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DU KHALIFAT ET DES SECTES CHÎÏTES.

Les empires, dit Ibn-Khaldoun dans ses Prolégomènes,naissent de la nécessité où se trouvent les hommes de vivre en société. Il y a trois espèces d'empires : le despotisme (molk), le gouvernement réglé par des lois (sïaça), et le khalifat (khilafa). Dans le premier, le peuple travaille pour accomplir les projets et satis faire les caprices d'un seul individu; dans le second, il agit d'après certaines prescriptions établies par la raison humaine en vue des intérêts matériels seulement; dans le troisième, il obéit à une loi promulguée par un législateur ayant une mission divine, loi par laquelle le bonheur des hommes est assuré dans la vie future, ainsi que l'accessoire de ce bonheur, leur bienêtre dans ce monde-ci. Le droit de faire exécuter la loi révélée appartient au législateur et ensuite à ses successeurs ou khalifes.

Le mot khalifat signifie lieutenance; le khalife est lieutenant du législateur, revêtu de l'autorité spirituelle et temporelle; son devoir est de maintenir la religion et de l'employer pour gouverner le monde. Son titre est khalife du Prophète de Dieu, celui de khalife ou lieutenant de Dieu ayant été rejeté par AbouBekr et ne pouvant soutenir l'examen de la raison : en effet, lieutenance suppose l'absence du chef; or Dieu est présent partout et à tout instant.

Le titre d'Emîr-el-Moumenin (commandant des croyants) appartient exclusivement au khalife. L'usage en fut introduit lors de l'avènement d'Omar : à l'exemple de son prédécesseur, Abou-Bekr, qui avait adopté le titre de khalife du Prophète de Dieu, Omar voulut d'abord prendre celui de khalise du khalife du Prophète de Dieu; mais, trouvant que cette formule renfermait une répétition incommode, répétition qui, avec l'avènement de chaque nouveau khalife, devrait s'augmenter par l'addition du même terme, il choisit pour lui et ses successeurs le titre d'Emîr-el-Moumenîn.

Le khalifat s'appelle aussi imamat et le khalife imam (modèle, directeur, président); car, de même que l'imam ordinaire dirige, pendant la prière, les mouvements des assistants par les siens, de même le grand imam ou khalife dirige la conduite de tous les vrais croyants.

Dans les premiers temps de l'islamisme, le khalifat était électif; mais après la mort d'Ali, gendre et quatrième successeur de Mahomet, les Oméïades de l'Orient usurpèrent cette dignité et la rendirent héréditaire dans leur famille. Ils conservèrent l'autorité depuis l'an 41 (661 de J.-C.) jusqu'à l'an 132 (750), quand elle leur fut enlevée par les Abbacides. Cette maison régna de 132 à 656 (1258), époque de la prise de Baghdad par les Tartars. Après cette catastrophe, un membre de la famille abbacide se réfugia en Égypte, pays qui était alors gouverné par la dynastie des Mamluks bahrites, et y fut proclamé khalife. Lui et ses descendants conservèrent ce titre sans jamais pouvoir exercer la moindre autorité. En l'an 923 (1517), lors de la conquête de l'Égypte par le sultan ottoman Selim I, les prérogatives du khalifat furent cédées au vainqueur et à ses héritiers par El-Motéwekkel, le vingt-unième khalife de la seconde lignée des Abbacides.

Selon Ibn-Khaldoun, qui rapporte l'opinion des anciens doceurs musulmans, il faut, pour être éligible au khalifat, réunir en soi cinq conditions:

1o Le savoir (ilm);

2o La justice (adala);

3o Les moyens d'action suffisants (kifaïa) pour exécuter ses décisions;

4o L'usage des cinq sens et des quatre membres du corps

(selama-t-el-hawass oua-'l-âdaï');

5o La parenté (neceb) avec les Coreich, tribu de Mahomet. Cette dernière condition cessa d'être obligatoire, quand les Coreich ne furent pas assez nombreux ni assez forts pour soutenir leurs khalifes.

T. II.

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Les docteurs hanefites déclarent que le khalife doit réunir les conditions suivantes :

1° L'islamisme;

2o L'état d'homme libre ;

3o Le sexe masculin ;

4o L'état de la raison;

5o L'âge de la majorité.

Dans les premiers siècles, l'unité du khalifat fut regardée comme un des principes essentiels de cette institution; mais lorsque la grande étendue de l'empire eut affaibli l'autorité souveraine, et l'eut empêchée de se faire sentir dans les provinces éloignées, les chefs qui s'emparèrent du pouvoir adoptèrent souvent le titre et les attributs du khalifat. Dans l'Occident, les derniers souverains oméïades, les Idricides, les Fatemides et les Almohades fournirent des exemples de cette usurpation. Il est vrai qu'une mesure aussi irrégulière paraissait être justifiée par l'intérêt du bien public, et elle avait même en sa faveur l'approbation de deux grands docteurs de l'islamisme, l'Ostad Abou-Ishacel-Isferaïni et l'Imam-el-Haremein, Abou-'l-Mâali-'l-Djoweini2. Il en est résulté que le titre de sultan, donné généralement aux princes qui exercent le pouvoir temporel, est quelquefois devenu synonyme de celui de khalife.

