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moudiennes, telles que les Hintata, les Tînmelel, les Hergha, les Guenfîça, les Sekcîoua, les Guedmîoua, les Hezerdja, les Ourîka, les Hezmîra, les Regraga, les Haha, les Beni-Maghous, les Guélaoua et d'autres peuplades dont on ne saurait faire l'énumération. Avant comme après la promulgation de l'islamisme, elles obéissaient à des chefs ou à des rois sortis de leur sein. Les Hintata, la plus nombreuse et la plus puissante des tribus masmoudiennes, furent les premiers à embrasser la cause du Mehdi, et ce fut par leurs efforts que s'établit l'autorité de cet imam et celle de son successeur, Abd-el-Moumen.

Hintat, l'aïeul des Hintata, s'appelait Inti en langue masmoudienne. Du temps de l'imam El-Mehdi, ce peuple eut pour chef Abou-Hafs-Omar, cheikh dont le nom, selon El-Beidec 1, était Fazkat, en langue masmoudienne. Les Hintata de nos jours. disent, cependant, que Fazkat était l'aïeul d'Abou-Hafs-Omar. Quoi qu'il en soit, Abou-Hafs gouverna sa tribuavec une autorité absolue; il en fut le premier qui prêta le serment de fidélité au Mehdi, et, par son exemple, il entraîna dans la même voie Youçof-Ibn-Ouanoudîn, Abou-Yahya-Ibn-Igguît, Ibn-Yaghmor et d'autres personnages marquants. Ce fut ainsi qu'il devint un des intimes du Mehdi et membre de la bande des dix premiers disciples. Il y prenait rang immédiatement après Abd-el-Moumen qui du reste n'avait sur lui aucun autre avantage; aussi continua-t-il toujours à exercer sans contrôle le haut commandement des Masmouda. Les Almohades lui donnaient le titre de cheikh (vieillard, chef), de même qu'ils employaient les mots imam (chef spirituel et temporel) et khalîfa (lieutenant) pour désigner respectivement le Mehdi et Abd-el-Moumen. Ces trois titres, consacrés ainsi aux personnages que nous venons de nommer, servirent à indiquer leur prééminence de rang.

Au rapport d'Ibn-Nakhîl et d'autres [historiens] almohades, la généalogie d'Abou-Hafs remontait au khalife Omar-Ibn elKhattab, parce qu'il était fils de Yahya, fils de Mohammed, fils

1. Cet auteur nous est inconnu.

2. Variante: Faska.

de Ouanoudîn, fils d'Ali, fils d'Ahmed, fils de Oualal, fils d'Idrîs, fils de Khaled, fils d'Eliça, fils d'El- Yas, fils d'Omar, fils de Ouaften, fils de Mohammed, fils de Nahia, fils de Kâb, fils de Mohammed, fils de Salem, fils d'Abd-Allah, fils d'Omar, fils d'El-Khattab 1. Il résulterait de ceci qu'une tige coreichide se serait entée sur la souche masmoudienne et qu'un même esprit de tribu les aurait assimilées, ainsi que cela arrive quand la généalogie d'un peuple se confond dans celle d'un autre. Dans la première partie de cet ouvrage, nous avons développé le principe que nous venons d'énoncer.

Le Mehdi, en mourant, légua son autorité à Abd-el-Moumen; mais comme celui-ci était placé [par sa naissance] tout à fait en dehors de la communauté masmoudienne et n'avait aucune autre recommandation aux yeux de ce peuple que la faveur et la préférence dont son maître l'avait honoré, l'on se garda bien de publier la mort de l'imam et la nomination de son successeur, avant de s'être assuré de l'entier dévouement de ces tribus. Abdel-Moumen passa donc trois années à attendre le moment où il pourrait exercer ostensible:nent le pouvoir qui lui était dévolu. Abou-Hafs vint alors et lui adressa ces paroles : « L'affaire du

