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emparé, il avait célébré la prière, dans la grande mosquée, au nom du souverain almohade. Ce fut ainsi qu'en l'an 540 (11451146), on prononça, en Espagne, la première khotba pour la nouvelle dynastie. Déjà, pendant le siège de Tlemcen, Abd-elMoumen avait reçu la visite d'Abou-Bekr-Ibn-Hobaïs 1, qui lui apporta une lettre de la part d'Ahmed-Ibn-Cassi, seigneur de Mertola, [le même qui devint plus tard] le coryphée du parti [almohade] en Espagne; mais comme l'auteur de cet écrit lui avait donné le titre de Mehdi, il en avait été très mécontent et ne lui avait pas répondu. Ibn-Cassi, s'étant alors laissé enlever Mertola par Seddraï-Ibn-Ouézîr, seigneur de Badajoz, de Béja et de l'Espagne occidentale, écouta les conseils d'Ali-Ibn-Eïça, et, après la prise de Maroc par les Almohades, il traversa le Détroit pour aller trouver Abd-el-Moumen. Débarqué à Ceuta où il obtint une escorte de Youçof-Ibn-Makhlouf, il se rendit auprès du monarque almohade et lui démontra combien ce serait facile. que de soumettre l'Espagne et d'y renverser la domination almoravide.

Cette démarche eut tout le succès qu'Ibn-Cassi pouvait espérer; il repartit pour l'Espagne avec un corps de troupes commandé par Berraz-Ibn-Mohammed-el-Messoufi, le même chef qui avait abandonné Tachefîn pour se joindre aux Almohades et qui emportait maintenant la commission de faire la guerre aux Almoravides de ce pays et aux chefs qui s'y étaient déclarés indépendants. Plus tard, Abd-el-Moumen lui envoya un renfort sous les ordres de Mouça-Ibn-Saîd, et, quelque temps après, il lui en expédia un second sous la conduite d'Omar-Ibn-Salehes-Sanhadji.

La première opération de ces troupes fut d'assiéger Xérès, ville dans laquelle Abou-'l-Ghamr-Ibn-Azzoun, seigneur de Ronda, s'était établi comme souverain indépendant. De là, elles marchèrent sur Niebla et, en ayant reçu la soumission du seigneur, Youçof-Ibn-Ahmed-el-Batrougui, elles prirent la

1. Variantes: Habich, Habcen.

2. Variante: El-Batrouhi.

route de Mertola où Ahmed-Ibn-Cassi avait déjà fait reconnaître la suprématie du gouvernement almohade. Ensuite elles enlevèrent d'assaut la forteresse de Silves et, après l'avoir livrée à Ibn-Cassi, elles se portèrent du côté de Béja et de Badajoz, villes dont le seigneur, Seddraï-Ibn-Ouezîr, s'empressa de faire acte d'obéissance.

Cette expédition terminée, Berraz ramena l'armée almohade à Mertola où il passa l'hiver; et, s'étant mis en marche, l'année suivante, avec l'intention de mettre le siège devant Séville, il reçut la soumission des habitants de Talyata (Téjada) 1 et de Hisn-el-Casr 2..

Ayant alors réuni sous ses ordres tous les chefs qui s'étaient révoltés [contre les Almoravides], il parut sous les murs de Séville dont il forma le blocus et intercepta les communications avec la mer. Dans le mois de Châban 541 (janvier 1147), il enleva cette ville de vive force, et comme les Almoravides s'étaient enfuis pour gagner Carmona, il se mit à leur poursuite et tua tous ceux qu'il put atteindre. Dans le tumulte de l'assaut, AbdAllah, fils du cadi Abou-Bekr-Ibn-el-Arebi, perdit la vie par un fatal malentendu. Le père de ce jeune homme partit alors pour Maroc avec une députation des habitants de Séville, afin de présenter les hommages de ses concitoyens à Abd-el-Moumen. Le monarque almohade, qui venait d'apprendre, par une dépêche de son général, la nouvelle de cette conquête, accueillit les envoyés avec de grands égards et les congédia après leur avoir

