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EL-OUATHEC ET SES ENFANTS SONT MIS A MORT.

El-Ouathec resta quelques jours seulement dans la maison où il s'était retiré après avoir abdiqué le pouvoir et où il avait emmené ses jeunes enfants El-Fadl ', Et-Taher et Et-Taîïb. Le sultan Abou-lshac, ayant entendu dire qu'il espérait soulever le peuple et qu'il avait pratiqué des intelligences avec quelques officiers de la milice chrétienne, fut très inquiet de l'influence qu'on lui attribuait encore et donna l'ordre de le mettre en prison ainsi que ses enfants. On les enferma dans la même chambre de la citadelle où, sous le règne d'El-Mostancer, on avait détenu les enfants d'Abou-Ishac. Dans la nuit qui suivit cette arrestation, ils furent tous égorgés par des émissaires du nouveau souverain. Ceci se passa dans le mois de Safer 679 (juin 1280). S'étant assuré le pouvoir de cette manière, AbouIshac confia un commandement à son fils.

L'ÉMIR ABOU-FARES, FILS DU SULTAN ABOU-ISHAC, EST NOMMÉ GOUVERNEUR DE BOUGIE.

Abou-Ishac avait cinq fils : Abou-Fares-Abd-el-Azîz, AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, Abou-Zékérïa-Yahya, Khaled et Omar. Quand leur père s'enfuit chez les Riah, El-Mostancer les fit enfermer dans un appartement du palais, pour y être élevés sous ses yeux, et il pourvut abondamment à tous leurs besoins. Rendus à la liberté, lors de l'avènement de leur père, ils virent leur fortune grandir avec la sienne et leur bonheur s'épanouir à l'ombre de sa puissance. Entourés de grandeurs, ils ne pensèrent qu'à récompenser tous ceux qui leur avaient rendu des services, et ils obtinrent de l'indulgence du sultan les moyens de satisfaire leurs sentiments généreux.

1. El-Fadl, l'aîné de ces frères, n'était pas un jeune enfant; deux années plus tard, il souleva les tribus, lui ou le prétendant qui le représentait, et s'empara du trône.

2, Il faut corriger le texte arabe etlire thielhom à la place de dhillhom.

Abou-Fares, l'aîné de tous, se fit d'autant plus remarquer que son père l'avait formellement désigné comme héritier du trône. Au nombre de ceux qui avaient mérité sa reconnaissance et son amitié se trouvèrent deux frères, Ahmed et Abou-l-Hocein, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas-el-Yameri et membres d'une des premières familles de Séville. Leur père savait par cœur et enseignait les traditions relatives au Prophète; comme légiste il suivait les opinions de Dawoud 'et, à l'exemple des docteurs de cette école, il se tenait strictement à la lettre de la loi.

De toutes les villes de l'Espagne, Séville fut celle qui entretenait les rapports les plus suivis avec l'émir hafside AbouZékérïa et avec ses descendants; conséquence naturelle de la souveraineté que ce prince avait exercée dans l'Andalousie occidentale. Aussi, quand le roi chrétien s'acharna sur ce pays dont il enlevait les forteresses, dévastait les campagnes et menaçait les grandes villes, les chefs des principales familles musulmanes et les savants les plus illustres de l'Espagne passèrent dans les deux Maghrebs, et surtout en Ifrîkïa, afin de se rendre à Tunis, siège du puissant empire des Hafsides. Le traditionniste Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas, prévoyant que la désorganisation des états musulmans d'Espagne et l'imprévoyance des habitants devaient amener une grande catastrophe, prit la résolution d'émigrer à Tunis, où il avait eu autrefois des relations avec les khalifes hafsides. Accueilli honorablement par le sultan [El-Mostancer], il devint professeur de jurisprudence dans le collège situé auprès des Bains du Bel-Air (Hammam-el-Houa) et fondé par Omm-el-Khalaïf, mère du sultan.

Ahmed et Abou-'l-Hocein furent élevés dans le palais, aux frais du gouvernement, en considération des services que leur

1. Abou-Soleiman-Dawoud, fondateur de l'école des Daherites, c'està-dire extérieuristes, qui négligeaient l'esprit de la loi pour s'en tenir à la lettre, naquit à Koufa en l'an 202 (817-8). Il fit ses études à Baghdad ; il y enseigna ses doctrines et il y mourut en 270 (884). On trouvera une notice de ce docteur dans ma traduction anglaise du Dictionnaire biographique d'Ibn-Khallikan, vol. I, p. 501.

père Abou-Bekr avait rendus à la famille royale; mais, au lieu de cultiver les sciences, ils recherchèrent les biens de ce monde. et ambitionnèrent de hautes positions dans l'administration de l'État. S'étant adressés aux fils d'Abou-Ishac, qui étaient alors détenus dans le palais, ils gagnèrent leur confiance et furent admis à leur service; aussi, quand Abou-Fares fut déclaré héritier du trône avec le rang de vizir, Ahmed se vit comblé d'honneurs par le jeune prince, dont il devint aussi le chambellan. Abou-'l-Hocein, de son côté, parvint à un aussi haut degré de faveur que son frère. Une si brillante fortune excita l'envie des courtisans; on chercha à jeter de l'inquiétude dans l'esprit du sultan et à l'indisposer contre son fils qui, disait-on, conspirait avec Ahmed-Ibn-Seïd-en-Nas dans le but de s'emparer de l'empire. Le principal meneur de cette cabale fut Abd-el-OuehhabIbn-Caïd-el-Kelaï, l'un des secrétaires d'État et chargé alors d'écrire le paraphe impérial. Le sultan ajouta foi à ces dénonciations et, dans le mois de Rebiâ second 679 (août 1280) 1 il envoya chercher Ahmed et le fit tuer à coups de sabre. Le cadavre fut jeté dans un souterrain. Quand l'émir Abou-Fares apprit cette nouvelle, il revêtit des habits de deuil, monta à cheval et se rendit au palais. Le sultan essaya de dissiper la douleur de son fils en lui déclarant qu'il avait découvert la perfidie d'IbnSeïd-en-Nas et ses complots contre l'État. En même temps il enleva de ses propres mains l'habillement noir dont le prince. s'était couvert.

