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régent de l'empire, Ibn-Ghanır travailla pour obtenir la destitution de Hacen-Ibn-Ibrahîm-Ibn-Thabet, mais il ne put d'abord y parvenir. Profitant enfin de l'absence de ce chef, qui était sorti pour prélever l'impôt dans les provinces, il représenta au sultan le danger qu'il y aurait à laisser le gouvernement de Constantine entre les mains d'un homme qui avait toujours, dans les montagnes voisines, un lieu de retraite assuré. Conseils et calomnies, rien ne fut négligé par lui auprès d'un prince dont il avait toute la confiance, et il réussit enfin à faire accueillir son avis.

En l'an 713 (1313-4), le sultan quitta Bougie à la tête de son armée, afin d'examiner l'état des affaires à Constantine. Arrivé dans le Ferdjîoua, il rencontra les frères Abd-Allah-Ibn-Thabet et Hacen le chambellan 1 et leurôta la vie ainsi que leurs richesses. Quelques personnes racontent cette affaire autrement : quand Hacen-Ibn-Thabet, disent-elles, partit pour faire sa tournée dans les provinces du gouvernement de Constantine, le sultan le fit suivre par plusieurs de ses affranchis, porteurs d'ordres à l'adresse d'Abd-el-Kerîm-Ibn-Mendil et d'autres chefs de la tribu de Sedouîkich. Ceux-ci, l'ayant rencontré à Ouadi'l-Coten, s'empressèrent de le tuer, sans que le sultan eût assisté à sa mort.

Dafer-el-Kebir, vaincu et fait prisonnier par les Arabes, obtint d'eux sa liberté et alla trouver le sultan Abou-Yahya-AbouBekr. Ce prince, à l'instar de son frère, Abou-l-Baca, lui accorda son amitié et le nomma gouverneur de Constantine, en remplacement d'Ibn-Thabet. Comme il était dépourvu d'instruction, le sultan lui donna pour secrétaire Abou-'l-Cacem-IbnAbd-el-Azîz. Après avoir commandé dans cette ville pendant quelque temps, Dafer reçut l'ordre d'aller à Bougie; mais, bientôt après son arrivée, il fut embarqué de force et transporté en Espagne. Ce fut encore là un coup d'Ibn-Ghamr qui, toujours attentif à conserver son influence, avait indisposé le sultan contre lui.

1. Dans le texte arabe, il faut, sans doute, supprimer le mot Ibn.

SIÈGE DE BOUGIE PAR LES BENI-ABD-EL-QUAD.

En l'an 710 (1310-1), le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr, s'étant retiré précipitamment des environs de Bougie, chargea son affranchi, Said-Ibn-Yakhlof, de se rendre à Tlemcen et négocier un traité d'alliance avec Abou-Hammou-Mouça, qui venait de vaincre les Zenata du Maghreb central et d'enlever toutes les villes de ce pays à la domination mérinide. La mort du sultan mérinide, Youçof-Ibn-Yacoub, [qui fut assassiné] sous les murs de Tlemcen, avait permis à Abou-Hammou de reprendre cette province, de soumettre les pays des Maghraoua et des Toudjîn, d'arracher la ville d'Alger à la domination d'Ibn-Allan et celle de Tedellis à Ibn-Khalouf [gouverneur de Bougie]. Ce traité d'alliance devait engager les parties contractantes à se soutenir mutuellement et à tourner leurs armes contre Ibn-Khalouf. Une proposition de cette nature fut d'autant plus agréable à AbouHammou qu'il espérait pouvoir en profiter pour se rendre maître de Bougie. Ayant appris, quelque temps après, qu'Ibn-Khalouf venait d'être tué et que cette ville était tombée au pouvoir du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr, il éleva des réclamations sous le prétexte que, d'après le traité d'alliance, Bougie devait lui appartenir. Sur ces entrefaites, les Sanhadja, indignés de l'assassinat de leur chef, allèrent lui offrir leur concours dans une expédition contre la forteresse qu'il convoitait tant. Après eux, se présenta Othman-Ibn-Sebâ-Ibn-Yahya, dont la fierté ne pouvait soutenir l'atteinte que le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr avait portée à sa considération et à son honneur en violant le saufconduit donné à Ibn-Khalouf. Il y avait encore au camp l'exchambellan Ibn-Ali-Djebbiqui venait d'accomplir le pèlerinage · de la Mecque et qui s'était attaché au sultan Abou-Hammou. D'après les conseils de tous ces chefs, le souverain de Tlemcen organisa une expédition contre Bougie et en confia le commandement à ses cousins, Mohammed-Ibn-Youçof-Ibn-Yaghmoracen, Masoud-Ibn-Abi-Amer-Ibrahîm, et son affranchi Moçameh. Cette colonne partit de Chelif, ville où Abou-Hammou faisait

alors sa résidence et marcha rapidement vers sa destination. Après avoir traversé le Djebel-ez-Zan et perdu Abou-'l-CacemIbn-Abi-Djebbi, qui avait reçu l'ordre de les accompagner et qui mourut au passage de cette montagne, les troupes abd-elouadites commencèrent le siège de Bougie; mais, au lieu de continuer, elles quittèrent leurs positions afin d'aller ravager les contrées situées à l'est de cette ville. Pendant leur marche, elles mirent tout à feu et à sang, et, ayant pénétré, l'an 713 (1313), dans la montagne des Beni-Thabet, elles y répandirent la ruine et la mort. Le corps d'armée préposé à la défense de cette région leur mit enfin tant de monde hors de combat et remporta sur elles tant d'avantages, qu'il les força à la retraite. Ce fut alors que les Abd-el-Ouadites construisirent et approvisionnèrent leur forteresse à Zeffoun. Quand ils furent de retour de cette expédition, le sultan fit de vifs reproches à Mohammed-IbnYouçof et à Moçameh, et, en punition de leur négligence et incapacité, il leur ôta leurs commandements.

