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fit part à la jeune personne, en déclarant qu'il regardait une telle alliance comme fort convenable, puisqu'un cousin a plus de droits à la main de sa cousine que tout autre, et qu'elle lui répondit : «< S'il était réellement notre cousin, nous ne serions pas >> réduites à vivre aux dépens d'autrui. » Elles moururent à un âge fort avancé, sans avoir jamais voulu se marier. Mon père m'a raconté que, dans sa jeunesse, vers l'an 710 (1310-11), il avait vu une de ces dames qui était alors dans sa quatre-vingtdixième année. «De toutes les femmes du monde, me dit-il, >> c'était la plus noble de caractère, la plus généreuse de cœur, » la plus vertueuse de conduite. »

Les tribus porteurs du litham existent encore de nos jours dans les contrées où elles s'adonnaient autrefois à la vie nomade. Leur territoire avoisine le pays des Noirs et le sépare de la région sablonneuse qui touche aux deux Maghrebs et à l'Ifrîkïa, pays qu'habitent les Berbères. On rencontre les peuples à litham depuis l'Océan atlantique jusqu'aux bords du Nil de l'Orient. La fraction de cette race qui fonda un empire en Espagne et en Afrique et qui se composa d'une faible portion des Messoufa et des Lemtouna, a péri de la manière que nous avons décrite : épuisée à force de dominer, consumée dans de lointaines expéditions et ruinée par le luxe, elle disparut enfin, exterminée par les Almohades.

Quant à ceux qui restèrent dans le Désert, rien ne se changea dans leur manière d'être et, jusqu'à ce jour, ils restent divisés et désunis à cause de la diversité de leurs sentiments et de leurs intérêts. Soumis à l'autorité du roi des Noirs (Mélek-es-Soudan), ils lui paient l'impôt (kharadj) et fournissent des contingents à ses armées.

Ils forment une espèce de cordon sur la frontière du pays des Noirs, cordon qui s'étend vers l'Orient parallèlement à celui que forment les Arabes sur la frontière des deux Maghrebs et de l'Ifrikia. Les Guedala, une de leurs tribus, se trouvent en face des Doui-Hassan,branche de la tribu arabe des Makil qui habite le Sous-el-Acsa; les Lemtouna et les Ounziga [ou Outriga] ont devant eux les Doui-Mansour et les Doui-Obeid-Allah, Makiliens

du Maghreb-el-Acsa ; les Messoufa sont vis-à-vis des Zoghba, tribu arabe du Maghreb central; les Lamta se trouvent en face des Riah, tribu arabe qui occupe le Zab et [les campagnes de] Bougie et de Constantine, et, enfin, les Targa (Touareg) se ennent vis-à-vis des Soleim, tribu arabe de l'Ifrîkïa.

L'éducation des chameaux forme leur principale occupation, ces animaux fournissant à leur subsistance et servant aussi à les porter, eux et leurs bagages. On ne trouve que très peu de chevaux chez eux, mais ils ont pour monture une espèce de chameau très actif qu'ils appellent nodjob 1. Quand une guerre éclate entre ces peuples, ils combattent montés sur des chameaux. L'allure des nodjob est un amble qui approche du galop.

Les Arabes du Désert, et surtout les Beni-Saîd, peuplade nomade qui fait partie de la tribu des Rîah, envahissent de temps à autre les contrées appartenant aux porteurs du litham et s'en retournent au plus vite, après avoir pillé tout ce qui se trouve sur leur passage. Alors l'alarme se répand dans les campements, l'on monte ses chameaux, l'on court occuper les endroits où les ravisseurs doivent s'arrêter pour prendre de l'eau, et, presque toujours, on les atteint avant qu'ils puissent rentrer chez eux. Il s'ensuit un combat acharné, et les Arabes n'emportent leur butin qu'à grand'peine et après avoir perdu plusieurs de leurs camarades.

Puisque nous avons fait mention des rois des Noirs, nous parlerons maintenant de ceux dont les états touchent, de nos jours, au royaume du Maghreb.

