Les Imamïa (imamiens) formaient deux sectes : les IthnaAcherïa et les Ismailia. Les Ithna-Acheria, ou Duodécemains, comptent jusqu'à douze imams et s'arrêtent sur le dernier qu'ils prétendent être toujours vivant, mais invisible. On les appelle aussi Ouakefïa ou Mouwakkefin, c'est-à-dire les gens qui s'arrêtent ou qui arrêtent. V oici la liste de leurs imams : 1° Ali, fils d'Abou-Taleb, 2o El-Hacen, fils d'Ali, 3o El-Hocein, fils d'Ali, 4° Ali-Zein-el-Abedîn, fils d'El-Hocein, 5o Mohammed-el-Baker, fils de Zein-el-Abedîn, 6o Djâfer-es-Sadek, fils d'El-Baker, 7° Mouça-el-Kadem, fils de Djâfer, 8° Ali-er-Rida, fils de Mouça, 9° Mohammed-et-Téki, fils d'Er-Rida, 10° Ali-el-Hadi, fils d'El-Téki, 11° Hacen-el-Askeri, fils d'El-Hadi, 12o Mohammed-el-Mehdi, l'attendu (el-Montader), fils d'El Askeri. Ce douzième imam n'avait que douze ans quand il entra dans un souterrain et n'en sortit plus. Selon les Duodécemains, secte dont les doctrines prédominent encore en Perse, il reparaîtra lors de la fin des temps, pour remplir la terre de sa justice. Cet imam est le Mehdi ou dirigé que Mahomet a prédit et dont l'arrivée est toujours attendue. Les Ismailia ou Ismailiens reconnaissent les six premiers imams de la liste précédente. Leur septième imam est Ismaîl, fils de Djâfer-es-Sadek ; il fut désigné par son père comme successeur à l'imamat, mais il mourut avant lui. Leur huitième imam, Mohammed le caché (El-Mektoum), fils d'Ismail, fut le premier de leurs imams cachés, personnages qui ne se montraient jamais et qui se bornaient à transmettre leurs ordres au monde par la bouche de daïs, c'est-à-dire inviteurs. Cette classe d'hommes étaient les émissaires, agents politiques et missionnaires de l'imam. Djâfer-el-Mosaddec, fils du précédent, fut leur second imam caché; Mohammed-el-Habib, fils de Djâfer, en fut le troisième et dernier. Obeid-Allah-el-Mehdi, fils d'El-Habib, et leur onzième imam, se manifesta en Afrique, où il fonda la dynastie fatemide. El-Hacen-Ibn-Sabbah, un autre imam des Ismaìliens, fonda en Irac la dynastie des Assassins (Hachîchïa). La doctrine de l'imam caché (mektoum, baten) procura aux Ismailiens le nom de Batenïa (Baténiens). On les appelait aussi Molheda (impies), parce que leurs doctrines secrètes conduisaient à l'athéisme par l'infidélité. L'incarnation de Dieu dans la personne de l'imam, la métempsycose, ou transmigration de l'âme de l'imam dans le corps de son successeur, les autres opinions, plus ou moins extravagantes, au sujet de l'excellence de ce personnage, ont mérité à plusieurs de ces sectes le nom de Gholat (extravagantes). Dans l'Exposé de la religion des Druzes, par M. de Sacy, on trouvera une longue notice sur les chîïtes et sur leurs doctrines secrètes. L'histoire des douze imams de la secte des Duodécemains est racontée par M. Reinaud dans ses Monuments arabes, persans et turcs, tome I, pages 329 et suiv. Cette secte enseignait que l'imamat passa de Djâfer-es-Sadec à son fils Mouça-el-Kadem. Les révoltes suscitées par les daïs du nouvel imam obligèrent [le khalife] Haroun-er-Rechîd à le faire conduire de Médine à Baghdad pour y rester prisonnier, sous la garde de [Sindi-]Ibn-Chahek 2. Mouça mourut en l'an 183 (799-800), empoisonné, dit-on, par des dattes que lui offrit Yahya-Ibn-Khaled [le barmekide, vizir d'Er-Rechîd]. Après lui, disent les partisans de cette famille, l'imamat dévolut à son fils, 1. Les chapitres qui suivent sont tirés de la partie inédite de l'Histoire universelle d'Ibn-Khaldoun. 