1. Variantes Tolilla, Toleitla. Cette dernière leçon, qui représente le nom arabe de Tolède, est inadmissible. Celle du texte se reproduit plus loin, où notre auteur parle du règne d'El-Adel : il dit qu'à cette époque les chrétiens firent plusieurs incursions dans les territoires de Séville et de Murcie, et qu'ils mirent en déroute l'armée musulmane à Talyata. Or nous savons par la chronique de Don Luc, évêque de Tuy, cité par Ferreras, t. IV, p. 93 de la traduction française, qu'en l'an 1223 (sous le règne d'El-Adel), les troupes du roi de Léon, commandées par Don Martin Sanchez, portèrent le ravage dans les environs de Séville et défirent l'armée musulmane à Téjada. Par ce passage, la synonymie me semble bien établie.

2. Castro Marim, selon M. de Gayangos.

accordé des fiefs et des gratifications. Cette présentation eut lieu en 542 (1147-8). Le cadi Abou-Bekr mourut pendant son voyage de retour et fut enterré dans le cimetière de Fez.

Les troupes almohades en garnison à Séville comptèrent parmi leurs chefs deux frères du Mehdi, dont l'un s'appelait Abd-elAzîz et l'autre Eïça. Ces cheikhs se conduisirent d'une manière indigne à l'égard des habitants, dont ils ne respectèrent ni les biens, ni la vie; et ensuite ils dressèrent un guet-apens pour Youçof-el-Batrougui. Ce chef, qui était alors seigneur de Niebla, ayant découvert leurs machinations, rentra dans sa ville d'où il expulsa la garnison almohade. Ayant alors envoyé des agents à Téjada et à Hisn-el-Casr, il renouvela son alliance avec les Almoravides qui1 restaient encore en Espagne. Ibn-Cassi se révolta aussi à Silves; Ali-Ibn-Eïça-Ibn-Meimoun en fit de même à Cadix, et Mohammed, fils d'Ali et petit-fils d'ElHaddjam, suivit leur exemple à Badajoz. Abou-'l-Ghamr-IbnAzzoun, seigneur de Xérès, de Ronda et des lieux voisins, resta fidèle à ses nouveaux maîtres.

Les Almohades établis dans Séville se trouvèrent alors dans une position d'autant plus critique qu'Ibn-Ghanîa? venait de s'emparer d'Algésiras et que le peuple de Ceuta était en insurrection; aussi les deux frères du Medhi s'empressèrent de quitter la ville avec leur cousin Islîten et tous leurs partisans. Arrivés à Mont Bîster3, ils furent rejoints par Ibn-Azzoun, et allèrent avec lui pour faire le siège d'Algésiras. Après avoir emporté

1. Dans le texte arabe imprimé, il faut insérer le pronon elledîn après le mot bel-Moletthemin.

2. Nous ferons remarquer ici que les noms des chefs musulmans qui figurèrent, à cette époque, en Espagne sont étrangement altérés par les historiens chrétiens: d'Ibn-Ghania, ils ont fait Aven-Gama; Mohammed-Ibn-Sad-Ibn-Merdenich est devenu Mahomet Abenzal, Aben Cat et Abenlop. Seif-ed-Dola (l'épée de l'empire), titre honorifique d'AhmedIbn-Houd, roi de Saragosse, est écrit Zafadola, etc.

3. Variantes: Bebester, Bebechter, Betester, Yebester, Bechter. — M. de Gayangos place cette montagne, qu'il nomme Bichter, entre Malaga et Ronda.

cette ville d'assaut et passé la garnison lemtounienne au fil de l'épée, ils prirent la route de Maroc.

Abd-el-Moumen plaça alors une armée almohade sous les ordres de Youçof-Ibn-Soleiman qu'il envoya prendre le commandement de Séville, mais il conserva à Berraz-Ibn-Mohammed la place de receveur-général des impôts. Youçof soumit les états d'El-Batrougui, tant à Niebla qu'à Téjada, occupa le territoire qu'Ibn-Cassi possédait à Silves et se porta ensuite contre Tavira. Eïça-Ibn-Meimoun, seigneur de Sainte-Marie, reconnut alors, de nouveau, l'autorité des Almohades et se mit en campagne avec eux. Mohammed-Ibn-Ali-Ibn-el-Haddjam, seigneur de Badajoz, leur envoya de riches présents et fit ainsi accueillir sa soumission. Youçof-Ibn-Soleiman rentra alors à Séville.

