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exemplaires. Une bibliographie des sources anglaises, françaises, portugaises, espagnoles et arabes, relatives à Moulay Ismaïl, donne à ces quelques pages le caractère d'une étude historique du meilleur aloi.

C'est à l'histoire des relations diplomatiques du Maroc et de la Porte ottomane, que se rattache le travail publié par M. Barbier de Meynard à l'occasion du XIV Congrès international des Orientalistes (1). Il a, en effet, traduit un fragment de l'historien turc Djevdet Pacha, sur une ambassade marocaine envoyée à Constantinople par Moulay Mohammed, en 1197 de l'Hég. (1782-83). Cette relation, dont les éléments sont empruntés aux Mazbata », c'est-à-dire aux procès-verbaux des Conférences diplomatiques, conservés dans les archives ottomanes, offre des garanties. d'authenticité indiscutables. L'envoyé chérifien, Molla Saïd Taher, avait mission non seulement d'offrir des cadeaux au Sultan et de lui remettre une lettre conçue en termes amicaux, mais encore de proposer à la Turquie, qui se préparait à résister à l'Autriche et à la Russie, l'appui pécuniaire du Maroc. L'ambassade fut reçue par le Sultan, le 29 juillet 1783; puis le grand vizir, dans une audience particulière accordée aux envoyés, leur demanda des éclaircissements sur les propositions de Moulay Mohammed. Enfin l'ambassadeur repartit pour Fas, porteur de présents et d'une lettre du Grand Seigneur.

Le fragment de Djevdet Pacha. n'a, selon M. B. de M. d'autre intérêt, que « de mettre en lumière l'orgueil osmanli, et, d'autre part, sous l'apparente obséquiosité du bachadour maghrebin, le sentiment inné de la supériorité du Chérif sur le Padicha, issu d'une obscure tribu nomade des bords de l'Oxus. » