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Abi-'l-Hocein fut arrêté et conduit à la citadelle, pendant qu'Ibn-Yacîn, Ibn-Seïad-er-Ridjala et d'autres officiers s'emparèrent de son mobilier. L'administration des finances fut confiée à un affranchi d'origine chrétienne nommé Modafê, et Abou-ZeidIbn-Abi-'l-Alam reçut l'ordre d'opérer la confiscation des biens du prisonnier. Par l'emploi de la torture, ce chef almohade. arracha de fortes sommes à l'inculpé, et il ne cessa de le mettre à la question jusqu'à ce que ce malheureux eût déclaré n'avoir plus rien. Il lui fit prêter serment à cet effet, et, ensuite, par une nouvelle application de la bastonnade, il le contraignit à avouer qu'il avait encore quelques sommes en dépôt chez des individus qu'il nomma. Quand la rentrée de cet argent fut effectuée, un des esclaves d'Ibn-Abi-'l-Hocein déclara que dans la maison de son maître il y avait un trésor caché. On alla y faire des fouilles et on découvrit six cent mille pièces d'or. Alors on n'ajouta plus aucune foi aux paroles du prisonnier et on l'accabla de tourments jusqu'à ce qu'il mourut. Cela eut lieu dans le mois de Dou-'l-Hiddja 676 (avril-mai 1278). On ignore ce que devint le corps du supplicié.

Ibn-el-Habbeber, se trouvant ainsi seul directeur du gouvernement et maître de l'esprit du sultan, nomma son propre frère, Abou-l-Ola[-Idrîs], administrateur des impôts de la province de Bougie 1, et encourut la haine des cheikhs almohades et des courtisans par son orgueil, son esprit despotique et la hauteur avec laquelle il accueillit leurs hommages. Par sa persévérance à suivre cette voie dangereuse, il s'attira des malheurs qui retombèrent sur l'empire.

ABOU-ISHAC Arrive d'espagNE ET SE FAIT PROCLAMER SULTAN PAR LES HABITANTS DE BOUGIE.

En l'an 660 (1261-2), le sultan El-Mostancer ôta le gouvernement de Bougie à son frère, l'émir Abou-Hafs, et confia cette

1. Malgré l'autorité des manuscrits et du texte imprimé, il faut lire : oualian ala achghal Bedjaïa. Voir le chapitre suivant.

charge importante à Abou-Hilal-Eïad-Ibn-Saîd-el-Hintati. Cet officier resta en fonctions jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu à Beni-Oura, en l'an 673. Son fils Mohammed-Ibn-AbiHilal lui succéda dans ce commandement et y fit preuve d'une haute capacité. Lors de la mort d'El-Mostancer et l'avènement d'El-Ouathec, Mohammed envoya au nouveau sultan l'assurance de son dévouement et lui fit porter, par une députation, les hommages du peuple de Bougie. Quelque temps après, l'administration des revenus fournis par cette province fut confiée à [Abou-'l-Ola-]Idrîs par son frère, Ibn-el-Habbeber. Ce fonctionnaire ramassa beaucoup d'argent dans cet emploi et imposa ses volontés au conseil municipal de la ville. Le gouverneur luimême fut indigné de la conduite despotique d'Abou-'l-Ola et, sachant que ce même individu travaillait à le perdre, il tint conseil avec ses officiers et suborna3 quelques-uns de ses affidés afin de prévenir le danger. Le premier jour du mois de Dou-'lCâda 667, Abou-'l-Ola alla, comme d'ordinaire, tenir une séance à la porte du palais, quand il fut tué par les conjurés. Sa tête fut séparée du corps et livrée aux insultes de la populace.

Au moment où cet événement se passa, l'émir Abou-Ishac venait d'arriver à Tlemcen. Ayant appris la mort de son frère El-Mostancer, il s'était décidé à passer en Afrique afin de faire valoir ses droits au trône. Il hésita d'abord quelque temps [avant de quitter l'Espagne], mais ayant enfin traversé la mer, il prit la route de Tlemcen et trouva auprès de Yaghmoracen-IbnZîan l'accueil le plus distingué.