1. Abd-el-Ouahed-el-Marrekchi, historien almohade du 7° siècle de l'hégire, parle assez souvent d'Abou-Hafs, mais il ignorait que ce chef serait un jour regardé comme un descendant du khalife Omar. Le caractère presqu'entièrement arabe de la généalogie rapportée ici par Ibn-Khaldoun et l'intérêt qu'avait cet écrivain à ménager l'amourpropre de la famille des Hafsides portent à croire que la liste en question fut fabriquée postérieurement à l'usurpation du trône de l'Ifrîkïa par le prince hafside Abou-Zékérïa. Nous pouvons ajouter que, dans le chapitre des Prolégomènes auquel notre auteur va renvoyer le lecteur et dont nous avons une copie sous les yeux, il combat fortement la sotte vanité de certaines grandes familles de l'Afrique qui prétendaient remonter leur origine à quelque notable de la tribu de Coreich, bien qu'elles fussent, en réalité, d'une tout autre race. Il se donne toutefois bien garde d'y nommer les Hafsides, mais l'allusion est assez manifeste.

2. L'auteur a traité cette question dans ses Prolégomènes, ouvrage encore inédit.

>> Mehdi est enfin arrangée, et nous vous reconnaissons pour chef >> ainsi qu'il l'a voulu. » Il fit alors annoncer publiquement que tout le monde devait prêter le serment de fidélité à Abd-elMoumen, et, après avoir exécuté la dernière volonté du Mehdien assurant le commandement à celui qui en avait été le disciple favori, il décida tous les Masmouda à reconnaître l'autorité du nouveau chef.

Pendant le règne d'Abd-el-Moumen et celui de son fils Youçof, toutes les affaires importantes se réglaient d'après l'avis d'AbouHafs; dans tous les dangers qui menaçaient la cause almohade, ce fut à ce chef qu'on eut recours, et dans toutes les batailles qu'on livra au nom d'Abd-el-Moumen, ce fut à l'habileté du cheikh hintatien que l'on dut la victoire. Il commanda l'avantgarde, en l'an 537 (1142-3), lors de l'expédition dirigée contre le Maghreb central, quelque temps avant la prise de Maroc. Tous les Zenata, tels que les Beni-Ouémannou, les Beni-Abd-el-Ouad, les Beni-Ourcîfen et les Beni-Toudjîn, s'étaient rassemblés à Mindas afin de résister aux Almohades, mais il les rallia à la cause de son maître, après leur avoir infligé un châtiment sévère. Quand Abd-el-Moumen occupa Maroc et que le révolté de Massa1 se fut attiré les cœurs de la populace en infectant le pays de ses doctrines perfides, ce fut encore au cheikh Abou-Hafs que l'on donna la mission de conjurer le danger. Chargé de combattre les rebelles, il mit fin à l'insurrection et fit disparaître jusqu'aux dernières traces de ce parti égaré. Quand Abd-el-Moumen conçut le projet de sa première expédition en Ifrîkïa, ce fut à AbouHafs qu'il s'adressa d'abord pour avoir des conseils. A son retour de ce pays, il désigna pour successeur son fils Mohammed, et comme les Almohades hésitaient à reconnaître ce choix, il fit venir Abou-Hafs d'Espagne afin de leur administrer le serment de fidélité. D'après l'avis de cet émir, il fit subir la peine de mort à Islati-el-Herghi, chef des récalcitrants et il parvint alors très facilement au but qu'il s'était proposé. En l'an 554 (1159), quand il entreprit sa seconde expédition en Ifrîkïa afin de s'em

1. Voir p. 181 de ce volume.

parer d'El-Mehdïa, ce fut Abou-Hafs à qui il confia le gouvernement du Maghreb pendant son absence.

