Images de page
PDF
ePub

de Tunis par Abou-'l-Baca, il profita de ce moment de confusion pour s'échapper et prendre la route de l'Orient. Quand il eut accompli le pèlerinage, il traversa l'Ifrîkïa, atteignit Tlemcen et poussa1le sultan Abou-Hammou à une expédition contre Bougie.

ABOU-ABD-ER-RAHMAN-IBN-GHAMR EST NOMMÉ CHAMBELLAN.

SES ANTÉCÉDENTS.

3

Yacoub-Ibn-Abi-Bekr-Ibn-Mohammed-Ibn-Ghamr-es-Selmi portait le surnom d'Abou-Abd-er-Rahman. Les gens de sa maison m'ont assuré que son aïeul Mohammed avait été cadi de Xativa et qu'il vint à Tunis lors de l'émigration des musulmans espagnols qui fuyaient la domination chrétienne 2. Sous le règne d'Abou-Acîda, il habita le faubourg septentrional de la ville. Ses fils Abou-Bekret Mohammed allèrent à Constantine où ils furent très bien reçus par Ibn-Youkian, le cheikh almohade 3 qui gouvernait cette forteresse au nom de l'émir Abou-Zékérïa second. Abou-Bekr obtint alors la direction de la douane de Collo et sut mériter par sa bonne conduite la bienveillance de son patron. Comme il allait très souvent à Bougie pour des affaires de service, il fit connaissance avec l'eunuque Merdjan, affranchi de l'émir Abou-'l-Baca-Khaled et officier du palais. Par l'entremise de cet ami, il trouva l'occasion de rendre plusieurs services à l'émir Abou-l-Baca et à la mère de ce prince. Ayant ainsi gagné leurs bonnes grâces, il jouit d'une haute faveur à la cour et obtint pour son fils Yacoub la main d'une de ces belles servantes que l'on élève dans les palais des rois. A l'ombre

1. Dans l'arabe, il faut lire oua-aghra.

2. En l'an 1248, lors de la prise de Séville.

3. En lisant l'histoire des Hafsides, on doit se rappeler que cette dynastie avait conservé la religion et l'organisation politique de l'ancien empire almohade. Pour plus de clarté, le traducteur a, quelquefois, substitué, dans les chapitres suivants, le mot hafside à celui d'almohade.

d'un si haut personnage la fortune de Yacoub ne cessa de grandir, et, comme sa famille avait cultivé l'amitié du haddj Fadl, intendant du palais et favori du sultan, il entra au service de cet officier et ne le quitta plus. El-Haddj-Fadl faisait de fréquents voyages en Espagne pour y acheter de belles étoffes de soie, et il se rendait quelquefois à Tunis afin d'y chercher de riches effets d'habillement. Lors de son dernier voyage en Andalousie, il emmena avec lui [son fils et] Ibn-Ghamr, et à peine débarqué, il cessa de vivre. Alors le sultan, au lieu d'adresser ses lettres au fils de Fadl, les envoya directement à Ibn-Ghamr en lui ordonnant de terminer promptement les achats et de revenir. A son retour, Ibn-Ghamr fut interrogé par le sultan, ainsi que le fils d'El-Haddj-Fadl, au sujet de leurs opérations, et comme le premier était doué d'une meilleure mémoire que son compagnon de voyage, il répondit mieux au prince et mérita, par son zèle et son activité, l'honneur d'entrer au service. de l'état. Favorisé par son maître, il monta d'un emploi à un autre et, après avoir rempli les fonctions de receveur d'impôts, il obtint la place de ministre des finances. Cette position l'exposa à la jalousie d'Ibn-Abi-Djebbi et d'Abd-Allah-er-Rokhami qui virent en lui un rival dangereux, et, en conséquence de leurs calomnies, le sultan le fit déporter en Espagne. Quand Abou-l-Baca monta sur le trône, Ibn-Ghamr fit valoir les anciens services rendus à ce prince et obtint son rappel à la cour. S'étant alors embarqué avec Ali et Hocein, fils d'ErRendahi1, il entra au port de Bougie pendant l'absence d'IbnAbi-Djebbi et reçut du sultan un très bon accueil. Aussitôt arrivé, il travailla avec Merdjan pour renverser ce chambellan et parvint à ses fins, ainsi que nous venons de le raconter. La place qui vaqua ainsi lui fut donnée par le sultan, et l'administration des finances fut confiée à Er-Rokhami. Comme ce dernier s'était mis au courant des fonctions de chambellan pendant qu'il