Après l'assassinat d'Abou-l-Ola, les habitants de Bougie et leur gouverneur virent que le seul moyen d'échapper à la vengeance du sultan était de reconnaîtrela souveraineté d'Abou-Ishac et de le faire prier, par une députation, de venir prendre possession de la ville. Le prince répondit à leurs vœux et fit son

1. Dans le texte arabe, il faut lire bi-bíatihim.

2. Lisez el-mela à la place d'el-melek, dans le texte arabe.

3. Le mot dakhel se trouve dans les manuscrits, mais il faut lire dakhel, à la troisième forme.

entrée à Bougie vers la fin de Dou-'l-Câda de la même année. Les Almohades et les notables de Bougie lui prêtèrent aussitôt le serment de fidélité. Le nouveau sultan choisit pour ministre Mohammed-Ibn-Abi-Hilal et marcha sur Constantine, ville où se trouvait Abd-el-Azîz, fils d'Eïça-Ibn-Dawoud; mais la résistance qu'il y rencontra fut si vigoureuse qu'il prit le parti de s'en éloigner.

L'ÉMIR ABOU-HAFS EMBRASSE LE PARTI DU SULTAN ABOU-ISHAC. ABDICATION D'EL-OUATHEC.

Quand El-Ouathec et son vizir Ibn-el-Habbeber apprirent l'entrée du sultan Abou-Ishac à Bougie, ils envoyèrent contre lui un corps de troupes commandé par Abou-Hafs, oncle d'ElOuathec, auquel on avait adjoint Abou-Zeid-Ibn-Djamê en qualité de lieutenant. Pendant que cette armée se rendait de Tunis à Bédja 1, où elle dressa son camp, El-Ouathec donna le gouvernement de Constantine à Abd-el-Azîz-Ibn-Eïça-IbnDawoud, parce qu'il était gendre d'Ibn-el-Habbeber. Cet officier, étant parvenu à sa destination, défendit la ville contre AbouIshac, ainsi que nous venons de le dire. Ibn-el-Habbeber, s'étant alors imaginé qu'Abou-Hafs avait l'intention de se révolter, chercha à semer la division dans l'armée aux ordres de cet émir, et, d'après ses conseils, El-Ouathec écrivit à Abou-Hafs et à Ibn-Djamê, recommandant à chacun d'eux de se défaire de l'autre. Les deux officiers se firent mutuellement part de l'ordre qu'ils venaient de recevoir, et, s'étant aussitôt accordés sur la nécessité de reconnaître la souveraineté de l'émir Abou-Yahya, ils envoyèrent leur adhésion à ce prince. El-Ouathec apprit cette nouvelle à Tunis et, voyant que la ville était restée sans garnison et lui-même sans amis, il sentit l'impossibilité de garder le

1. Dans le texte arabe, on a imprimé, par mégarde, Bedjaïa, au lieu de Badja.

2. Ou beau-père; le mot arabe porte les deux significations.

pouvoir et convoqua les grands dignitaires de l'empire, afin d'abdiquer en faveur de son cousin, le sultan Abou-Ishac. Ceci se passa le 1er du mois de Rebiâ premier de l'an 678 (13 juillet 1279). Quittant alors le palais impérial, qui était situé dans la citadelle, il alla se loger dans la maison nommée Dar-el-Acouri. En perdant ainsi le trône, il perdit toute sa considération.

LE SULTAN ABOU-ISHAC OCCUPE LA CAPITALE.

