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l'orientalisme. En ouvrant son cours sur les faits sociaux en linguistique, il a indiqué comment cette science avait vu ses méthodes se modifier sous l'influence de l'histoire, de la psychologie individuelle, tout en restant elle-même ; mais on a négligé jusqu'ici de reconnaître dans la langue un phénomène social et d'étudier les conséquences qui résultent de ce fait. C'est cette idée toute nouvelle qui inspirera l'un de ses cours de cette année: appliquée à l'étude de la linguistique maghrébine, elle conduirait certainement à des résultats du plus haut intérêt.

Ce sont des sujets moins actuels, que les traditions de l'enseignement de l'arabe au Collège de France ont imposés à M. Marçais, directeur de la Médersa d'Alger, auquel M. Barbier de Meynard a confié son cours durant le premier semestre de l'année scolaire. Il a consacré à l'étude du djihad suivant le Çahih de Bokhari, et au Kitab ech Choùara d'Ibn Qoteiba, des leçons nourries d'observations et d'idées, qui ont été très suivies.

L'exposition des peintres orientalistes vient d'ouvrir ses portes l'Afrique du Nord y est largement représentée, bien que Venise tienne une grande place avec Bompard, d'Estienne, etc.; Paul Leroy, Dinet, Girardot, Dagnac-Rivière, d'autres encore, ont envoyé des toiles très variées, des oasis de Biskra aux cimetières de Tétouan.

GAUDEFROY-DEMOMBYNES,

Secrétaire de l'École des Langues Orientales Vivantes.

Lettre de Tunis

Tunis, 1" avril 1906.

Les évènements concernant l'orientalisme et qui mériteraient d'ètre relevés au passage ont été bien rares à Tunis au cours de l'année 1905. Le Congrès des Orientalistes d'Alger a sans doute attiré tout vers cette dernière ville, faisant le vide à distance. Ce congrès n'a pas eu de répercussion notable à Tunis, où les congressistes venus à l'issue des travaux

n'étaient plus que des touristes isolés. Nous avons eu cependant le plaisir de recevoir, à cette occasion, parmi nous, un ancien tunisien, M. Jean Spiro, autrefois professeur au Collège Sadiki et actuellement professeur de langues sémitiques à l'Université de Lausanne.

Nous profiterons de ce manque de matériaux concernant la Chronique Orientaliste pour donner sur l'organisation de l'enseignement de l'arabe en Tunisie quelques indications qui serviront de point de repère ou de comparaison pour les chroniques ultérieures.

L'enseignement de l'arabe destiné aux étudiants autres que les élèves du Lycée et des écoles, c'est-à-dire ce que l'on pourrait appeler l'enseignement supérieur, est représenté à Tunis par des cours publics faits au début par un seul professeur, M. Delmas, directeur du Collège Sadiki, à qui l'on a adjoint depuis deux autres professeurs, un français et un indigène.

Ces cours ont pour objet l'étude de l'arabe parlé et de l'arabe écrit. L'arabe parlé comporte trois années d'étude, la dernière constituant la préparation au certificat de connaissance d'arabe parlé.

Les cours d'arabe écrit ont pour objet la préparation au brevet élémentaire et au diplôme supérieur. Pour obtenir le brevet, il faut être en état de lire à peu près courammant une lettre administrative ou d'affaires ordinaire, ou un texte facile comme les Mille et une nuits, le Mostatraf, etc. Le programme des cours où l'on prépare le brevet n'offre donc rien de particulier.

Quant au diplôme supérieur, qui suppose une connaissance très approfondie de la langue et de la littérature arabes, il est préparé dans des cours qui constituent réellement un enseignement supérieur. Ces cours portent sur le droit musulman, la rédaction arabe et la rhétorique arabe. En dehors des exercices écrits ou oraux exigés des étudiants et des traductions de lettres ou rapports difficiles, d'actes notariés, de fetouas, mraslats, marouds etc., ils comportent l'explication d'auteurs dont l'énumération pourra servir d'appréciation sur le degré particulièrement relevé de cet enseignement.

Pour la grammaire, les ouvrages expliqués au cours de

l'année courante ou des dernières années sont: le Bahtsel-méthaleb de Germanos Farhate; le Qatr d'Ibn Hicham, avec commentaire; l'Alfya d'Ibn Malek, avec le commentaire de Makkoudi; la Métrique d'Ismaël Ahmed Es-Stambouli.

Pour la littérature proprement dite, on peut citer les Séances de Hariri (dix séances), avec le commentaire de· Sacy et le grand commentaire de Cherichi; les sept Moallakats, avec le commentaire de Zouzeni; la Lamiet-el-Arab de Chanfara, avec le commentaire de Zamakhchari; la Lamietel-Adjem de Toghraï, avec commentaire; la Lamiet d'Ibn-elOuardi, avec commentaire; les Séances de Hamadani; les Prolégomènes d'Ibn-Khaldoun (le chapitre relatif à la langue de Modhar).

Ces divers cours ont un auditoire régulier et nombreux. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'en Tunisie, en dehors des motifs d'ordre général que l'on peut avoir d'étudier la langue arabe et qui se retrouvent dans toute l'Afrique du Nord, plusieurs catégories de fonctionnaires doivent se livrer à cette étude d'une façon tout spécialement approfondie par suite de l'existence d'un Ministère d'État tunisien, appelé couramment le Dar-el-Bey, où tous les dossiers sont en langue arabe, et où cependant le Gouvernement du Protectorat a des représentants dans les hauts emplois. De ce Ministère tunisien dépendent les services judiciaires musulmans, dont font partie les tribunaux musulmans de Tunis et des provinces, Tous les dossiers judiciaires de ces tribunaux, comme les dossiers administratifs du Dar-el-Bey, sont naturellement en langue arabe, les magistrats musulmans n'étant pas tenus de connaître la langue française. Or, pour compléter le fonctionnement de ces organes judiciaires, et pour assurer aux israélites sujets de Bey, et par conséquent soumis aux juges musulmans de ses tribunaux, une équitable application des lois et toutes les garanties désirables, il a été décidé que l'on adjoindrait à chacun de ces tribunaux un commissaire du Gouvernement de nationalité française, et qui remplirait, avec la mission ci-dessus indiquée, les fonctions de Ministère public. Ces commissaires, qui auront à discuter en langue arabe à l'audience, sur des dossiers écrits en langue arabe,

devront avoir une connaissance très solide et très étendue de cette langue.

La nécessité de pouvoir à ces emplois ne manquera pas d'amener un nouveau contingent d'étudiants aux cours supérieurs d'arabe.

A côté de ces cours destinés aux étudiants français, il serait intéressant de passer en revue l'enseignement destiné seulement aux indigènes, et qui comporte des institutions très importantes. L'enseignement supérieur arabe est donné à la Djemaâ-Zitouna, ou « Grande Mosquée de l'Olivier ». Une société libre d'enseignement, la Khaldounia, donne des cours publics sur les matières qui ne sont pas enseignées à la Grande Mosquée, comme l'Histoire et la Géographie, les sciences, etc. Au dessous de ces établissements viennent les diverses écoles normales primaires indigènes, et enfin les écoles coraniques. Tout cet enseignement, à tous ses degrés, mérite une étude spéciale qui pourra faire l'objet d'une autre lettre. Il comporte, comme toute institution, des perfectionnements qui donnent lieu en ce moment à des discussions très nourries dans la Presse indigène; on demande notamment d'intéressantes modifications dans le programme un peu primitif des écoles coraniques. Ces questions, qui donneraient un développement excessif à la présente lettre, méritent d'être traitées à part et nous comptons bien y revenir.

Enfin, l'enseignement des jeunes filles de la société indigène, qui est une matière particulièrement délicate puisqu'il s'agit de façonner des intelligences en vue d'une société et d'un milieu qui nous sont à peu près impénétrables, a fait aussi l'objet des préoccupations du Gouvernement et a donné lieu à une expérience intéressante.

Après avoir discuté pendant quelque temps dans la Presse à ce sujet, on a tenté un essai. Une école pour les jeunes filles indigènes a été ouverte au centre de la ville arabe et placée sous la direction d'une dame française, veuve d'un haut fonctionnaire du gouvernement. L'école est fréquentée: ouverte en 1900 avec 8 élèves, elle en compte aujourd'hui plus de 50, âgées de 5 à 13 ans. Donc, on peut dire qu'elle a réussi auprès des pères de famille. Voici comment l'appré

cie (1) un des représentants les plus autorisés de la popula -› tion indigène, M. Abdel-Djelil Zaouche, licencié en droit, industriel à Tunis et conseiller municipal de cette ville:

« Les élèves qui comptent un séjour de trois et quatre ans à l'école ont singulièrement profité de l'enseignement et de l'éducation. Elles parlent et écrivent le français et l'arabe et calculent facilement. Elles possèdent des aperçus très variés résultant des leçons de choses qui leur sont données. De sérieux éléments d'hygiène et les soins à donner aux enfants en bas âge font l'objet de cours spéciaux.

;» Un moueddeb leur enseigne le Coran.

» Par le contact entre elles et grâce aux fréquentes leçons de morale du moueddeb et des institutrices, leur caractère s'est adouci elles se jalousent moins entre elles, s'entr'aident et se lient d'amitié.

» Leurs progrès dans les travaux de couture sont étonnants. Entrées sans savoir tenir une aiguille, elles font maintenant de la lingerie, des broderies, des dentelles et elles apportent un tel goût à ce genre d'occupation que souvent d'elle-mêmes elles reprenneut leurs ouvrages à l'heure des récréations.

» Elles aiment toutes l'école et quelques-unes d'entre elles, qui devaient être rendues à leur famille en raison de leur âge, ont tant supplié qu'on a consenti à les garder un an

encore.

Ces jeunes filles appartiennent aux différentes classes de la société musulmane; elles sont toujours accompagnées, à l'aller et au retour de l'école, par leurs parents ou par des domestiques.

Le programme de l'école n'est pas trop développé, car le but poursuivi n'est pas l'émancipation de la femme musulmane ni son assimilation à la femme européenne, mais bien de l'encourager à s'occuper chez elle intellectuellement et manuellement, de la mettre à même de compter avec ses ressources sans les dépasser, enfin de lui meubler l'esprit de pensées moins futiles. >>

D'autres écoles du même genre sont demandées dans d'autres quartiers plusieurs familles ayant changé de loge.

(1) Dans Le Libéral de Tunis du 24 avril 1903.

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