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FÊTES ET COUTUMES SAISONNIÈRES

CHEZ LES BENI SNOUS (4)

El-H'ousoum, En-Net'h' et En-Nisân

Dans nos montagnes des Beni Snoùs, l'hiver est très rigoureux. Pendant plusieurs jours, la neige, chaque année, y couvre la falaise de l'Azrou Oufernane qui domine notre village. Mais c'est au commencement du mois de mars (2) que le froid se fait le plus vivement sentir. Il y a, à cette époque, une période (3) de sept nuits et de huit

(1) Ceci est la traduction d'un texte qui figure la fin de ce travail et qui m'a été dicté chez les Beni Snoûs, par Moh'ammed Belkheir, des Aît Larbi (cercle de Maghnia), dans le dialecte berbère propre aux habitants de quelques villages, bâtis sur les bords de l'Oued Khemis. Ce dialecte est presque identique à celui qui est parlé au Kef (Beni Snoûs) et très voisin de celui des Beni Bou Saïd (sur ce dernier dialecte, cf. R. Basset, Nédromah et les Traras, Paris, Leroux, 1901, app. 1).

(2) La période appelée súb'a (e, au Kef saba'at) commence le 24 février de l'année julienne (8 mars du calendrier grégorien), cf. Kitâb ErRa'dıya, p. 4 de l'éd. de Tunis, trad. Joly, p. 304. Elle finit le 4 mars (ann. grégorien, 16 mars.) Voir aussi : Es-Soûsi, Cherh', p. 43. On lit dans la Risâla d'El-H'at't'ab, fo 37, verso: Jgle Jgl « La période appelée El H'ousoúm commence le premier jour du mois de Bermahât» (année copte); Abou Meqra', dit le même auteur, la fait commencer à la fin du mois de Mechir de l'année syrienne (24 février). Dans le calendrier des Roum, Qazwini la place du 26 chabat au 4 du mois de adar. Cf. Qazwini ’Adjâib, p. 77. On lit dans El-Fasi, Cherh', mon ms., fo 6: hävitally

«La période de El-Housoûm commence le 25 février. »
dis « Elle finit le 4 mars. >>

تخرج الحسوم

وبي

(3) C'est d'elle qu'il est question dans le Qorán, sour. LXIX, vers. 7. Elle a reçu différents noms. Les nuits s'appellent

ou encore. On donne aux jours les appellations suivantes :

ليالي ou bien

الراعي

,(18 .El-Wanchrisi, Cherh', p ايام الصنابر - أيام الحسوم - ايام العجوز

النحس

ou ! (Cf. Es-Sousi, Cherh', p. 43), ou bien lis↳ (Cf. Tádj El'Aroús, p. 66; -Voir aussi sur ces appellations: Es-Soûsi, Momta', p. 52; El-Warzizi, Cherh', p. 51.

jours (1) pendant lesquels souffle un vent violent (2) et glacé (3), accompagné de pluie et de neige (4); c'est la période d'Es-Sab'a.

:

(1) Chacun de ces jours a reçu un nom particulier le premier s'appelle (ces deux mots désignent le froid); c'est ensuite

; le deuxième

. معلل - مؤتمر - امر de queue ». Viennent ensuite

, مطبي الجمر se nomine

(l'édition du Caire du Kitáb Es-Soúsi, p. 44, 1. 6, porte. Les trois manuscrits de cet ouvrage que j'ai en mains portent ). Ce mot désigne, dit El-Wanchrisi (Cherh', p. 19), « un animal noir plus petit que le chat, dépourvu Enfin, le dernier jour car ce jour, les gens retournent à leurs demeures et éteignent leurs feux. (Cf. Es-Soûsi, Cherh', p. 44 et 45; - El-Wânchrîsi, Cherh', p. 19 et particulièrement. A. de C. Motylinski. Les Mansions lunaires des Arabes, Alger, Fontana, 1899, p. 28, note 1; Es-Soûsi, Momta', p. 52. ElWarzizi, Cherl', p. 52; Kairouani. Expl. scient. de l'Alg., Paris, imp. Royale, 1845, pp. 30-366-405; Qazwini, 'Adjaib, p. 76-77. Les séances de Hariri, éd. de Sacy, maq. 25, p. 256; éd. du Caire, 1314, 11, p. 22).

-

(2) On essaie de faire cesser ce vent en attachant un morceau d'étoffe rouge au cou d'un lévrier qu'on laisse ensuite en liberté (Ammi Mousa). Ce vent est d'une telle violence que l'on ne saurait répondre de la vie d'un oiseau qui, à ce moment, sortirait de son nid. (Tlemcen, Nédroma, Ammi Mousa.)

(3) Cf. A. de C. Motylinski, Mansions lunaires, 1. c., p. 28. « C'est le moment de la pluie, du vent, du froid nocturne. >>

Ces nuits sont quelquefois appelées «nuits du Soûdân. ▾ Ce nom leur vient de ce que, à cette époque de l'année, le froid est plus intense au Soudan que dans les autres contrées. (Cf. El-Wânchrisi, Cherh', p. 18. - El Warzizi, Cherh', p. 52. El-H'at't'ab, Risala, fo 37, ajoute :

يشتد البرد في الثامن منها لانصرافه كما ان السراج يفوى ضوءه

قبل ان يطبي والعليل يفوى قبل ان يموت

«Le froid se fait plus rigoureux le huitième jour de cette période parce qu'il va disparaître, se comportant comme la lampe qui brille d'un plus vif éclat avant de s'éteindre, comme un malade qui, sur le point de mourir, semble reprendre des forces. »

Le mot » النحس هي الريح الباردة : 2 .Voir aussi El-Warzizi, Cher, p

neh's (dans l'expression) désigne le vent froid,» et Kitab Er Ra'diya, trad. Joly, p. 304, p. 4, de l'éd. de Tunis.

On dit (à Tlemcen, à Saïda, à Nédromah) que, à ce moment, le froid est si intense qu'il éteint le feu dans les maisons, c'est le moment où viennent les engelures; pour se réchauffer, on mange des beignets.

(4) On dit à Tlemcen:

في السابعة ينحل بيبان السماء للماء

« Pour la Sab'a, les portes du ciel sont ouvertes pour donner passage

à l'eau. >>

Durant les quatre derniers jours d'Es-Sâb'a, il fait tellement froid que le lait de beaucoup de nos chèvres se trouve tari (1), de sorte que leurs petits, privés de lait, meurent de faim. La perdrix reste dans son nid et commence à pondre, si bien qu'à la fin de cette période, elle est, ainsi que disent les gens, sur sept œufs (2).

Le cultivateur qui irrigue ses figuiers pendant ces « nuits longues » verra son séchoir (3) bien garni de figues; celui qui n'irrigue pas à ce moment n'aura qu'un séchoir vide (4). On désigne aussi cette période sous le nom de « nuits noires (5). » Les ténèbres sont, en effet, très épaisses durant toutes ces nuits et l'on ne distingue nulle trace de clarté.

C'est au moment d'Es-Såb'a qu'arrivera le jour de la Destruction, pendant lequel toutes les créatures de Dieu seront anéanties à la mème heure (6). Toute chose se trouvera transformée en eau et l'univers ne sera

(1) On appelle cette période « nuits du berger »), parce que, alors, le froid ne permet pas au berger de conduire ses troupeaux au pâturage. (Cf. Es-Soùsi, Cherh', p. 42; Es-Soùsi, Momta', p. 52; El-Warzîzi Cherh', Kitab Er-Ra'diya, p. 4.) p. 52;

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A partir du dernier jour d'Es-Sab'a, on fait sortir les troupeaux de très bonne heure et on les ramène du pâturage un peu avant le milieu du jour pour les traire. On a eu soin de tenir les agneaux et les chevreaux à l'écart, pour que les mères ne les allaitent pas. On recueille ainsi le plus de lait possible. On sort de nouveau les troupeaux dans l'après-midi. Avant Es-Sâb'a l'herbe étant rare, les troupeaux restent au pâturage toute la journée avec leurs petits et l'on ne recueille que très peu de lait. C'est l'époque appelée

.(Ammi Mousa) ليالي الراعين « a nuits des bergers

(2) La perdrix, qui s'est accouplée dès la nuit d'Ennåyer, pond son premier œuf le premier jour d'Es-Sab'a, puis chaque jour un autre œuf. Les bergers, friands de ces œufs, en prennent, chaque jour, un qu'ils remplacent par un oignon de scille, taillé assez habilement pour que la perdrix s'y trompe et continue à pondre (Ammi Mousa).

(3) On fait sécher les figues au soleil, sur des nattes de palmier nain, d'alfa, ou de diss. On rentre ces fruits, le soir, dans un gourbi. Le motylŵis, « séchoir, désigne à la fois les nattes sur lesquelles sont étendues les figues, le lieu où ces nattes sont placées, le gourbi dans lequel on les abrite. Au Kef, au lieu deliv on dit nchir.

(4) A Figuig on interrompt pendant cinq jours l'arrosage des palmiers et la fécondation de leurs fleurs. A Qal'a, à partir du premier jour d'Es-Sab'a, on ne laisse plus le bétail brouter l'orge verte dans les cultures.

ليالي arabe)

(5) En arabe,« nuits noires, nuits de malheur » (Tlemcen, Nédromah, Ammi Mousa). Sur les nuits noires, cf. M. Ben Cheneb, Prorerbes arabes de l'Algérie, Paris, Leroux, 1905, p. 18 et 286.

(6) C'est à pareille époque que Dieu, pour punir les 'Adites, restés sourds à la voix de leur prophète Houd, leur envoya au lieu de la pluie qu'ils

plus qu'une vaste mer (1). Chaque année, quand approche la Sâb'a, nous disons: « Cette fois, nous allons être détruits »; et craignant d'être anéantis, nous demandons à Dieu d'user de bonté à notre égard; le monde se met à faire des aumônes de pain, de figues, de bouillie, de

couscous.

demandaient, un vent terrible,

9 (Tádj El ́Aroùs, p. 66), qui les fit périr. De là le nom de « jours du châtiment » (lb) donné à cette période. Une vieille femme 'adite, fuyant devant la tempête, se réfugia dans un souterrain; mais le vent l'y suivit et la fit mourir (Beidawi, Comm. de la sour. LXIX, vers. 7; sour. XXVI, vers. 171; Sour. XXXVII, vers. 135) On dit aussi que la vieille échappa à la mort (Es-Soûsi, Cherh', p. 43). (Voir une autre légende dans Qazwîni, 'Adjâib, p. 77; Khazîn, III, aussi Es-Soûsi, Momta', p. 51; El-Warzîzi, Cherh', p. 52.)

-

405;

et

De là vient l'appellation de «< jours de la vieille » ;), peut-être aussi de ce que ces jours se trouvent à la fin (j) de l'hiver (cf. Wancherisi, Cherh', p. 18). La légende de la vieille » est bien connue un peu partout. On lit dans Beha d-Din : Une vieille sorcière arabe annonça aux gens de sa tribu un froid prochain. Mais ils ne prêtèrent aucune attention à ses paroles. Un froid survint qui fit périr leurs céréales et leurs treilles ; d'où les expressions jours de la vieille » et « froid de la vieille. » On dit aussi qu'une vieille femme demanda à ses enfants de la marier; ils lui imposèrent comme condition qu'elle résisterait au froid pendant sept nuits. Elle le fit et en mourut. (Cf. M. Abderrahman. Lectures choisies, 1, p. 42.)

(1) On dit aussi que c'est à ce moment de l'année qu'eut lieu le déluge. Ces jours sont de mauvais augure; on évite de partir en voyage pour la sab'a, surtout s'il faut faire une traversée; la mer est, en effet, très agitée à cette époque. (Cf. Hosain Zâîd, El Mat'la', p. 8 des tables :

اهیجان

البحر المالح يفوي

On raconte, à Tlemcen, qu'il était autrefois, dans cette ville, sept frères aimant passionnément la chasse. Ils se gardaient toutefois de sortir pendant l'hiver; mais dès qu'un certain arbre, planté et arrosé par leur père, donnait ses premières feuilles, ils se livraient à leur plaisir favori. Le père mourut et, dès lors, ce fut la jeune sœur de nos chasseurs qui donna ses soins à l'arbre. La jeune fille l'arrosa si fréquemment que, bien avant le printemps, l'arbre se trouva couvert de feuilles. A la vue de cette verdure, les jeunes gens crurent que l'hiver était terminé et aussitôt se mirent en chasse. Survint une affreuse tempête de vent et de neige qui dura sept jours. Les malheureux chasseurs périrent tous dans la tourmente; on retrouva dans la montagne leurs cadavres que les bêtes féroces avaient respectés; ils furent enterrés au pied des rochers qui dominent Sidi Bou Médien, au lieu que l'on nomme »