Quand le sultan Abou-Ishac reçut la dépêche que son frère l'émir Abou-Hafs et Ibn-Djamê luiavaient expédiée de Bédja, il se hâta d'aller les joindre, et, ayant ensuite appris l'abdicationde son neveu El-Ouathec, il se porta en avant, accompagné de tout son monde. Les habitants de Tunis, classés par corps et métiers, s'empressèrent d'aller au-devant de lui pour témoigner leur obéissance, et, vers le milieu du mois de Rebiâ second, il fit son entrée dans la capitale de l'empire. Mohammed-Ibn-AbiHilal remplit auprès de lui les fonctions de premier ministre ; celles de grand chambellan furent confiées à Abou-'l-CacemIbn-es-Cheikh, ancien secrétaire d'Ibn-Abi-'l-Hocein, et celles de ministre des finances à Abou-Bekr[-Mohammed], fils d'ElHacen-Ibn-Khaldoun. Ce personnage était venu de Séville avec son père, El-Hacen, pour faire valoir leurs droits à la bienveillance de l'émir Abou-Zékérïa. En effet, ce fut de [leur proche parent] Ibn-el-Mohteceb que ce prince reçut en cadeau la belle esclave qui donna le jour à ses fils et que l'on nommait [pour cette raison] Omm-el-Khalaïf (la mère des khalifes). AbouZékérïa leur fit une très honorable position '. Plus tard, El

1. Dans l'errata de l'édition arabe, nous avons proposé une correction ́ et nous l'avons adoptée dans la traduction. Même avec ce changement, le passage ne serait guère intelligible sans le secours de deux citations de l'Autobiographie que nous reproduisons ici: «< Nos ancêtres de >> Séville s'étaient attachés à la cause des Almohades, et, quand l'émir » Abou-Zékérïa, fils d'Abd-el-Ouahed le hafside, gouverna l'Ifrîkïa, >> un de nos aïeux maternels, nommé Ibn-el-Mohteceb, lui fit cadeau

Hacen partit pour l'Orient où il mourut; mais son fils resta à Tunis. A peine l'émir Abou-Ishac eut-il fait son entrée dans la capitale, qu'il nomma Abou-Bekr au ministère des finances, charge qui jusqu'alors avait été remplie par des Almohades. Fadl-Ibn-Ali-Ibn-Mozni obtint le gouvernement du Zab, autre poste où l'on avait toujours auparavant installé un chef almohade, et il dut cette faveur à la reconnaissance du sultan dont il avait été le compagnon d'exil en Espagne. Son frère Abdel-Ouahed-Ibn-Mozni fut nommé gouverneur de Castîlïa.

Après ces nominations, le sultan fit arrêter Ibn-el-Habbeber et le livra à Mouça-Ibn-Mohammed-Ibn-Yacîn, pour être mis à la question jusqu'à ce qu'il eut dégorgé toutes ses richesses. On trouva [au cou du prisonnier], où l'on porte ordinairement des amulettes, plusieurs sceaux et talismans de diverses formes au moyen desquels, dit-on, il avait fasciné l'esprit de son souverain. Ces objets lui portèrent malheur : il fut soumis aux mêmes genres de torture que sa victime, Saîd-Ibn-Abi-Hocein, avait subis; comme lui, il fit serment d'avoir déclaré toutes ses richesses, et, comme lui, il mourut dans les tourments. Cette exécution eut lieu dans le mois de Djomada premier de cette année (sept.-oct. 1279). Dieu ne lésera [qui que ce soit], pas [même] pour le poids d'un atome 1.

En l'an 678 2, quand le sultan se fut bien raffermi sur le trône, il fit arrêter et mourir Mohammed-Ibn-Abi-Hilal, qu'il regardait comme un homme dangereux, toujours porté vers l'intrigue et la trahison.

» d'une jeune esclave galicienne dont il fit sa concubine. Il eut d'elle » plusieurs enfants et elle reçut, pour cette raison, le titre d'Omm-el» Khalaïf. » «Notre aïeul, Ibn-el-Mohteceb, émigra en Afrique et

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>> fut traité avec une haute distinction par Abou-Zékérïa. Il vécut dé>>sormais à l'ombre tutélaire de l'empire hafside, jouissant des faveurs >> du prince, qui lui avait assigné un traitement et accordé plusieurs >> fiefs. >>

1. Coran, sourate IV, verset 44.

2. Le texte de l'auteur porte 676.

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