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Abd-el-Ouahed revint de l'Orient en 729, après la mort de son père, et fixa son séjour au milieu des Debbab où il reçut d'Abd-el-Mélek-Ibn-Mekki, principal cheikh de Cabes, le serment de fidélité. Le bruit de cet événement se répandit rapidement, et Hamza-Ibn-Omar, voyant l'Ifrîkïa dégarnie de troupes, alla trouver le prince et lui offrit ses services. Il s'avança alors jusqu'aux portes de Tunis avec ses gens et y dressa son camp pendant qu'Abd-el-Ouahed, accompagné de son chambellan Ibn-Mekki, alla s'établir dans la ville. Quinze jours plus tard, on vit paraître l'avant-garde du sultan commandée par Mohammed-el-Botouï. Abd-el-Ouahed et ses partisans prirent aussitôt la fuite et laissèrent cet officier occuper la ville. Le sultan lui-même y fit son entrée dans les premiers jours de Choual 732 (commencement de juillet 1332).

CHUTE DU CHAMBELLAN MOHAMMED-IBN-SEÏD-EN-NAS.—IL EST REMPLACÉ PAR IBN-ABD-EL-AZÎZ ET IBN-EL-HAKÎM.

Nous avons déjà parlé de l'origine d'Ibn-Séïd-en-Nas et mentionné que son père, Abou-'l-Hocein, avait été chambellan de l'émir Abou-Zékérïa, seigneur de Bougie1. Abou-'l-Hocein mourut en l'an 690 (1291), laissant son fils Mohammed sous la protection du sultan. Élevé dans le palais avec les enfants du souverain, ce jeune homme grandit au sein de la famille royale, et, comme ceux qui occupaient, pendant sa jeunesse, la place de chambellan, tels qu'Ibn-Abi-Djebbi et Er-Rokhami, avaient été les protégés de son père, il obtint d'eux les plus grands égards et même la préséance sur eux-mêmes.

Ce fut sous l'administration du chambellan Ibn-Ghamr que Mohammed-Ibn-Séïd-en-Nas atteignit l'âge qui inspire aux hommes le désir de se distinguer. Ibn-Ghamr avait beaucoup d'estime pour lui et, ayant reçu du sultan [Abou-Yahya-Abou

1. Voir ci-devant, p. 404.

Bekr], qui allait partir pour Constantine, l'autorisation d'indiquer les chambellans, vizirs et généraux qui devaient prendre part à l'expédition de Tunis, ainsi que l'ordre de lui fournir les troupes et les approvisionnements nécessaires pour cet objet, il fit partir Ibn-Séïd-en-Nas en qualité de commandant de division. Après la mort d'Ibn-Ghamr et la destitution d'Ibn-el-Caloun, Ibn-Séïd-en-Nas, qui était frère de lait du sultan, profita de la faveur dont il jouissait pour se faire donner le gouvernement de Bougie. Dans cette position élevée, il administra sa province avec une autorité absolue, sans même prendre les ordres du sultan; il défendit la ville contre les Abd-el-Ouadites et, pendant la durée des hostilités, il déploya une bravoure qui augmenta sa renommée.

A cette époque, il prit avec Mouça-Ibn-Ali, chef des assiégeants, l'engagement de se ménager mutuellement et de sacrifier à leur propre avantage les intérêts de leurs souverains respectifs. L'affaire fut découverte et Mouça-Ibn-Ali encourut la disgrâce d'Abou-Tachefîn, mais Ibn-Séïd-en-Nas trouva plus d'indulgence: le sultan ferma les yeux sur sa conduite et, en 727, il le rappela à Tunis et le prit pour chambellan. En partant pour la capitale, Ibn-Séïd-en-Nas laissa à Bougie, en qualité de lieutenants, Mohammed-Ibn-Ferhoun et Ahmed-Ibn-el-Merîd, en leur confiant la défense de la ville et la tutelle de l'émir AbouZékérïa, fils du sultan.