HISTOIRE DES ROIS DES PEUPLES NÈGRES [SOUDAN].

Cette portion de l'espèce humaine qui se compose des peuples nègres a pour demeure les contrées du deuxième climat et du premier, ainsi que les régions qui s'étendent au delà du premier

1. Nodjob est le pluriel de nedjîb. Ce mot signifie un chameau de belle race, un chameau mehari. Voir ci-devant, p. 70, n. 2.

climat jusqu'à l'extrémité de la partie habitable du globe. Ils occupent ces territoires dans toute leur longueur, depuis l'Occident jusqu'à l'Orient, de sorte que leur pays avoisine successivement le Maghreb des Berbères, l'Ifrîkïa, le Yémen, le Hidjaz (province qui marque le milieu de cette ligne), Basra et les régions de l'Inde 1.

L'espèce nègre se partage en plusieurs races, tribus et ramifications dont les mieux connues, en Orient, sont les Zendj [natifs de Zanguebar], les Abyssins (El-Habacha) et les Nubiens (Nouba). Quant à celles qui habitent l'Occident, nous en parlerons plus loin. On fait remonter leur origine à Cham, fils de Noé, en donnant pour aïeul aux Abyssins un nommé Habach, fils de Kouch, (Chus), fils de Ham (Cham), et aux Nubiens un nommé Nouba, fils de Couch, fils de Canaan, fils de Ham. Telle est leur généalogie selon El-Masoudi, mais Ibn-Abd-el-Berr2 dit que les Nubiens descendent de Nouba, fils de Cout, fils de Yansor, fils de Ham. Quant auxZendj, ils seraient les enfants de Zendji, fils de Couch. «Tous les autres noirs, dit Ibn-Abd-el-Berr, ont pour ancêtre >> Cout, fils de Ham. » Ce Cout est le même que d'autres généalogistes appellent Copte (Coft), fils de Ham.

Ibn-Saîd fait l'énumération de dix-neuf peuples ou tribus dont se compose la race noire; ainsi, du côté de l'Orient, surla mer Indienne, on trouve les Zendj, nation qui possède la ville de Monbeça (Mombaça) et pratique l'idolâtrie. Ce furent des esclaves tirés de cette contrée qui, sous la conduite d'un prétendant, vainquirent leurs maîtres à Basra, pendant qu'El-Motamed occupait le trône du khalifat 3. A côté des Zendj, dit Ibn

1. Les anciens géographes grecs et arabes s'imaginaient que le continent de l'Afrique se prolongeait vers l'est pour former la limite méridionale de la mer indienne et de la mer de la Chine.

2. Voir t. I, p. 174.

3. La révolte des Zendj éclata en 252 (866), quatre ans avant l'avènement d'El-Motamed; mais ce fut sous son règne qu'eut lieu la prise de Basra. Ces Zendj étaient établis dans le territoire des sibkha ou marais salés, vis-à-vis de Basra. Ils eurent pour but ostensible, en prenant les armes, de mettre sur le trône du khalifat un soi-disant descendant d'Ali,

Saîd 1, on trouve les Berbera, peuple dont Emro-'l-Caïs fait mention dans ses vers 2. De nos jours, l'islamisme est très répandu chez eux. Ils possèdent Macdichou, ville située sur l'Océan indien et habitée par des commerçants musulmans. Au sud-ouest [des Berbera]se trouvent les Demdem, peuple sauvage qui va sans chaussures et sans habits. Ceux-ci, ajoute Ibn-Saîd, envahirent l'Abyssinie et la Nubie à l'époque où les Tartares pénétrèrent en Irac 3, et, après avoir dévasté ces contrées, ils rentrèrent dans leur pays. A côté d'eux, se tiennent les Abyssins, la plus puissante des nations nègres ; ils habitent le bord occidental de la mer [Rouge], dans le voisinage du Yémen. Ce fut de leur pays que partit l'expédition qui, du temps de Dou-Nouas, traversa la mer pour s'emparer du Yémen. Kâber était autrefois la capitale de leur royaume. Ils professaient alors le christianisme, mais le Sahih nous apprend qu'à l'époque même de l'hégire, un de leurs [rois] embrassa l'islamisme. Ils sont retournés depuis à leur ancienne croyance et s'attendent à obtenir possession du Yémen lors de la consommation des siècles. Celui d'entre eux qui, du temps du prophète, se fit musulman, et qui, un peu avant l'hégire, accorda sa protection aux réfugiés qui profes

