne doit tenir aucun compte des attaques dirigées contre cette généalogie par les gens de Cairouan' et d'autres lieux; on ne doit, non plus, faire aucun cas de la déclaration dressée à Baghdad, sous le khalifat d'El-Cader, écrit dans lequel on contestait les titres des Obeidites à une origine aussi illustre et auquel on décida plusieurs docteurs très éminents à souscrire leurs noms. Tout cela ne peut avoir aucune autorité] puisque la lettre par laquelle El-Motaded invita [Ziadet-Allah-]Ibn-elAghleb, seigneur de Cairouan, et [Elîça-]Ibn-Midrar, prince de Sidjilmessa, à se saisir d'Obeid-Allah, qui venait de passer dans le Maghreb, est en elle-même une preuve qui confirme les prétentions des Obeidites [Fatemides]. D'ailleurs, les poésies du cherif Er-Rida sont positives à cet égard, et il ne faut pas

1. On a déjà vu, t. I, p. 32, et t. II, p. 20, que, sous le règne d'ElMoëzz le zîride, la population de Cairouan répudia la doctrine et l'autorité des Fatemides pour reconnaître la suprématie des Abbacides.

2. La description topographique du Caire, par El-Macrîzi, renferme un chapitre qui rend plus clairement la pensée d'Ibn-Khaldoun. L'auteur égyptien prétend que, si El-Motaded eût considéré Obeid-Allah comme un imposteur, il ne se serait pas donné tant de peine pour le faire arrêter. On peut voir la traduction de tout ce passage d'El-Macrîzi dans les Druzes de M. de Sacy, t. I, p. ccL, et dans la Chrestomathie du même orientaliste, t. II, p. 90 de la deuxième édition. Il faudrait des raisonnements plus concluants que ceux d'El-Macrîzi pour justifier les prétentions des Obeidites.

3. Il ne faut pas confondre le cherîf Mohammed-er-Rida, mort en 406 de l'hégire, avec son parent, l'imam Ali-er-Rida. Ibn-el-Athir nous apprend qu'on n'osa pas insérer ces poèmes dans le recueil des pièces composées par le cherif, et il en cite un passage dans lequel ce poète reconnaît, d'une manière positive, que les Fatemides de l'Egypte appartenaient à la famille d'Ali, gendre de Mahomet.

oublier que les individus dont les signatures furent apposées à la déclaration dressée à Baghdad, n'y témoignèrent que par ouïdire, et l'on sait ce que cela vaut. Nous pouvons ajouter que la généalogie des Fatemides avait déjà subi, à Baghdad, depuis cent ans, les attaques des Abbacides, et que l'opinion publique s'y était formée sur celle de la cour. Aussi un témoignage d'ouïdire, témoignage purement négatif, fut tout ce qu'on put opposer à cette généalogie, et cela à une époque où l'état seul des choses offrait la preuve la plus évidente du contraire, puisqu'on reconnaissait l'autorité des Fatemides en plusieurs endroits et même à la Mecque et à Médine. Quant à ceux qui font descendre cette famille d'un juif ou d'un chrétien, qui lui assignent Meimoun-elCaddah ou tel autre pour aïeul, nous dirons que cela seul suffit pour prouver la perversité et l'infamie de ces gens-là 1.

Les Obeidites [ou Fatemides] s'acquirent des partisans en Orient, dans le Yémen et en Ifrîkïa. La première manifestation faite en Afrique par cette famille fut l'arrivée des missionnaires El-Holouani et Abou-Sofyan. Djâfer-es-Sadec les y avait envoyés, disant que le Maghreb était un sol inculte qu'ils devaient défricher en attendant la venue de l'homme chargé de l'ensemencer. L'un de ces agents s'établit à Mermadjenna et l'autre à Souc-Djemar 2, localités du pays des Ketama. Dès lors, l'appel [en faveur de l'imam] se fit entendre dans toute cette contrée.

1. Voir, à ce sujet, l'article d'El-Macrîzi dans la Chrestomathie de M. de Sacy, t. II, p. 88 et suiv., ainsi que le chapitre sur l'origine des Fatemides que cet illustre orientaliste a inséré dans son Histoire des Druzes. Il est à regretter que, dans ce même chapitre, les noms de tribus et de localités ne soient pas toujours exacts; on y lit, par exemple, Modmadjinna, à la place de Mermadjenna; Beni-Soleiman, à la place de Beni-Sekyan; Bacarma, pour Belezma; Bandjas, pour Tidjes; Elaris, pour Laribus; Maskanaya, pour Meskiana, etc. Ces fautes proviennent de l'incorrection des manuscrits dont M. de Sacy s'était servi.