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L'on rapporte que, dans les dernières injonctions d'Abd-elMoumen à ses fils, il leur adressa ces paroles : « De tous les >> disciples de l'imam El-Mehdi il ne reste maintenant qu'| Abou>> Hafs- Omar-Ibn-Yahya et Youçof-Ibn-Soleiman; quant à » Omar, il est de vos amis; mais quant à Youçof, il faut vous en débarrasser chargez-le d'une expédition en Espagne, et >> faites-en de même à l'égard de tous les Masmouda dont vous » ne serez pas contents. Quant à Ibn-Merdenîch', laissez-le tranquille tant qu'il ne se mêlera pas de vos affaires, et atten>> dez, pour le frapper, que la fortune se soit déclarée contre lui. Eloignez de l'Ifrîkïa les Arabes et transportez-les en Maghreb; >> ils vous serviront de corps de réserve si vous avez à com» battre Ibn-Merdenîch. »>

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Quand Youçof 2, fils d'Abd-el-Moumen, monta sur le trône, le cheikh Abou-Hafs s'abstint de lui jurer fidélité et, par cette conduite, il donna de graves inquiétudes aux Almohades; mais, ayant enfin reconnu le mérite du nouveau souverain à un jugement qu'il lui entendit prononcer dans une séance royale, il lui offrit l'hommage de sa fidélité, en déclarant à haute voix qu'il l'acceptait pour khalife. A la suite de cet événement qui remplit de joie les partisans de Youçof, ce monarque prit, en l'an 563 (1167-8), le titre de Commandant des croyants (Emir-elMoumenîn) 3.

Lors de l'avènement de Youçof, les Ghomara et les Sanhadja, travaillés par l'esprit du désordre, s'étaient laissé entraîner dans la révolte, l'an 562, par Sebâ-Ibn-Menaghfad. Le cheikh Abou-Hafs reçut alors la mission de leur faire la guerre et, dans l'accomplissement de cette tâche, il se couvrit de gloire.

1. Voir p. 194 de ce volume.

2. Dans le texte arabe, on a imprimé, par erreur, le mot Youçof avec un sad.

3. Ceci eut lieu cinq ans après son avènement au trône. L'auteur du Cartas s'accorde, sur ce point, avec Ibn-Khaldoun.

Youçof lui-même marcha ensuite contre les rebelles et acheva leur soumission par le châtiment sévère qu'il leur infligea.

En l'an 564 (1168-9), Youçof prit la résolution de traverser le Détroit afin de secourir l'Espagne musulmane, sur laquelle le roi chrétien s'était rué avec acharnement, et afin de lui arracher Badajoz dont l'occupation avait été le résultat d'une trahison1. Avant de se mettre en route, il y fit passer une armée almohade. Le cheikh Abou-Hafs, auquel il donna la conduite de cette expédition, s'établit à Cordoue, réunit sous ses ordres tous les princes de la famille d'Abd-el-Moumen qui commandaient en Espagne et délivra la ville de Badajoz au moment même où elle allait succomber. Dans cette campagne, Abou-Hafs remporta plusieurs victoires éclatantes sur les infidèles. En l'an 571 (1175-6), il quitta Cordoue avec l'intention de rentrer à Maroc ; mais il mourut avant d'y arriver. On l'enterra à Salé où il avait rendu le dernier soupir.

Ses enfants jouissaient de tant de considération, qu'après sa mort ils alternaient avec les fils d'Abd-el-Moumen dans les gouvernements de l'Espagne, du Maghreb et de l'Ifrîkïa. Ce fut ainsi que [Yacoub-]el-Mansour, au commencement de son règne, confia le gouvernement de l'Ifrikïa à Abou-Saîd-Ibn-Abi-Hafs, celui dont on connaît la transaction avec [Ibn-Abd-el-Kerîm, le révolté d'El-Mehdïa 2. Il choisit aussi pour vizir Abou-Yahya, fils d'Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed [et petit-fils d'AbouHafs]. En 591 (1195), Abou-Yahya fit partie de l'avant-garde au combat d'El-Arca (Alarcos), journée glorieuse pour les musulmans; il y déploya une bravoure qui excita l'admiration géné

1. Voir ci-dessus, p. 198, note.

2. Voir pp. 97 et 219 de ce volume.

3. Nous devons faire remarquer que l'auteur du Cartas désigne AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, non pas comme fils d'Abou-Hafs, mais comme fils d'Abou-Bekr et petit-fils d'Abou-Hafs. L'historien ErRoaïni-el-Cairouani adopte cette opinion. Ici, dans le texte arabe d'IbnKhaldoun, les manuscrits portent, par erreur, Ibn-Abd-el-Ouahed ; le premier mot est de trop.

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