1. Notre auteur a déjà parlé de Hadjboun-er-Rendahi; voir p. 334 de ce volume. Dans l'histoire des Mérinides, il fait encore mention de ce caïd.

était au service d'Ibn-Abi-Djebbi, il devint le lieutenant d'IbnGhamr et chercha ensuite à le supplanter. Pour se venger de ce mauvais procédé, Ibn-Ghamr fit découvrir au sultan certains projets de trahison qu'Er-Rokhami nourrissait en secret. Cette révélation entraîna la chute du vice-chambellan' qui fut déporté en Maïorque [chez les chrétiens] après avoir subi la torture et la confiscation de ses biens. Plus tard, le sultan mérinide, YouçofIbn-Yacoub,disgrâciaAbd-Allah-Ibn-Abi-Medyen et racheta ErRokhami pour en faire son ministre des finances, ainsi que nous le raconterons ailleurs 2; mais la mort de ce souverain frustra les espérances du proscrit qui, depuis lors, ne quitta plus Tlemcen, et mourut dans cette ville. Yacoub-Ibn-Ghamr, ayant conservé la place de chambellan, la remplit avec tant d'habileté que le sultan lui confia l'administration de l'état. Les fonctionnaires de tous grades furent soumis à son contrôle, et rien ne se décida dans le conseil d'état sans son approbation. Le premier individu qui succomba sous les coups de sa puissance fut son ancien protecteur Merdjan : il réussit à indisposer le sultan contre lui; puis il le fit arrêter et jeter à la mer pour servir de nourriture aux poissons. N'ayant plus alors de rival à craindre, il conserva l'entière direction des affaires jusqu'au jour où Abou'l-Baca s'empara de Tunis.

IBN-EL-AMÎR PROCLAME ABOU-ACÎDA A CONSTANTINE.

PRISE DE

LA VILLE PAR ABOUL-L-BACA ET MORT DU CHEF RÉVOLTÉ.

Nous aurons à raconter, dans l'histoire des Mérinides, comment Youçof-Ibn-el-Amîr 3-el-Hemdani fut tué à Tanger par les