Quand il arriva à Tunis, il obtint un logement dans le palais et prit l'entière direction des affaires de l'empire. Profitant alors du vaste champ qui s'était ouvert devant lui, il donna pleine carrière 1à son esprit de domination; le sultan lui-même dut subir les volontés de son serviteur, sans avoir d'autre satisfaction que de prendre note de chaque trait d'insolence qui échappait au ministre, afin d'en avoir raison plus tard. Au surplus, la jalousie des courtisans ne dormait pas on l'accusait d'avoir

1. Pour avoir la bonne leçon tiël, il faut ajouter un point à la lettre ba et du mot tebel, dans le texte imprimé.

entretenu une correspondance secrète avec l'ennemi et laissé grandir la puissance des Abd-el-Ouadites, afin de pouvoir maintenir l'influence qu'il exerçait sur l'esprit du souverain.

Tant qu'il s'était occupé à défendre et à gouverner Bougie sans le concours de son maître, on l'avait laissé faire; mais après la démonstration opérée de ce côté par le sultan Abou-'l-Hacen et la retraite des assiégeants, quand le sultan Abou-YahyaAbou-Bekr s'y fut porté pour renverser la forteresse de Temzezdekt, les gens qui entouraient le prince renouvelèrent, avec succès, leurs accusations contre le trop puissant chambellan. Dans le mois de Rebià de l'an 733 (fin de 1332), le sultan, étant de retour à Tunis, sortit enfin de son apathie et fit arrêter Ibn-Séïd-en-Nas dont la domination lui était devenue insupportable. Pour arracher au prisonnier les trésors qu'il avait amassés, on lui fit subir divers genres de tortures; mais il n'en lâcha pas la moindre parcelle, et pendant ses souffrances il ne cessa d'implorer la miséricorde du sultan en lui rappelant qu'ils avaient sucé le même lait, qu'ils avaient été élevés ensemble, et que son père avait rendu de loyaux services à l'empire. Irrité enfin par l'intensité de la douleur, il se répandit en injures contre le monarque, et au milieu de ces invectives, on l'assomma de coups de bâton. Son corps fut traîné hors de la ville et jeté au feu. Telle fut la fin de sa puissance; elle disparut comme si elle n'avait jamais existé. Dieu conduit toute chose au terme prescrit !

Le secrétaire Abou-'l-Cacem-Ibn-Abd-el-Aziz obtint alors la place de chambellan. Il avait quitté le Hamma [de Matmata] lors de la reconnaissance d'Abd-el-Ouahed-Ibn-el-Lihyani par IbnMekki, et, étant venu joinde le sultan qui marchait contre Temzezdekt, il resta auprès de lui et l'accompagna ensuite à Tunis. Après l'arrestation d'Ibn-Séïd-en-Nas, il fut revêtu des fonctions de chambellan, et comme la faiblesse de sa santé l'empêchait de prendre part aux opérations militaires, le sultan confia à son favori1, Mohammed-Ibn-el-Hakîm, l'administration de la guerre

1. Littéralement à sa créature et chef de ses intimes.

et le gouvernement de tout ce qui était en dehors de la capitale. Ibn-el-Hakim était fils d'Ali-Ibn-Mohammed-Ibn-Hamza-IbnIbrahim-Ibn-Ahmed-el-Lakhmi. Sa famille tenait par des liens de parenté à celle des Azéfi, princes de Ceuta, son aïeul, Abou'l-Abbas-Ahmed, homme très célèbre par le savoir et la piété, ayant été père d'Abou-'l-Cacem-el-Azéfi, le même qui établit son indépendance à Ceuta après la chute desAlmohades[du Maghreb].

