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Dafer garda cette place jusqu'à ce que l'édifice de sa fortune fut renversé.

MORT DU CHAMBELLAN EL-MIZOUAR.

SÉID-EN-NAS.

IL EST REMPLACÉ PAR IBNMORT D'IBN-EL-CALOUN.

Les antécédents d'[Abou-Abd-Allah-Mohammed-Ibn-Abd-elAzîz-el-Kordi1], surnommé El-Mizouar, me sont peu connus; tout ce que j'en sais se réduit aux faits suivants : il avait pour aïeul un de ces chefs kurds qui vinrent en Maghreb, après avoir été chassés de Chehrezour 2, leur lieu natal, lors de la prise de Baghdad, en l'an 656 (1258). Quelques-uns d'entre eux se fixèrent à Tunis; d'autres s'établirent à Maroc sous la protection du sultan El-Morteda, d'autres encore se rendirent au milieu des tribus mérinides, et le reste alla demeurer chez les BeniAbd-el-Ouad, ainsi qu'on peut le voir dans l'histoire de ce dernier peuple. Pami ceux qui restèrent à Tunis, se trouva l'ancêtre du sujet de cette notice. Mohammed-Ibn-Abd-el-Azîz fut élevé à la cour de l'émir Abou-Zékérïa second, seigneur de Bougie et de Constantine. Ayant été le compagnon d'enfance des fils de ce prince, il grandit sous un haut patronage, et se rendit, plus tard, à Tunis dans la suite de l'émir Abou-Yahya-AbouBekr, fils d'Abou-Zékérïa. A cette époque, il faisait partie de la société intime du prince et commandait le corps des domestiques appelé la Dakhla (gens de l'intérieur). Ce fut pour cette raison qu'il porta le titre d'El-Mizouar (l'introducteur). Sa haute intelligence, la dignité de ses manières et sa piété profonde lui avaient assuré une grande considération à la cour. Dénoncé par lui, en l'an 721, le chambellan Ibn-el-Caloun prit la fuite et alla

1. A la place des noms que nous avons mis entre parenthèses, les manuscrits et le texte imprimé portent Mohammed-Ibn-Caloun, leçon inadmissible.

2. On trouvera dans le chapitre du troisième volume qui contient la notice de Mouça-Ibn-Ali, des renseignements sur les Kurds qui passèrent en Afrique après la chute du khalifat de Baghdad.

trouver Ibn-Abi-Amran. Nommé chambellan en remplacement du transfuge, El-Mizouar, qui n'était qu'un guerrier plein d'audace et de courage, se fit aider dans ses nouvelles fonctions par le secrétaire Abou-'l-Cacem-Ibn-Abd-el-Azîz, n'ayant pas les connaissances requises pour remplir une telle position. Il resta en place jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu dans le mois de Chaban 727 (juin-juillet 1327).

Lesultan avait offert la place de chambellanà mon grand-père, Mohammed-Ibn-Khaldoun, sans pouvoir le décider à l'accepter. Bien que le prince l'eût invité à revenir sur sa détermination, mon parent persista dans son refus; car, depuis plusieurs années, il s'était adonné à la dévotion et n'aspirait qu'à jouir d'une vie tranquille, loin des grandeurs. Il conseilla toutefois au sultan de choisir Mohammed-Ibn-Abi-'l-Hocein-Ibn-Séïd-enNas, gouverneur de Bougie, en lui faisant observer que les ancêtres de ce personnage avaient été longtemps au service de ceux du souverain, qu'il possédait une nombreuse clientèle et qu'il avait toujours déployé une grande énergie dans les affaires dont on l'avait chargé. Je tiens ces renseignements de feu mon père.

