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dans les provinces de l'occident. Il avait même remarqué combien l'autorité de ce prince s'était augmentée par le nombre des peuples qui avaient embrassé sa cause et par l'importance des personnages qui étaient entrés dans les cadres de son armée. On y comptait plusieurs princes de souche zenatienne, les plus braves guerriers d'entre les Toudjîn, les Maghraoua, les BeniAbd-el-Ouad et les Beni-Merîn, hommes qui, par leur proche parenté avec les familles régnantes ou par le haut rang qu'ils tenaient dans leurs propres tribus, avaient encouru la jalousie de leurs souverains ou de leurs chefs et qui étaient venus à diverses époques chercher un refuge auprès du souverain de Bougie. Il y avait encore dans cette armée des natifs des pays subjugués des Maghraoua, des Toudjîn et des Melîkich.

pour

Devenu formidable aux autres rois, le sultan Abou-YahyaAbou-Bekr se mit en marche, l'an 717 (1316-7), pour envahir l'Ifrîkïa, et il recueillit l'impôt dans tout le pays des Hoouara, ainsi que nous venons de le dire. Le sultan Ibn-el-Lihyani s'attendait même à se voir attaquer dans Tunis, car la majeure partie de l'Ifrîkïa avait cessé de lui appartenir, et il ne conservait plus d'espoir que dans l'appui de ses alliés arabes. Ce fut cette raison qu'il partagea son autorité avec Hamza-Ibn-OmarIbn-Ali-'l-Leil1, qu'il lui accorda le commandement absolu de toutes les populations arabes, et qu'il lui prodigua même les trésors de l'empire. Comme cette conduite n'avait servi qu'à accroître l'insolence des Arabes et leur insubordination, il se décida à renoncer au khalifat et à sortir du pays; mais il songea d'abord à emballer son argent et ses trésors; ensuite, il fit vendre tous les meubles, tapis, vases et autres objets précieux qui se trouvaient dans les garde-meubles de la couronne et jusqu'aux livres de la bibliothèque que l'émir Abou-Zékérïa l'ancien avait formée. Ces volumes, tous manuscrits originaux ou bien exemplaires choisis avec grand soin, furent distribués aux libraires pour être mis en vente dans les magasins. On

1. Dans le texte arabe, il faut lire: Hamza-Ibn-Omar-Ibn-Ali-IbnAbi-l-Leil.

prétend que, par tous ces moyens, il ramassa plus de vingt quintaux d'or et assez de grosses perles et de rubis pour en remplir deux sacs.

Vers le commencement de l'an 717 (mars avril 1317), il fit publier son intention de visiter les provinces, et, après avoir établi des garnisons dans Tunis, Bédja et El-Hammamat, illaissa à la capitale, comme lieutenant, Abou-'l-Hacen-Ibn-Ouanoudîn, et se rendit à Cabes. De là, il envoya ses percepteurs dans les provinces voisines pour y prélever l'impôt, et il continua à y demeurer jusqu'à l'avènement de son fils au trône de Tunis.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-ABOU-BEKR MARCHE SUR TUNIS

ET RENTRE A CONSTANTINE.

En l'an 716, le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr revint à Constantine, après avoir envahi le pays des Hoouara, et organisa une nouvelle expédition contre Tunis. Il leva des troupes, distribua de l'argent, répara son matériel de guerre et passa en revue les contingents fournis par les Zenata, les Arabes et les Sedouîkich. Le chambellan Mohammed-Ibn-el-Caloun fut désigné pour commander à Constantine, et Mansour-Ibn-FadlIbn-Mozni, gouverneur du Zab, fut envoyé à Bougie pour obtenir du chambellan, Abou-Abd-er-Rahman-Ibn-Ghamr, des secours d'argent, afin de pourvoir au donatif et à la solde des troupes. Ibn-Ghamr, ayant remarqué dans Ibn-Mozni un grand talent pour la conduite des affaires et pour trouver de l'argent, lui avait dejà confié l'administration de l'Auras, du Hodna, du pays des Sedouîkich, du pays des Aïad et de toutes les autres 1 provinces de l'empire; lui laissant ainsi l'administration générale des impôts et lui accordant de plus le contrôle des recettes et dépenses de tous les agents du fisc. Ibn-Mozni revint auprès du sultan, porteur de l'argent fourni par Ibn-Ghamr et de sa propre nomination au grade de vice-chambellan.

1. Dans l'arabe, lisez ouaçaïr.

1

Dans le mois de Djomada [premier] 717 (juillet-août 1317), le sultan quitta Constantine à la tête de son armée. Pendant sa marche, il accueillit les députations des tribus arabes, et, arrivé à Bédja, il trouva que la garnison avait évacué la place pour rentrer à Tunis. Abou-'l-Hacen-Ibn-Ouanoudîn, lieutenant du sultan Ibn-el-Lihyani, fit aussitôt prévenir son maître de l'approche du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr et lui déclara qu'il devait absolument venir et repousser l'ennemi. Le sultan s'en excusa, mais il mit à la disposition des envoyés l'argent qu'il avait par devant lui et leur donna l'autorisation de lever autant de troupes qu'ils voudraient. [Rentrés à Tunis, ]ils commencèrent à monter un corps de cavalerie, à enrôler des fantassins et à organiser une administration militaire. Il firent aussi remettre en liberté le prince Mohammed-Abou-Darba (le balafré), fils d'Ibn-el-Lihyani1. La nouvelle s'étant alors répandue tout-à-coup que le sultan de Constantine était en vue de Bédja, [toute cette armée sortit de Tunis [pour le combattre, et Moulahem-IbnOmar-Ibn-Abi-'l-Leil passa à l'ennemi. Il y avait longtemps que ce chef attendait une occasion semblable, étant très mécontent du gouvernement tunisien et de la préférence que son frère, Hamza, avait trouvée auprès d'Ibn-el-Lihyani. Ayant rencontré le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr en deçà de Bédja, il se mit à ses ordres et l'encouragea' à marcher en avant. Dans le mois de Châban (octobre), le sultan arriva en vue de Tunis et campa dans le Raud-es-Senadjera (prairie des Sindjar), un des parcs royaux. Les notables de la ville hésitèrent toutefois à lui prêter le serment de fidélité, ne sachant pas la tournure que prendrait la tentative d'Abou-Darba et de ses partisans.