En l'an 714 (1314-5), le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] revint de Constantine et envoya un corps d'armée contre la forteresse que les Beni-Abd-el-Ouad avaient bâtie à Zeffoun. Ces troupes, étant soutenues par la flotte qui fut expédiée de Bougie pour le même objet, s'emparèrent de la place et la ruinèrent de fond en comble, après en avoir enlevé tous les approvisionnements. L'année suivante, une armée abd-el-ouadite, commandée par Masoud-Ibn-Abi-Amer-Ibrahîm, cousin du sultan Abou-Hammou, vint attaquer la ville de Bougie. Pendant le siège, le bruit se répandit que Mohammed-Ibn-Youçof-IbnYaghmoracen [prince de la famille royale de Tlemcen] s'était mis en révolte, et, qu'ayant obtenu l'appui des Beni-Toudjîn, il s'était emparé du camp d'Abou-Hammou à la suite d'un combat qui avait amené la déroute des Abd-el-Ouadites. Masoud abandonna aussitôt ses positions et s'éloigna de la ville. Bientôt après, le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] reçut de Mohammed

1. Littéralement il leur attacha le collier de la négligence et de l'incapacité. Il faut lire oua tauwacahoma.

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Ibn-Youçof la promesse de faire cause commune avec lui et de le reconnaître pour souverain. Par suite de cette communication, Mohammed-Ibn-el-Haddj, un des serviteurs du sultan, porta au prince abd-el-ouadite les emblèmes du commandement avec un riche cadeau et l'assurance d'obtenir un secours efficace et la concession de tous les domaines que Yaghmoracen avait autrefois reçus du gouvernement de l'Ifrîkïa. Le sultan, ayant ainsi suscité à la cour de Tlemcen assez d'embarras pour l'empêcher d'attaquer Bougie, sortit avec ses troupes afin d'examiner l'état de ses provinces.

IBN-GHAMK ÉTABLIT SA DOMINATION A BOUGIE.

Le chambellan Ibn-Ghamr continuait depuis longtemps à gouverner l'esprit du sultan; il réglait toutes les volontés de ce prince; il contrôlait ses ordres et, par des insinuations perfides, il obtenait de lui la mort ou le bannissement de plusieurs courtisans. Le sultan commença enfin à se lasser d'une telle servitude, et, en l'an 713, il poussa secrètement quelques habitants de Constantine à tuer, en guet-apens, ce puissant ministre. Un plan fut adopté pour y parvenir; mais, avant de recevoir son accomplissement, il fut découvert par Ibn-Għamr qui en fit punir les auteurs par divers genres de supplices. Dans la même année, le sultan revint à Bougie, afin de relever le courage des habitants toujours exposés aux dangers d'un siège1, et, jusqu'au moment d'atteindre l'âge viril, il continua à subir la domination de son chambellan. A cette époque, il laissa percer la violence de son caractère, et, dans une partie de débauche, il tua de sa propre main Mohammed-Ibn-Fadl, sans même avoir prévenu le ministre de son intention. Le lendemain, de bonne heure, IbnGhamr se rendit à la porte du palais pour y donner audience comme d'habitude et il vit, étendu au milieu du chemin, le corps d'Ibn-Fadl, tout habillé et couvert de sang. Ayant appris

1. Dans le texte arabe, lisez : hiçariha.

ce qui venait de se passer, il reconnut avec inquiétude que le sultan commençait à montrer de l'énergie et à agir en maître. Craignant alors pour lui-même et sachant que les intrigues des courtisans et les calomnies des intimes du palais devaient avoir dorénavant des suites redoutables, il chercha un prétexte pour décider le sultan à s'éloigner de Bougie, afin de pouvoir y commander lui-même sans opposition. Il l'encouragea donc à tenter la conquête de l'Ifrîkïa, et, ayant organisé une armée et réuni tout ce qu'il fallait en fait de tentes, de machines de guerre et de serviteurs, il se chargea de la solde des troupes et les mit à la disposition du prince, en l'invitant à marcher contre [AbouYahya-]Ibn-el-Lihyani et à lui enlever ce pays. En l'an 715 (1315-6), Abou-Yahya-Abou-Bekr prit le commandement de cette armée et se rendit à Constantine, d'où il fit une irruption dans le territoire des Hoouara et en expulsa le commandant militaire, Dafer, et les autres affranchis hafsides au service de cet officier. Ayant levé l'impôt de toute cette région, il reprit le chemin de Constantine et y fit son entrée en l'an 716. Pendant ce temps, Ibn-Ghamr gouvernait la ville de Bougie en maître absolu et la défendait contre les Zenata [abd-el-ouadites], et comme le sultan avait accepté Mohammed-Ibn-Caloun comme vice-chambellan 1, il se vit au comble de ses vœux et possesseur de l'indépendance qu'il avait tant souhaitée. Nous le reverrons plus tard.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-EL-LIHYANI SE REND A CABES

ET ABDIQUE.

Le sultan Abou-Yahya-Ibn-el-Lihyani, étant alors très avancé en âge, reconnut, par son expérience des affaires politiques, qu'il ne pourrait supporter plus longtemps le poids du khalifat. Il venait d'apprécier les droits légitimes des descendants de l'émir Abou-Zékérïa l'ancien au trône de l'Ifrîkïa et la puissance du nouvel empire fondé par l'émir Abou-Yahya-Abou-Bekr

1. Pour hidjabetihi, il faut lire probablement hidjabeti.

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