1. La disgrâce d'Er-Rokhami eut lieu quelque temps après la révolte d'Ibn-el-Amîr à Constantine. Voir ci-après, p. 425.

2. Dans l'histoire de Youçof-Ibn-Yacoub, on cherche vainement le passage auquel l'auteur renvoie ici son lecteur.

3. Variante: Amin.

[petits-] fils d'Abou-Yahya-Ibn-Abd-el-Hack. Ses enfants passèrent à Tunis afin d'obtenir du sultan El-Mostancer la juste récompense du zèle que leur famille avait déployé en faveur de la dynastie hafside, depuis le temps où Abou-Ali-Ibn-Khalas gouvernait à Ceuta jusqu'au moment où El-Azéfi usurpa le commandement de cette ville. On trouvera dans notre chapitre sur El-Azéfi les détails de ces événements 1. Accueillis à Tunis de la manière la plus bienveillante, ils reçurent du gouvernement des pensions et des grâces qui suffirent pour leur procurer tous les agréments de la vie. L'aîné de ces frères s'y fit bientôt remarquer par sa hauteur et son insolence: et, plus d'une fois, il aurait attiré sur sa famille la sévérité du gouvernement, si l'indulgence du sultan ne l'eût pas emporté sur le mécontentement général. Leurs enfants furent élevés dans l'opulence, et l'un d'entre eux, Abou-'l-Hacen-Ali, se retira à Bougie lors des troubles et changements qui suivirent la mort du sultan [ElMostancer]. Pendant son séjour dans cette ville, il gagna l'amitié d'Ibn-Abi-Djebbi et, pour s'attacher à lui par les liens les plus solides, il en épousa la fille. Cet homme d'état, ayant obtenu de l'émir Abou-Zékérïa la place de chambellan, n'épargna aucune démarche pour faire admettre son gendre au partage de la puissance et des honneurs. Le succès répondit à ses efforts, et Abou'l-Hacen-Ibn-el-Amîr monta rapidement aux plus hauts emplois jusqu'à se faire nommer gouverneur de Constantine et chambellan du prince Abou-Bekr[-Abou-Yahya], fils de l'émir AbouZékérïa. Dans cette position, il montra beaucoup de talent et de prudence; mais, voyant que la chute de son beau-père l'exposait aussi à la vengeance du sultan, il fit proclamer à Constantine l'autorité du souverain de Tunis. Avec l'acte d'hommage qu'il

1. Voir aussi page 334 de ce volume.

2. Le onzième souverain hafside se nommait Abou-Bekr et portait le surnom d'Abou-Yahya. Dans cette traduction, les deux appellations sont constamment employées ensemble pour éviter la confusion à laquelle une étrange fantaisie de notre historien peut donner lieu dans le premier volume du texte arabe, il appelle presque toujours ce sultan Abou-Bekr et, dans le second, il le nomme Abou-Yahya.

expédia à cette capitale et auquel les habitants de la ville avaient donné leur adhésion, il envoya une lettre dans laquelle il demanda des renforts et la présence d'un représentant du sultan. En l'an 704 (1304-5), Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn Ahmed-IbnMohammed-el-Lihyani, chef des Almohades et premier ministre de l'empire, arriva à Constantine et ratifia, au nom de son maître, l'acte de soumission.

Le sultan Abou-'l-Baca, ayant appris cette nouvelle, quitta Bougie vers la fin de l'année et marcha sur Constantine. Pendant quelques jours il fit inutilement le siège de la place et il se disposait même à s'en éloigner, quand un nommé Ibn-Mouza, un des favoris d'Ibn-el-Amîr, ouvrit une correspondance secrète avec Abou-'l-Hacen-Ibn-Othman, cheikh almohade [au service du prince de Bougie]. Cet officier, qui était posté en face du Babel-Ouadi [porte qui domine la rivière], fit marcher ses gens à l'assaut et escalada les murailles, grâce à la connivence d'IbnMouza. Au bruit des armes, le sultan monta à cheval, conduisit son armée jusqu'à la porte de la ville, qui lui fut ouverte par ses partisans. Les Gonfodi1, les Badîs et les [autres] notables s'empressèrent de sortir au devant de lui; mais la ville fut emportée d'assaut, et Abou-Mohammed-er-Rokhami? courut avec la garde du sultan vers le palais. Ibn-el-Amîr, se voyant abandonné de tout le monde, alla se barricader dans une chambre sur le toit de cet édifice, avec l'intention de vendre chèrement sa vie; mais, séduit par les promesses d'Er-Rokhami, il consentit enfin à sortir de sa retraite. On le fit aussitôt monter à rebours sur une mauvaise rosse et on le conduisit ainsi devant le sultan. Il fut mis à mort sur-le-champ, et son cadavre, attaché à un pieu, resta exposé aux yeux du public, pour lui servir de leçon et d'exemple.

1. Variantes: Ghonfol, Gongodi, Gonfodi. Cette dernière est la bonne leçon.

2. Cet Abou-Mohammed-er-Rokhami est la même personne que l'AbdAllah-er-Rokhami des pages 120 et 122.

« PrécédentContinuer »