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générale. L'on céda d'autant plus facilement à ce sentiment, qu'Abou-Mohammed le hafside et son fils avaient su gagner tous les cœurs. Abou-Zeid fut bientôt remplacé par Abou-Mohammed II, ainsi que nous allons le raconter, et, s'étant ensuite embarqué avec ses trésors et sa famille, il partit pour la capitale [de l'empire almohade].

RÈGNE D'ABOU-MOHAMMED-ABD-ALLAH, FILS D'ABOU-MOHAMMED,

FILS D'ABOU-HAFS.

La mort d'El-Makhlouê et l'avènement d'El-Adel amenèrent la nomination d'Abou-Mohammed-Abd-Allah, fils d'Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed, au gouvernement de l'Ifrikïa. Celui de Bougie fut accordé en même temps à Yahya-Ibn-el-Attas-etTînmeleli, qui remplaça ainsi Ibn-Yaghmor. Le cîd Abou-Zeid reçut alors du khalife l'ordre de revenir à la cour.

Abou-Mohammed envoya, sur-le-champ, à son cousin AbouAmran-Mouça, fils d'Ibrahîm le hafside, un écrit par lequel il . l'autorisa à gouverner l'Ifrîkïa jusqu'à son arrivée.

Dans le mois de Rebiâ second 623 (avril 1226), le cid AbouZeid quitta le pouvoir, et Abou-Amran se chargea de la lieutenance dont il continua à remplir les fonctions pendant à peu près huit mois. Abou-Mohammed partit enfin de Maroc pour se rendre à sa destination et, arrivé à Bougie, il envoya son frère, l'émir Abou-Zékérïa, à Tunis, afin d'amener au-devant de lui la population de la capitale, classe par classe.

Dans le mois de Châban (août) de la même année, AbouZékérïa y fit son entrée, après avoir châtié, en chemin, la tribu des Oulhaça. Les Aulad-Cheddad, chefs de cette peuplade, s'étaient concertés pour attaquer Abou-Mohammed quand il passerait auprès de Bône, et ce fut alors qu'il confia à l'émir Abou Zékérïa le soin d'étouffer ce mouvement et de lui amener ensuite les notables de Tunis. Abou-Zékérïa exécuta la première de ces commissions, puis, dans le mois de Ramadan (septembre), il sortit de la capitale avec les diverses corporations, et se rendit. à Setîf, au-devant de son frère.

Dans le mois de Dou-'l-Câda (novembre), Abou-Mohammed arriva à Tunis où il reçut de son lieutenant, Abou-Amran, les rênes du pouvoir, et, dans le mois de Safer 624 (janvier-février 1227), il donna le gouvernement de Castîlïa à son frère, Abou-Ibrahîm, qui venait d'arriver du Maghreb. Trois mois plus tard, il nomma son frère, Abou-Zékérïa, gouverneur de la ville et de la province de Cabes.

Il s'était déjà établi dans Tunis, quand on vint lui annoncer qu'Ibn-Ghanîa avait pénétré dans Bougie de vive force et qu'il s'était porté de là vers Tedellis, en ravageant tout sur son passage. Cette nouvelle le décida à se mettre en campagne, et, dès qu'il eut nommé ses frères à des commandements, ainsi que nous venons de le dire, il poussa rapidement jusqu'aux environs d'Obba et attaqua la tribu des Hoouara pendant qu'elle ne s'y attendait pas. Sachant que cette population se plaisait dans le brigandage, il l'abandonna à la fureur du soldat et en envoya les chefs à El-Mehdïa pour y rester prisonniers. Se remettant ensuite sur les traces d'Ibn-Ghanîa, il entra dans Bougie, où il rétablit l'ordre, et se rendit ensuite à Miliana en traversant [la ville de] Metîdja. Apprenant alors que cet aventurier avait pris la route de Sidjilmessa, il rebroussa chemin et rentra à Tunis dans le mois de Ramadan 624 (août-sept. 1227).