L'origine de la famille d'Ibn-el-Hakîm m'a été racontée par Mohammed-Ibn-Yahya-Ibn-Abi-Taleb, dernier des Azéfides qui commanda à Ceuta, par Hocein-Ibn-Abd-er-Rahman-Ibn-AbiTaleb, cousin du précédent, et par d'autres personnes dignes de foi qui tenaient leurs renseignements d'Ibrahîm-Ibn-Abi-Hatem, autre cousin des précédents. Voici ce qu'ils racontent: Abou-'lCacem-el-Azéfi avait un frère nommé Ibrahîm, homme perdu de réputation, qui s'était rendu coupable de meurtre à Ceuta. Ayant appris qu'Abou-'l-Cacem avait juré de le faire punir, il prit la fuite et passa en Orient; ce fut de lui Mohammed-Ibn-el-Hakîm.

que descendit

Voici ce que d'autres personnes m'ont communiqué au sujet de cette famille Ibrahim [frère d'Abou-'l-Cacem] eut un fils nommé Mohammed, duquel naquit un fils appelé Hamza, lequel engendra Ali. Ali, s'étant adonné à l'étude, embrassa la carrière de la médecine et se fixa dans la province de Bougie. AbouZékérïa, le sultan qui y gouvernait alors, ayant été attaqué d'une maladie chronique dont il ne put se débarrasser, appela chez lui plusieurs médecins. Ali-Ibn-Hamza, qui était du nombre, devina la nature de l'indisposition et la guérit par un traitement habile. Ce service le rendit cher au sultan, qui l'admit dès lors dans le nombre de ses intimes. Jouissant à la cour d'une considération que personne n'aurait pu lui disputer, il y fut désigné par le titre d'El-Hakîm (le médecin). Cette circonstance procura à son fils le surnom d'Ibn-el-Hakîm (fils du médecin). Ali-Ibn-Hamza épousa une demoiselle d'une des premières familles de Constantine, et sa femme fut admise dans la société des dames de la famille royale.

Son fils Mohammed naquit dans le palais et fut élevé au même

sein que l'émir Abou-Yahya-Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa. Il passa les premières années de sa vie sous les yeux du sultan et ce fut aux soins de ce prince qu'il dut l'avantage d'une excellente éducation. Parvenu à l'âge viril, il gagna la faveur de YacoubIbn-Ghamr, et, protégé par ce ministre, il obtint une position qui, en lui ouvrant la carrière des hauts commandements, le fit entrer au nombre des amis et favoris du prince. Le sultan AbouYahya-Abou-Bekr, voulant envahir l'Ifrîkïa, confia à Ibn-elHakîm le commandement d'une division de l'armée.

Après la mort d'Ibn-Ghamr, Ibn-el-Hakîm fut nommé au gouvernement de Bédja, en remplacement d'Ibn-Séïd-en-Nas,promu à celui de Bougie. Son aptitude aux affaires se fit bien reconnaître à la manière dont il administra la province de Bédja, une des plus importantes de l'empire.

Quand le sultan consulta ses intimes sur les moyens à prendre afin de renverser le pouvoir d'Ibn-Séïd-en-Nas, ce fut Ibn-elHakim qui se chargea d'arrêter ce fonctionnaire. Pour accomplir ce coup de main, il se cacha avec une bande des intimes dans un cabinet du jardin de Ras-et-Tabîa, et fit dire à Ibn-Séïd-en-Nas que le sultan désirait lui parler. Au moment où le chambellan passa auprès du cabinet, ils se jetèrent sur lui, et, l'ayant garrotté, ils le traînèrent à la tour de la citadelle que l'on tenait toujours disposée pour le châtiment ' de grands personnages. Ce fut Ibn-el-Hakim qui présida à l'interrogatoire du prisonnier et qui le fit mourir dans les tortures.

Il reçut alors du sultan le commandement en chef des troupes, l'administration de l'état et le gouvernement de tout l'empire, hormis la capitale. Le secrétariat des commandements et le visa des mandats du trésor furent confiés à Ibn-Abd-el-Azîz. Ces deux fonctionnaires se partagèrent ainsi tout le poids de l'administration; mais, de même que l'épée l'emporte sur la plume,

1. Littéralement pour le redressement ou correction. Dans le texte arabe il y a une transposition de lettres; la vraie leçon est lithicaf.

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