Pendant ces événements, le roi chrétien [Alphonse II de Castille] avait contraint Yahya-Ibn-Ali-Ibn-Ghanîa à s'enfermer dans Cordoue, et après avoir porté le ravage dans les états de ce prince, il le força à lui céder Baéza et Ubeda. Il s'empara aussi de Lisbonne, Tortosa, Lerida, Fraga, Sainte-Marie et plusieurs autres forteresses de l'Espagne musulmane. Il exigea ensuite d'Ibn-Ghanîa une augmentation de tribut ou bien la cession de Cordoue. Cette demande mit le chef almoravide dans la nécessité d'implorer le secours des Almohades: il écrivit à BerrazIbn-Mohammed, et ayant obtenu une entrevue avec lui à Ecija, il consentit à mériter l'appui du khalife par l'échange de Cordoue et de Carmona contre Jaen. Quand Abd-el-Moumen leur eut envoyé la ratification de ce traité, Ibn-Ghanîa alla prendre possession de Jaen où il se vit bientôt assiégé par le roi chrétien. Il parvint alors, par un stratagème, à faire prisonniers plusieurs comtes qui étaient au service du roi, et les enferma dans la Calâ-t-Ibn-Saîd. Aussitôt que ce monarque eut levé le siège de la ville, Ibn-Ghanîa alla trouver Meimoun-Ibn-Yedder le lem

1. Ibn-Ghanîa invita l'empereur d'Espagne à se rendre secrètement et sans bruit à Jaen, ville qu'il s'engagea à lui remettre. L'empereur écouta les conseils de ses ministres, qui se méfiaient du chef infidèle, et y envoya le comte Don Manrique et quelques autres seigneurs. IbnGhanîa les retint tous comme prisonniers. (Ferreras.)

tounide, qui se tenait à Grenade avec un corps de troupes almoravides et l'invita à suivre son exemple en établissant des relations avec les Almohades. Il y mourut dans le mois de Châban 543 (décembre-janvier 1148-9), et son tombeau s'y voit encore.

Comme le roi chrétien, toujours aux aguets pour s'emparer de Cordoue, marchait encore sur cette ville, le gouvernement almohade de Séville fit partir Abou-'l-Ghamr-Ibn-Azzoun pour la défendre. Youçof-el-Batrougui y envoya de Niebla un corps de renfort, et Abd-el-Moumen y expédia une armée almohade sous la conduite de Yahya-Ibn-Yaghmor. Quelques jours après l'entrée de ces troupes à Cordoue, le roi leva le siège.

Les chefs qui s'étaient déclarés indépendants accoururent alors auprès d'Ibn-Yaghmor, le prièrent d'intercéder pour eux auprès d'Abd-el-Moumen, et se rendirent avec lui à Maroc où ils recurent du souverain almohade le pardon de leurs offenses.

En l'an 545 (1150), Abd-el-Moumen se rendit à Salé et fit avertir les musulmans de l'Espagne qu'il y recevrait leurs hommages. De toutes parts, leurs députations arrivèrent pour lui prêter serment de fidélité, et avec elles vinrent plusieurs des chefs indépendants, tels que Seddraï-Ibn-Ouézîr, seigneur de Béja et d'Evora, El-Batrougui, seigneur de Niebla, Ibn-Azzoun, seigneur de Xérès et de Ronda, Ibn-el-Haddjam, seigneur de Badajoz, et Amel-Ibn-Monîb, seigneur de Tavira. Tous ces chefs lui jurèrent fidélité et consentirent à lui céder leurs états. IbnCassi et le peuple de Silves s'abstinrent d'une pareille démarche, circonstance qui, plus tard, coûta la vie à ce chef. Quand les députations espagnoles eurent repris la route de leur pays, Abd-el-Moumen partit pour Maroc. Il y emmena [la plupart des] chefs qui venaient de lui faire leur soumission, et, depuis lors, il les retint auprès de lui.

INVASION DE L'IFRÎKÏA.

Abd-el-Moumen, ayant appris que de graves dissensions régnaient entre les émirs de l'Ifrikïa et que les Arabes y répan

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