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Abou-'l-Hocein fut assez heureux pour échapper à la mort : après s'être caché pendant quelques jours, il avait été arrêté ainsi que plusieurs autres serviteurs et intimes d'Abou-Fares; mais, au bout d'un certain temps, il fut remis en liberté. Dans la suite de cette histoire nous aurons encore à parler de lui.

Le sultan fit tout ce qui lui était possible pour rassurer l'esprit de son fils et, voulant effacer jusqu'aux dernières traces du mécontentement qui pouvaient rester dans le cœur du jeune prince,

1. Ici et plus loin, notre auteur a mis, par mégarde, la date de 669.

il le nomma souverain absolu de la ville et province de Bougie. Abou-Fares partit pour sa destination, emmenant avec lui, en qualité de chambellan, mon aïeul Mohammed, fils du ministre des finances, Abou-Bekr-Ibn-Hacen-Ibn-Khaldoun. Ce fut au sultan que mon parent dut sa nomination. Abou-Fares quitta Tunis, l'an 679, et alla prendre possession de son gouvernement.

SA MORT.

RÉVOLTE D'IBN-QUEZÎR A CONSTANTINE.
[DESCENTE DES CHRÉTIENS A COLLO.]

Abou-Bekr-Ibn-Mouça-Ibn-Eïça, surnommé Ibn-Ouezir, appartenait à une bonne famille almohade de la tribu de Koumia. Sous le règne d'El-Mostancer, il avait été au service d'Ibn-Gueldacen, cheikh almohade et successeur d'Ibn-en-Noman dans le gouvernement de Constantine. Demeuré à Constantine comme lieutenant de son patron qui s'était rendu à Tunis, il remplit les devoirs de cette place avec autant d'habileté que de fermeté. Désigné ensuite par le sultan au gouvernement de cette ville, il occupa ce poste assez longtemps. Quand l'agitation produite par la mort d'El-Mostancer se fut calmée, le sultan El-Ouathec confirma cette nomination, et son successeur, Abou-Ishac, en fit autant. Avide de grandeurs, ce fonctionnaire se laissa emporter par l'ambition, et, sachant que Constantine était la place la plus forte de la province, il conçut la pensée de s'y maintenir comme chef indépendant. Les habitants de la ville furent bientôt accablés par ses exactions, et ils exposèrent leur situation au sultan Abou-Ishac en le priant de leur porter secours; mais ce prince, ayant remarqué dans la conduite du gouverneur, Ibn-Ouezir, certains traits qui annonçaient un esprit peu dispos à l'obéissance, se garda bien de répondre à leurs sollicitations. Comme IbnOuezîr écrivit aussi pour se disculper des actes dont on l'accusait, le sultan jugea convenable de cacher son mécontentement et de fermer les yeux sur ce qui se passait.

En l'an 679 (1280-1), l'émir Abou-Fares passa auprès de

Constantine pour se rendre à Bougie, siège de son gouvernement. Ibn-Ouezîr évita d'aller à sa rencontre et lui fit porter ses excuses les plus humbles par une députation composée des dévots de la ville. Cette démarche eut le succès qu'il désirait; le prince s'en montra satisfait et continua sa route.

Quand Abou-Fares fut arrivé à Bougie, Ibn-Ouezîr crut avoir trouvé le moment opportun pour usurper le pouvoir, et il demanda par écrit au roi d'Aragon l'envoi d'un corps de troupes chrétiennes qui s'établirait à Constantine et ferait des incursions sur le territoire du sultan. On dit même que, moyennant ce secours, il s'engagea à servir les intérêts du roi en agent dévoué. Le monarque chrétien accueillit cette proposition et annonça l'envoi d'une flotte.

Vers la fin de l'an 680 (mars-avril 1282), Ibn-Ouezîr leva le masque et se fit proclamer souverain à Constantine. L'émir AbouFares partit aussitôt de Bougie à la tête de son armée, et, ayant rallié autour de lui une foule de guerriers arabes et de cavaliers fournis par les tribus, il alla camper à Mîla. Là il reçut une députation de cheikhs de Constantine chargés, par l'usurpateur, de lui présenter des souhaits, bien peu sincères, d'amitié et de réconciliation. Le prince refusa de les écouter et marcha sur Constantine où il arriva dans la matinée du premier jour du mois de Rebià 681 (9 juin 1282). Ayant alors rassemblé des ouvriers, il commença le siège et dressa ses catapultes, pendant que ses archers occupaient des positions plus rapprochées de la ville. L'attaque avait duré à peu près un jour, quand un détachement sous les ordres de Mohammed, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Khaldoun, escalada les murs et pénétra dans la place. Ibn-Ouezîr soutint l'assaut avec une bravoure extrême, mais, ayant eu la retraite coupée, il mourut ainsi que son frère et tous ses partisans. Leurs têtes furent plantées sur les murailles de la ville. Abou-Fares y fit alors son entrée et parcourut les rues afin de rétablir l'ordre et rassurer les esprits. Il fit ensuite réparer les murailles et les ponts. S'étant installé dans le palais, il expédia un courrier à la capitale pour annoncer cette victoire à son père. La flotte chrétienne arriva au port de Collo, lieu de rendez

T. II.

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