Depuis lors, rien ne vint le troubler dans l'exercice de son autorité, jusqu'au moment où son frère, Abou-Zékérïa, lui enleva le pouvoir. Nous aurons maintenant à parler de cet événement.

PREMIÈRE ÉPOQUE DU RÈGNE DE L'ÉMIR ABOU-ZÉKÉRÏA, FONDATEUR

DE LA DYNASTIE HAFSIDE.

En l'an 624 (1227), El-Adel perdit la vie à Maroc, et son frère, El-Mamoun, fut proclamé khalife en Espagne. Ce prince, qui venait de se révolter quelques jours avant la mort d'El-Adel et qui s'était alors fait reconnaître comme souverain, envoya au gouverneur hafside, Abou-Mohammed-Abd-Allah, l'ordre de lui faire prêter le serment de fidélité par tous les Almohades qui se

trouvaient dans Tunis. Abou-Mohammed repoussa cette injonction et renvoya les messagers qui la lui avaient portée. ElMamoun s'adressa alors au gouverneur de Cabes, l'émir AbouZékérïa, frère d'Abou-Mohammed, et, avec la lettre qu'il lui écrivit au sujet de la conduite de celui-ci, il lui envoya le diplôme de gouverneur de l'Ifrîkïa. En conséquence de cette communication, Abou-Zékérïa gagna l'appui d'Ibn-Mekki, grand cheikh de Cabes, et administra à ses subordonnés le serment de fidélité envers El-Mamoun. A cette nouvelle, Abou-Mohammed sortit de Tunis dans le dessein de combattre son frère; mais arrivé à Cairouan, il dut renoncer à ce projet et abdiquer le pouvoir, par suite d'une révolte qui éclata parmi ses troupes almohades.

La députation, chargée d'annoncer à Abou-Zékérïa la déposition de son frère par l'armée, le rencontra au moment où il allait chercher l'appui de Rehab-Ibn-Mahmoud 1 et des Arabes nomades de la province de Tripoli. Ces envoyés lui prêtèrent aussitôt le serment de fidélité et l'escortèrent au camp almohade où Abou-Mohammed venait de renoncer au pouvoir.

L'émir Abou-Zékérïa partit ensuite pour Tunis et y fit son entrée dans le mois de Redjeb 625 (juin-juillet 1228). Son premier soin fut de reléguer son frère Abou-Mohammed dans le CasrIbn-Fakher et d'ordonner l'arrestation d'Abou-Amr, secrétaire d'état. Venu d'Espagne et porté au secrétariat, cet homme était parvenu à exercer une grande influence sur l'esprit de son maître et lui avait souvent conseillé de se méfier de son frère. AbouZékérïa assouvit sa vengeance en faisant mourir ce malheureux dans les tortures. Il embarqua alors Abou-Mohammed pour le Maghreb, se chargea de toute l'autorité et, secondé par son vizir, Meimoun-Ibn-Eïça le hintatien, il vit prospérer toutes ses entreprises.

1. Les manuscrits et le texte imprimé offrent la leçon Mohammed. Notre correction est justifiée par le passage de la page 160 du t. I, où il est question de la famille des Mahmoud.

L'ÉMIR ABOU-ZÉKÉRÏA SE REND INDÉPENDANT DE LA DYNASTIE

D'ABD-EL-MOUMEN.