2. Cet officier était prévôt de la maréchaussée (saheb-es-chorta) à Baghdad. — (Ibn-Khallikan, t. I, p. 318 de ma traduction.) Ali-er-Rida (l'agréé), un des membres les plus respectés de la famille de Hachem [grand-père de Mahomet]. Er-Rida vivait dans l'intimité d'El-Mamoun, et en l'an 201 (816-7) il fut désigné par ce khalife comme héritier du trône, afin de mettre un terme aux révoltes que les daïs du parti chiïte excitaient de tout côté. El-Mamoun était alors en Khoraçan, d'où il ne rentra en Irac qu'après la mort de son frère El-Amîn 1. Les partisans des Abbacides se récrièrent contre la nomination d'Er-Rida, et proclamèrent à Baghdad le khalifat d'Ibrahîm-Ibn-el-Mehdi, oncle d'El-Mamoun. Celui-ci partit alors pour l'Irac, accompagné d'Ali-er-Rida, mais avant d'y arriver il perdit son protégé : Ali mourut en chemin, l'an 203 (818-9), et fut enterré à Tous 2. Quelques personnes disent qu'il fut empoisonné par El-Mamoun. D'Er-Rida l'imamat passa à son fils Mohammed. El-Mamoun lui témoigna beaucoup de considération et lui donna sa fille en mariage, l'an 303. Mohammed mourut en l'an 220 (835), et fut enterré dans le cimetière des Coreich [près de Baghdad]. Selon les Duodécemains, il eut pour successeur son fils Ali, surnommé El-Hadi (le directeur) et El-Djouad (le noble). Celui-ci mourut en 254 (868) et fut enterré à Koum [en Perse]. Ibn-Saîd (voir t. I, p. 9, n. 1) dit que le khalife El-Motezz le fit empoisonner. L'imamat passa d'Ali à son fils El-Hacen, auquel on donna le surnom d'El-Askeri, parce qu'il naquit à El-Asker, ville qui porte aussi le nom de Serr-man-raa (Samarra). Lors de la mort de son père, il y fut retenu prisonnier, et il y mourut en 260 (873-4). Son corps fut déposé dans le mausolée qui renfermait celui de son père. Sa femme, qu'il laissa enceinte, donna le jour 1. Ibn-Khaldoun aurait du écrire après le détrônement d'Ibrahim, fils d'El-Mehdi, ce qui eut lieu en l'an 203 (818). Ce fut en 196 (811-2) qu'El-Amin fut tué, à Baghdad, après avoir usurpé le trône. 2. Tous était alors la capitale de la province de Khoraçan. Le Mechhed, ou tombeau, de l'imam Er-Rida en est éloigné de deux lieues. Les Chîïtes, regardent ce temple comme plus vénérable que celui de la Mecque. (Voir Monuments arabes, persans et tures, par M. Reinaud, t. I, p. 373.) à un fils que l'on nomma Mohammed et que l'on retint prisonnier. Selon les rapports [des chîïtes], il entra, avec sa mère, dans la citerne (serdab) de la maison paternelle et ne reparut plus. Les chîïtes le regardent comme successeur de son père dans l'imamat, et ils lui donnent les titres d'El-Mehdi (le dirigé) et d'El-Hoddja (l'argument, la preuve). Ils croient qu'il vit encore et s'attendent à le voir reparaître un jour. Comme il était le douzième successeur d'Ali, ses partisans ont reçu le titre de Duodécemains. On en trouve à Médine, à El-Karkh [faubourg de Baghdad], à Es-Cham (Damas), à El-Hilla, et en Irac. La citerne dans laquelle il disparut est à El-Hilla, et nous avons entendu dire qu'encore aujourd'hui les gens de cette secte y amènent chaque soir une monture toute caparaçonnée, et, qu'après la prière, ils prononcent à