2. Le manuscrit d'En-Noweiri porte Souc-Himar. Il faut probablement changer la position d'un point et lire Souf-Djemar. Le premier mot de ce nom composé signifie rivière en langue berbère, le second est arabe et signifie gravier. C'est l'équivalent de Ouadi-'r-Reml \rivière de sable), le Qued-Rommel qui coule au pied de la ville de

Mohammed-el-Habib se tenait à Selemïa, dans le territoire d'Emesse et y recevait les visites de ses partisans chaque fois qu'ils se rendaient en pèlerinage au tombeau d'El-Hocein [le troisième imam]. Mohammed-Ibn-el-Fadl, étant arrivé d'AdenLaa pour avoir une entrevue avec lui, fut renvoyé en Yémen avec Rostem-Ibn-el-Hocein-Ibn-Haucheb ', afin d'y faire ouvertement un appel au peuple et de lui annoncer que le Mehdi allait paraître. En l'an 268 (881-2), les voyageurs partirent d'ElCadicïa et, étant arrivés à Aden-Laa, vers l'époque où Mohammed-Ibn-Yâfor avait abdiqué le pouvoir, ils s'arrêtèrent chez les Beni-Mouça, partisans de leur imam, et proclamèrent le Mehdi de la famille de Mahomet. Ibn-Haucheb se rendit maître de presque tout le Yémen, et, après avoir pris le surnom d'ElMansour (le victorieux), il construisit une forteresse sur la montagne de Laa et enleva Sanâ aux Beni-Yâfor. La mission dont il s'était chargé fut couronnée de succès, et ses émissaires se répandirent dans le Yémen, Yémana, Bahrein, le Sind, l'Inde, l'Egypte et le Maghreb.

Un autre missionnaire de Mohammed-el-Habîb se nommait Abou-Abd-Allah-el-Hocein-Ibn-Mohainmed-Ibn-Zékérïa 2. On le désignait aussi par le titre d'El-Mohteceb (magistrat de police), parce qu'il avait rempli les fonctions de cet office à Basra. Quelques personnes disent que ce fut Abou-'l-Abbas-el-Mektoum, frère d'Abou-Abd-Allah, auquel on donnait ce titre. Abou-Abd-Allah s'était acquis le titre d'El-Moallem (le précepteur), parce qu'il avait d'abord enseigné les doctrines des Imamiens[duodécemains]. Mohammed-el-Habib, auquel il s'attacha, reconnut en lui un homme fait pour le seconder, et l'envoya en Yémen afin de prendre les instructions d'Ibn-Haucheb et d'aller

Constantine. L'on sait, du reste, que Léon l'Africain donne à la rivière de Constantine le nom de Sufgemare (Souf-Djemar).

1. Ci-devant, p. 505, ce personnage est nommé Abou-'l-Cacem-el

Hocein.

2. Les historiens donnent ordinairement à ce personnage le nom d'Abou-Abd-Allah-es-Chiï.

ensuite établir une mission chez les Ketama. Abou-Abd-Allah étudia avec assiduité sous Ibn-Haucheb, et, après avoir assisté aux séances de ce maître et appris tout ce qu'il devait savoir, il se rendit à la Mecque avec les pèlerins du Yémen. Dans cette ville il rencontra plusieurs notables de la tribu de Ketama et se fit donner de nouvelles instructions par El-Holouani et IbnBekkar. Parmi les Ketamiens qui étaient venus en caravane pour assister au pèlerinage, il fit la connaissance de Mouça-Ibn-Horeth, chef des Sekyan, branche de la tribu des Djemîla [ouDjîmela], Masoud-Ibn-Eïça-Ibn-Mellal, de la tribu de Messalta, MouçaIbn-Tekad et Abou-'l-Cacem-el-Ourfeddjoumi, confédéré des Ketama. Après avoir gagné leur amitié, il se mit à les entretenir des doctrines professées par les Chîïtes et, comme il montra une piété extrême et une grande abnégation de soi-même, il fit sur leurs esprits une profonde impression. Les fréquentes visites qu'il rendit à ces chefs, dans leur camp, furent aussi agréables pour lui que pour eux. Quand ils se disposèrent à partir pour leur pays, ils l'invitèrent à les y accompagner; mais lui, qui tenait à cacher ses véritables projets, n'y donna son consentement qu'après avoir pris d'eux des renseignements sur leur peuple, leurs tribus, leur pays, et le prince qui y gouvernait. Ils lui apprirent alors qu'ils n'obéissaient au sultan que par complaisance, déclaration qui lui fit espérer un succès facile. Parvenus en Maghreb, ils évitèrent de passer par Cairouan et se dirigèrent, par le chemin du Désert, vers Soumana?, ville où ils trouvèrent Mohammed-Ibn-Hamdoun-Ibn-Semmak, Andalousien qui était allé s'y fixer, après avoir fait la connaissance et reçu les instructions d'El-Holouani. Cet émissaire accueillit AbouAbd-Allah chez lui, et, à la suite d'un entretien qu'ils eurent

1. Ces midjelès, ou séances, étaient des réunions qui avaient lieu à certains jours, et où le daï suprême lisait aux initiés des écrits ou sermons qui avaient d'abord reçu l'approbation de l'imam, et dans lesquels les doctrines particulières de la secte étaient enseignées et développées. (Note de M. de Sacy, Druzes, t. I, p. CCLXXIV de l'Introduction.)

2. Peut-être Soumata, village du Djerîd tunisien. Un manuscrit d'EnNoweiri porte effectivement cette leçon.

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