Quand Abou-Zékérïa eut appris la conduite extraordinaire qu'El-Mamoun tenait à Maroc; comment il avait mis à mort beaucoup d'Almohades, surtout ceux qui appartenaient aux tribus de Hintata et de Tînmelel; comment il avait ôté la vie à ses frères Ibrahîm et Abd-Allah[-el-Adel], celui qu'on avait détrôné; comment il avait ouvertement blâmé le Mehdi d'avoir prétendu à l'impeccabilité, proposé de nouveaux articles de foi, permis que l'appel à la prière fût fait en langue berbère, innové par l'introduction d'un appel à la prière du grand matin, donné une forme carrée aux monnaies et enseigné d'autres nouveautés; comment enfin ce prince avait porté atteinte à la doctrine almohade en fondant sur d'autres bases l'organisation de l'empire, en supprimant le nom du Mehdi dans le prône du vendredi, en empêchant que ce même nom fût inscrit sur les monnaies et en faisant prononcer des malédictions publiques contre cet imam ; quand Abou-Zékérïa eut connaissance de ces événements, il résolut de proclamer la déchéance d'El-Mamoun, et, profitant, pour cela, de l'arrivée de quelques fonctionnaires que ce monarque venait de nommer à des places en Ifrîkïa, il les renvoya à leur maître et fit célébrer la prière publique au nom de son neveu Yahya-Ibn-en-Nacer, qui se trouvait alors à la tête d'une insurrection dans la montagne des Heskoura. Ceci se passa en l'an 626 (1228-9). Dès qu'il eut appris que Yahya était dans l'impuissance de rien effectuer, à cause de la faiblesse de son parti, il négligea ce prince tout à fait et se borna à faire la prière au nom de l'imam El-Mehdi. A cette occasion, il prit le titre d'émir et employa ce mot pour parapher ses lettres officielles; puis, en l'an 634 (1236-7), il se fit publiquement reconnaître pour souverain. Alors, dans la prière du vendredi, à la suite du nom de l'imam El-Mehdi, on ajouta le sien avec la simple désignation d'émir sans aller jusqu'au titre d'Emir-el-Moumenîn (commandant des croyants). Les fonctionnaires de l'empire se permirent

cependant de le désigner ainsi, jusqu'à ce qu'un certain jour un des poètes attachés à la cour, lui ayant récité un éloge en vers qui commençait ainsi :

Courage! ajoute le mot El-Moumenîn à celui d'émir.
Personne ne mérite ce titre mieux que toi!

il défendit à qui que ce fût de le lui donner, et tant qu'il régna, il ne voulut jamais l'adopter.

PRISE DE BOUGIE ET DE CONSTANTINE.

Après avoir répudié la souveraineté de la famille d'Abd-elMoumen et s'être déclaré indépendant à Tunis, l'émir AbouZékérïa marcha contre Constantine, l'an 626 (1228-9). Il tint cette ville investie pendant quelques jours, et, par suite des propositions secrètes que lui fit Ibn-Alennas, il attaqua la place par un endroit mal gardé et y pénétra de vive force. Le prince qui y exerçait le commandement et qui était fils d'Abou-Abd-Allahel-Hardani, fils de de Youçof-el-Acheri1, fut fait prisonnier et remplacé par Ibn-en-Noman. Cette conquête achevée, l'émir alla s'emparer de Bougie et se saisir du gouverneur, le cîd AbouAmran, fils aussi du cîd Abou-Abd-Allah-el-Hardani. Ces deux frères furent embarqués pour El-Mehdïa où ils devaient rester en détention et jouir d'une pension convenable; mais leurs familles furent transportées à Séville, en Espagne, sous la conduite d'Ibn-Aumaz 2. Avec les fils d'El-Hardani, l'émir Abou-Zékérïa envoya prisonniers à El-Mehdïa Mohammed-Ibn-Djamê, le fils de celui-ci et son neveu, Djaber-Ibn-Aun-Ibn-Djamê, tous chefs de la tribu de Mirdas, branche de celle d'Auf. On y conduisit aussi Ibn-Abi-'s-Cheikh-Ibn-Acaker, chef douaouidien. Tous ces personnages furent enfermés dans la prison d'état.

Le ministre des finances à Bougie, Abou-Abd-Allah-el

1. Voir p. 88, note 3.

2. Variante: Aumazîr. Peut-être faut-il lire Akmazîr.

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