. ( سبعة رجال ) ( depuis « les sept hommes

Les gens d'Oudâghîr (Figuig) racontent que, dix-sept d'entre eux étant sortis pendant la sab'a, quatorze moururent. Une légende peu différente m'a été contée près de Tiaret, chez les Oulad Khoulif, et aussi à Nédromah. On dit aussi que celui qui sort à ce moment court risque d'être enlisé dans les terres détrempées; on appelle ces jours:

..

Le dernier jour d'Es-Sâb'a (1) arrivent les cigognes (2), puis viennent les hirondelles (3) et enfin, après elles, ce sont les aigles (4). L'individu qui, pour la première fois de l'année, voit l'un de ces aigles, en tire bon ou mauvais augure. Si à ce moment, il se trouve debout, il dit à l'oiseau : « Je t'ai vu, aigle, et je suis debout. » Puis se baissant, et fermant les, yeux, il ramasse de la terre sous son pied droit et l'examine dans sa main. Y trouve-t-il mêlé quelque poil d'animal, il en observe la nuance : si ce poil est noir, l'individu achètera un cheval noir, ou un mulet noir, ou une jument noire; si le poil est d'une couleur différente, blanc, ou gris, ou rouge, il achètera, selon le cas, une monture blanche, grise ou rouge.

Mais si l'aigle, vous apparaissant pour la première fois de l'année, vous trouve assis ou couché, c'est le présage d'une maladie qui vous frappera ou l'annonce d'une mort prochaine, si Dieu veut (5).

C'est alors qu'arrivent les sauterelles (6). Elles sont sorties du sein de la mer. Pour les chasser de notre pays, le feqth écrit sur des pierres des

(i) On ne connaît pas exactement, dit-on, la date du commencement de la période, moins encore celle de sa fin. On raconte que le Prophète promit le Paradis à la personne qui lui ferait connaître la date de la Sâb’a. Un juif la calcula Elle commence tel jour, dit-il, à Moh'ammed. - Il s'agissait de savoir, répondit celui-ci, non pas à quel moment commence la période, mais bien celui où elle finit. >>

Est-ce pour cette cause que l'on dit : « la Sâb'a est finie », alors que, au contraire, elle ne fait que commencer; on dit aussi la Sab'a commence quand l'on suppose que son dernier jour est passé (on prend une précaution analogue en été, pour la période des smáiems), ou bien est-ce pour donner le change à la mauvaise fortune pendant ces jours de mauvais augure (b). Les Musulmans pieux demandent à Dieu de les en préserver; ils disent: « O mon Dieu, fais passer ces jours, en te

,Seigneur » يا رب ما تفتلني شي بالماء montrant bienveillant ou bien

ne me fais pas périr par l'eau ! »>

(2) Cf. Es-Soûsi, Cherh', p. 45;

Momta', p. 53.

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Si l'on aperçoit une cigogne, c'est signe de bonheur quand elle se présente de face; c'est signe de malheur, si elle tourne le dos; c'est signe de grande misère, si deux cigognes se battent sous vos yeux (Tlemcen).

عشر تظهر الخطاطيف والحداة : 77 .Cf. Qazwini, 'Adjat, p (3) الثالث

«Le 13 mars, apparaissent les hirondelles et les milans » et Kitâb Er-Ra'diya, p. 5, trad. Joly, pp. 304-305.

(4) Sur le rokhma, cf. Qazwîni, 'Adjátb, p. 414.

(5) On dit à Qal'a l'individu qui, pour la première fois de l'année voit un rokhma, peinera toute l'année si, ce moment, il marche. Il vivra en paix s'il est assis au moment où il aperçoit l'oiseau.

(6) Cf. Kitab Er-Ra'diya, édit. de Tunis, p. 4. des tables. Qazwîni, 'Adjaib, p. 431.

Hosein Zeid, Mat'la', p. 8.

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