L'imam ou khalife devait-il être choisi par le corps des musulmans ou désigné par son prédécesseur? Telle fut la question qui donna lieu aux guerres de succession et à la formation des sectes chîïtes.

Le mot chia signifie compagnons, partisans, sectaires ; il est employé pour désigner les partisans d'Ali et de ses enfants. Les chiïtes, bien que formant plusieurs sectes, s'accordaient à déclarer:

1. Docteur chafite mort, en Perse, l'an 418 (1027 de J.-C.).

2. Ce docteur chafite, natif de la ville de Neiçapour, en Perse, mourut l'an 478 (1085).

1° Que l'imamat ne devait pas être électif ;

2o Que l'imam était impeccable ;

3o Que le premier imam fut désigné par le Prophète; 4o Qu'Ali fut la personne choisie pour cet office.

A l'appui de ces principes ils citaient certains versets du Coran et certaines traditions relatives au Prophète; mais leurs adversaires prétendaient qu'ils avaient donné à ces versets une fausse interprétation et qu'ils avaient allégué des traditions dont les unes étaient fausses et les autres nullement concluantes.

Les principales sectes chîïtes sont les Zeidïa, les Keiçanïa, les Ithna-Acherïa, les Ismailia et les Gholat.

Les Zeidia, partisans de Zeid, fils d'Ali, fils d'El-Hocein, fils d'Ali et de Fatema, déclaraient que l'imamat passa d'Ali aux enfants qu'il eut de Fatema, fille de Mahomet. Cette secte forma deux branches, dont l'une eut pour principe que l'imam devait être désigné par son prédécesseur, et l'autre, que l'imamat était électif, mais sans pouvoir sortir de la descendance de Fatema. Les deux partis s'accordaient à enseigner que l'imam devait être savant, indifférent aux biens mondains, libéral, courageux, prompt à faire valoir ses droits par la force des armes. Cette dernière condition fut la cause de plusieurs révoltes sous le khalifat des Oméïades et sous celui des Abbacides. Voici la liste des imams zeidiens :

Ali, fils d'Abou-Taleb,

El-Hacen, fils d'Ali,

El-Hocein, fils d'Ali,

Ali-Zein-el-Abedîn, fils d'El-Hocein,

Zeid, fils d'Ali, fils d'El-Hocein et fondateur de la secte. Il prit les armes à Koufa et fut vaincu et tué par les Keiçanïa. Yahya, fils de Zeid, fut tué à Djouzdjan, après avoir légué l'imamat à

Mohammed, fils d'Abd-Allah, fils de Hacen, fils d'El-Hacen, petit-fils de Mahomet. Ce personnage, surnommé En-Nefsez-Zekia (l'âme pure), prit le titre d'El-Mehdi, se révolta dans le Hidjaz et fut tué par les troupes d'El-Mansour, le khalife abbacide.

Ibrahim, fils et successeur du précédent, se révolta à Basra et fut défait et tué par les troupes d'El-Mansour. Mohammed, fils d'El-Cacem, fils d'Ali, fils d'Ali, fils d'Omar, frère de Zeid, fils d'Ali, leva l'étendard de la révolte à Talecan, fut vaincu et fait prisonnier par les troupes du khalife El-Motacem.

Le Zendji, descendant d'Eïça, fils de Zeid, se souleva à Basra. Idris, frère de Mohammed-Ibn-Abd-Allah et descendant d'ElHacen, petit-fils de Mahomet, s'empara du Maghreb-elAcsa et y fonda une dynastie.

El-Hacen-Ibn-Zeid, descendant du même El-Hacen, fonda un royaume dans le Taberistan.

El-Atrouch, autre descendant d'Ali, s'établit dans le Deilem. Comme Zeid, fils d'Ali et fondateur de cette secte, avait fini par admettre la validité de l'imamat des deux cheikhs, Abou-Bekr et Omar, plusieurs de ses partisans répudièrent son autorité et obtinrent, pour cette raison, le sobriquet de Rafedites (récusants). Dans la suite on appliqua cette dénomination à toutes les sectes chîïtes. Zeid reconnaissait bien le mérite supérieur d'Ali, mais il persista néanmoins dans son opinion au sujet des deux cheikhs, <«< car, disait-il, on doit accepter le préféré, quand même il s'en trouverait un préférable ».

Les Keiçanïa enseignaient que l'imamat passa des enfants de Fatema à un autre fils d'Ali, nommé Mohammed-Ibn-el-Hanefia, parce qu'il avait pour mère une femme de la tribu de Hanîfa. Keiçan était client d'Ibn-el-Hanefia. Une branche des Keiçanïa eut pour principe fondamental que l'imamat fut transmis par Ibn-el-Hanefïa à son fils, Abou-Hachem, lequel délégua son autorité à Mohammed, fils d'Ali, fils d'Abd-Allah, fils d'El-Abbas, oncle de Mahomet. De Mohammed l'imamat passa à son fils, Ibrahîm, surnommé pour cette raison l'imam, et celui-ci légua ses pouvoirs à son frère Abd-Allah-es-Saffah, fondateur de la dynastie des Abbacides. On voit ici la raison qui décida IbnKhaldoun à compter les Abbacides au nombre des Chiïtes. Comme El-Abbas était petit-fils de Hachem, on donna à cette fraction de secte le nom de Hachemites.

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