Un de mes amis, Mohammed-Ibn-Mansour-Ibn-Mozni, m'a fourni sur le même sujet les détails suivants : « Le jour même de >> la mort d'El-Mizouar, me dit-il, j'allai prévenir votre grand»père que le sultan l'attendait au camp de Bédja. On l'introdui>> sit dans la tente royale où il resta quelque temps, et, à sa sortie, il apprit que la nouvelle de sa nomination s'était répandue >> parmi les courtisans. Il démentit ce bruit et, le même jour, la » place de chambellan fut confiée provisoirement au secrétaire » Abou-'l-Cacem-Ibn-Abd-el-Azîz. Le sultan fit alors chercher >> le fils du chambellan de son père, et, dans le mois de Mohar>> rem 728 (nov.-déc. 1327), Mohammed, fils d'Abou-'l-Hocein» Ibn-Séïd-en-Nas, arriva à la cour et reçut sa nomination. » A cette faveur fut ajoutée celle d'un diplôme confirmatif de l'acte en vertu duquel il exerçait déjà le gouvernement de Bougie et les fonctions de chambellan auprès du prince royal établi dans cette ville. Ibn-Séïd-en-Nas se fit remplacer à Bougie par Moham

med-Ibn-Ferhoun, une de ses créatures, et par son secrétaire Abou-l-Cacem-Ibn-el-Merîd 1.

Surces entrefaites, les troupes zenatiennes continuèrent à parcourir le territoire de Bougie et à resserrer la ville au moyen de forts qu'elles élevèrent sur les hauteurs voisines. Presque aussitôt après l'arrivée d'Ibn-Séïd-en-Nas, l'ancien chambellan Ibn-el-Caloun se présenta à la cour, ayant obtenu sa grâce par suite des démarches que son hôte, Ali-Ibn-Ahmed, chef des Douaouida, venait de faire en sa faveur. Il espérait même obtenir sa réintégration dans la place de chambellan. Reprenons l'histoire de ce personnage.

Laissé à Tunis par le sultan [en l'an 721], il embrassa le parti d'Ibn-Abi-Amran; ensuite il voulut passer en Espagne, mais le retour imprévu du sultan l'empêcha d'exécuter ce dessein. Pour échapper au danger, il s'éloigna avec Ibn-Abi-Amran et assista aux expéditions que ce prince dirigea contre la capitale. Plus tard, il se rendit à Tlemcen, et, rentré de nouveau en Ifrîkïa avec Ibn-es-Chehîd, il y commit des actes de brigandage épouvantables. Quand la fortune se déclara contre Ibn-es-Chehîd, il chercha un asile parmi les Douaouida et fixa son séjour à Tolga, ville du Zab, où il demeura quelque temps sous la protection d'Ali-Ibn-Ahmed, chef de ce peuple. A la fin, il reçut le pardon de ses trahisons, grâce aux démarches de son hôte, dont le frère, Mouça-Ibn-Ahmed, le ramena à Tunis. Il espérait même obtenir la place de chambellan, mais Ibn-Séïd-en-Nas y était déjà installé. Dans une audience que le sultan lui accorda, il promit de faire oublier le passé par un dévouement désormais inaltérable, et, ayant obtenu sa nomination au gouvernement de Cafsa, il partit pour cette ville avec Bechîr et Fareh, affranchis d'origine européenne qui étaient au service du sultan. Ibn-Séïd-en-Nas avait déjà expédié aux cheikhs de Cafsa l'ordre d'arrêter l'escorte d'Ibn-el-Caloun, voulant ainsi procurer aux deux affranchis l'occasion de lui ôter la vie. Quand cette troupe fut venue camper à la porte de la ville, Kichli, officier qui en faisait partie

1. Variante: Mezid.

et qui appartenait au corps turc à la solde de l'empire, y pénétra et fut tué dans la rue. Depuis la nomination d'Ibn-el-Caloun à la place de chambellan, Kichli lui avait toujours prêté l'appui de son amitié et de l'influence que lui donnait le commandement du corps turc. La mort de ce chef ayant excité dans la ville une agitation dont le bruit se faisait entendre jusqu'au camp, Ibn-el-Caloun sortit de sa tente tout effrayé, et, dans le même instant, il tomba sous les poignards des deux, affranchis.