fils d'Abou-Taleb et gendre de Mahomet. L'histoire de cette insurrection occupe une place marquante dans les annales de l'islamisme. Ibnel-Athîr en parle très longuement, ainsi que les autres historiens du khalifat.

1. Les extraits d'Ibn-Said qui se trouvent dans ce chapitre ont été revus et vérifiés sur le manuscrit de la Géographie de cet auteur, volume appartenant à la Bibliothèque impériale.

2. Ce poète n'en parle qu'une seule fois ; il dit dans un de ses poèmes : << Des chevaux aux queues écourtées, habitués aux marches de nuit, << chevaux des Berbera. >> Voir le Diwan d'Amr'olkais, texte arabe, p. 27, 1. 13.

3. L'invasion dont il s'agit fut celle de Gengiskan (Tehinguiz-Khan), en l'an 617 (1220).

4. Consultez sur cette expédition, l'Essai de M. C. de Perceval.

5. Le recueil dans lequel El-Bokhari a réuni les traditions relatives à Mahomet porte le titre de Sahih (authentique).

saient la vraie religion, fut le même sur lequel le Prophète, ayant appris sa mort, invoqua la bénédiction divine. Il s'appelait Nedjachi, nom qui, dans leur langue, se prononce Angach et que les Arabes ont altéré selon leur habitude quand ils adoptent un mot étranger. Ce terme ne sert pas à désigner le souverain régnant, quoi qu'en disent certaines gens nullement familiarisées avec la matière ; si la chose en était ainsi, l'usage en serait maintenu jusqu'à nos jours, puisque l'Abyssinie a toujours formé un royaume indépendant1. L'on désigne le roi qui le gouverne actuellement par le titre d'El-Hatti, mais j'ignore si c'est là son véritable nom où celui de la famille royale 2.

A l'occident des états de ce roi est située la ville de Damout. Un grand chef y régnait autrefois et possédait un puissant empire. Au nord des mêmes [états] se trouvait un autre roi appartenant à la même race et appelé Hack-ed-Dîn-Ibn-MohammedIbn-Ali-Ibn-Oulasmâ. Il habitait la ville d'Oufat 3 et tirait son origine d'une famille qui avait embrassé l'islamisme à une époque que nous ne saurions désigner. Comme son aïeul Oulasmâ avait reconnu l'autorité du roi de Damout, El-Hatti en fut offensé et lui enleva son royaume. La guerre ayant traîné en longueur, la puissance d'El-Hatti s'affaiblit, et les fils d'Oulasmâ parvinrent à recouvrer leurs états. Il s'emparèrent aussi d'Oufat et ruinèrent cette ville de fond en comble. Nous avons entendu dire qu'à la mort de Hack-ed-Dîn, son frère Sâd-ed-Dîn lui succéda. Cette famille professe la religion musulmane; tantôt elle reconnaît l'autorité d'El-Hatti et tantôt elle la repousse.

1. En langue éthiopienne nigouça signifie roi. Nigouça nagast, l'un des titres des rois abyssins, signifie roi des rois.

2. D'après la petite histoire des rois chrétiens de l'Abyssinie, composée par El-Makrizi et dont M. Noël des Vergers a donné plusieurs extraits dans sa notice sur l'Abyssinie (Univers pittoresque), le titre d'El-Hatti fut porté par les rois de ce pays. Ce mot signifie le souverain.

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3. Ou Wefat. Voir la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, t. I, p. 457, et la Géographie d'Abou-'l-Feda, traduite par M. Reinaud, t. I, p. 229.

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