Voici comment les choses se passèrent : Quand le sultan de Constantine quitta Bédja pour se porter en avant, Hamza-IbnOmar courut à Tunis et trouva les amis et partisans d'Ibn-elLihyani sur le point d'abandonner la ville. Il leur conseilla de proclamer Abou-Darba, afin de contenir le peuple et de marcher

1. L'auteur ne dit pas pour quelle raison Abou-Yahya avait fait emprisonner son fils.

ensuite contre l'ennemi. Il parvint aussi à obtenir de son frère Moulahem la promesse de jeter le désordre dans l'armée [d'Abou-Yahya-Abou-Bekr]. Ce monarque avait passé sept jours au Raud-es-Senadjera sans pouvoir faire reconnaître son autorité dans Tunis, et ayant alors appris que Moulahem devait le trahir, il décampa précipitamment et prit la route de Constantine.

Moulahem le quitta alors pour rentrer dans son pays, et Mansour-Ibn-Mozni se rendit à Bougie pour remplir une mission auprès d'Ibn-Ghamr. Vers le milieu de Châban, Abou-Darba rentra à Tunis avec ses Almohades et fut proclamé khalife, sous le titre d'El-Mostancer [IV]. Après avoir décidé les Tunisiens à entourer leurs faubourgs d'une muraille d'enceinte, il fit entreprendre ce travail malgré les exigences des Arabes qui lui demandaient des sommes exorbitantes pour l'avoir soutenu. Bientôt après, notre seigneur le sultan[Abou-Yahya-Abou-Bekr] y entreprit une seconde expédition.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-ABOU-BEKR PREND POSSESSION DE LA
CAPITALE.
DÉFAITE D'ABOU-DARBA ET FUITE DE SON PÈRE

EN ORIENT,

Avant de s'éloigner de Tunis pour rentrer à Constantine, le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr fit partir pour Bougie son caïd Mohammed-Ibn-Séïd-en-Nas. L'arrivée de cet officier causa tant d'inquiétude à Ibn-Ghamr qu'il prétendit ne point le connaître et refusa de le recevoir. Une conduite aussi suspecte n'échappa pas à l'observation du sultan, mais il dut fermer les yeux là-dessus et se contenter de demander des renforts. Alors Ibn-Ghamr se montra empressé à obéir; il réunit des troupes, des tentes, des machines de guerre, et bientôt il expédia au sultan sept corps d'armée, commandés chacun par un grand dignitaire de l'empire. Ces chefs étaient Mohammed-Ibn-Séïd-en-Nas, Mo

1. Lisez yordjif dans le texte arabe.

T. II.

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hammed-Ibn-el-Hakîm', Dafer-es-Sinan et Akhoua, affranchis de l'émir Abou-Zékérïa II, Mohammed-el-Mediouni, Mohammedel-Medjerci et Mohammed-el-Botouï 2. Il lui envoya aussi un des plus brillants guerriers de la race zenatienne, Abd-el-Hack-IbnOthman le mérinide. Ce chef avait quitté l'Espagne pour se rendre auprès d'Ibn-Ghamr, ainsi que nous le raconterons [dans un des derniers chapitres du quatrième volume]. Un autre chef que le gouverneur de Bougie envoya au sultan fut Abou-RechidIbn-Mohammed-Ibn-Youçof, de la famille des Abd-el-Ouad. Tous ces officiers se mirent en marche avec leurs gens et serviteurs et joignirent le sultan à Constantine.

Abou-Yahya-Abou-Bekr, ayant obtenu des renseignements très exacts sur la position des affaires en Ifrîkïa, résolut d'entreprendre une nouvelle expédition contre Tunis, et, après avoir pris pour chambellan Abou-Abd-Allah-Ibn-el-Caloun et pour vice-chambellan Abou-'l-Hacen-Ibn-Omar, il quitta le camp près de Constantine et se mit en marche dans le mois de Safer 718 (avril 1318). A Laribus, il opéra sa jonction avec les troupes fournies par les Hoouara et commandées par Soleiman-IbnDjamê. Elles lui apprirent qu'Abou-Darba s'était enfui de Bédja. où il avait eu l'intention d'attendre et de livrer bataille. Le sultan leva son camp à l'instant même et poussa rapidement en avant. Moulahem-Ibn-Omar le rencontra en route et lui fit encore agréer sa soumission. L'armée continua toujours la poursuite d'Abou-Darba et arriva bientôt sous les murs de Cairouan dont le gouverneur et les cheikhs vinrent jurer fidélité au sultan. Alors on cessa de courir après l'ennemi et l'on prit le chemin de Tunis.

Mohammed-Ibn-el-Fallac, l'officier auquel Abou-Darba avait confié la défense de la capitale, fit sortir ses archers dans la plaine et y livra un combat qui dura une heure ; la ville fut alors emportée d'assaut, les faubourgs mis au pillage et il y perdit la vie. Dans le mois de Rebià [premier ?] de cette année (mai

1. Les manuscrits portent, à tort, El-Hakem. 2. Dans le texte arabe, on lit El-Botouni.

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