EL-FADL, FILS DU SULTAN [ABOU-YAHYA-A BOU-BEKR],

EST NOMMÉ GOUVERNEUR DE BONE.

Lors de son avènement au trône, le sultan donna le gouvernement de Bône à Mesrour, un de ses affranchis européens. Le caractère dur de cet officier et sa passion pour la guerre l'entraînèrent aux actes de violence et d'oppression. S'étant mis en campagne pour attaquer les Oulhaça, il fut tué dans un combat avec cette tribu qui avait couru aux armes pour défendre ses troupeaux. Quand le sultan apprit cette nouvelle, il ordonna à son fils, Abou-'l-Abbas-el-Fadl, d'aller prendre le commandement de Bône, et il lui adjoignit comme chambellan et chef militaire l'affranchi européen, Dafer-es-Sinan. Le jeune prince se conduisit de la manière la plus satisfaisante dans le poste que son père lui avait confié. Nous aurons encore à parler de lui.

MORT DE L'ÉMIR ABOU-FARES, FRÈRE DU SULtan.
BATAILLE D'ER-RIAS.

Quand le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr vint s'établir à Tunis, il amena avec lui ses trois frères, Mohammed, [AbouFares-]Abd-el-Azîz et Abd-er-Rahman, Ce dernier mourut [peu

1. Malgré l'autorité des manuscrits, il faut insérer les mots oua cotila dans le texte arabe.

de temps après]; mais les deux autres continuèrent à jouir de la

haute faveur dont leur frère les avait entourés et des honneurs que sa bonté leur avait départis. L'émir Abou-Fares était cependant rempli d'ambition et n'attendait qu'une occasion favorable afin de s'emparer du trône.

Or, à l'époque dont nous allons parler, il se trouvait à la cour un guerrier de la famille royale des Beni-Merîn, nommé Abd-elHack-Ibn-Othman-Ibn-Mohammed-Ibn-Abd-el-Hack. Ce prince, ayant quitté l'Espagne, alla trouver Ibn-Ghamr à Bougie, en l'an 718, et, à la mort de ce fonctionnaire, il se rendit à la capitale. Le sultan lui fit l'accueil le plus gracieux et accorda des pensions et des fiefs tant à lui qu'aux gens de sa suite. Il lui permit même d'entretenir à son service une troupe de cavalerie et un corps d'infanterie. Dans les expéditions militaires et dans les cérémonies publiques, le sultan croyait ajouter à l'éclat du trône en y faisant paraître un prince qui tenait dans la nation mérinide un rang des plus élevés et qui avait été même proclamé souverain par ses compatriotes. Abd-el-Hack était dur, hautain et jaloux de sa dignité. Un jour, ayant voulu s'entretenir avec le chambellan Ibn-Séïd-en-Nas, il alla le visiter de bonne heure, mais l'huissier' vint lui faire les excuses de son maître qui ne pouvait pas le recevoir. Ce manque d'égards l'offensa si vivement qu'il passa, le même jour, chez l'émir Abou-Fares, l'encouraga dans ses projets de révolte et l'emmeņa avec lui hors de la ville. Ceci se passa dans le mois de Rebiâ de l'an 729 (janv.-fév. 1329).

Ayant trouvé en chemin un camp arabe, ils en reçurent du chef de la tribu l'invitation de s'y arrêter. Abou-Fares accepta, mais Abd-el-Hack continua sa route et atteignit Tlemcen. Le sultan apprit cet événement par courrier, et, sans perdre un instant, il fit partir son serviteur et caïd, Mohammed-Ibn-elHakîm, à la tête d'un détachement de l'armée et de la brigade chrétienne. Au point du jour, on arriva chez la tribu, et ayant cerné la tente où Abou-Fares se tenait, on le somma de se rendre. Il s'y refusa et fit une vigoureuse résistance, jusqu'à ce qu'il

1. En arabe, aadin, participe actif du verbe.

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