basse voix les paroles suivantes : « Sors, ô imam, et >> viens à nous ! Les hommes sont dans l'attente; tous les êtres >> demeurent interdits; l'injustice remplit le monde; la vérité en a disparu. Sors et viens à nous ! nous reconnaissons la grande >> miséricorde de Dieu dans le souvenir qu'il nous a laissé de » toi1. » Ils répètent cette invocation jusqu'au moment où les étoiles commencent à paraître ; puis ils se retirent pour recommencer le lendemain. Egarés par l'esprit de secte, ils ont la folie d'attendre le retour au monde d'une personne morte depuis des siècles. § II. CROYANCE DES ISMAÏLIENS. Les Ismaïliens comptent pour imam, après Djâfer-es-Sadec, son fils Ismaîl. Abou-Djâfer-el-Mansour [le khalife abbacide], l'ayant fait chercher, reçut du gouverneur de Médine une attestation portant qu'il avait cessé de vivre. Bien qu'Ismaîl mourut avant son père, ses partisans prétendent que l'imamat dévolut à 1. L'on assure qu'encore aujourd'hui on tient un beau cheval toujours sellé et bridé dans les écuries du roi de Perse, afin que l'imam attendu ait une monture toute prête quand il fera sa seconde apparition. lui et à ses enfants par le fait d'avoir été désigné par son père comme héritier de cette dignité ; ils citent même à l'appui de leur opinion ce qui se passa quand Moïse désigna Aaron [comme grand prêtre ; la prêtrise resta dans la postérité d'Aaron] bien qu'il mourut avant son frère. Selon ces sectaires, la transmission de l'imamat ne peut pas rétrograder, car Dieu ne peut pas commencer une chose qui existe déjà. Ils disent aussi que Mohammed, fils d'Ismaîl, était le septième et dernier des imams visibles et le premier des imams cachés. Par le mot cachés ils veulent dire qui se dérobent [aux recherches de leurs ennemis] et qui manifestent leur autorité au moyen de daïs (missionnaires, émissaires). Selon eux, il y eut trois imams cachés, et la terre ne sera jamais sans posséder un imam, soit visible, soit caché, et descendu de l'un ou de l'autre de ces trois; aussi doit-il y avoir des personnes autorisées à proclamer les droits de l'imam. Ils comptent leurs imams par groupes de sept, nombre qui est celui des cieux et celui des planètes, et ils comptent les nakîbs (lieutenants des imams) par douze, reprochant aux chîïtes imamiens d'appliquer aux imams le nombre qui ne convient qu'aux nakîbs. Ils regardent Mohammed-el-Mektoum (le caché), fils d'Ismail, comme le premier des imams cachés: son fils Djâferel-Mosaddec est pour eux le second imam caché, et Mohammedel-Habîb (le bien-aimé), fils de celui-ci, est le troisième. Après Mohammed, ils font entrer en compte son fils, Obeid-Allah-elMehdi (le dirige), fondateur de la dynastie [fatemide]en Ifrîkïa et en Maghreb, prince dont l'autorité fut établie chez les Ketama par Abou-Abd-Allah-es-Chïï. Ces Ismaïliens sont le peuple qu'on appelle Carmats. Ils fondèrent, à Bahrein [en Arabie], une dynastie représentée par Abou-Saîd-el-Djennabi et ses descendants. Un de leurs daïs, nommé Abou-'l-Cacem-el-Hocein-lbnFerroukh-Ibn-Hauched-el-Koufi, surnommé El-Mansour, travailla dans le Yémen en faveur de Mohammed-el-Habîb, et puis en faveur d'Obeid-Allah[-el-Mehdi], fils de celui-ci. Il avait d'abord était duodécemain; puis, ayant reconnu l'impuissance de ce parti, il adopta les opinions des Ismaïliens. Mohammed-el-Habîb |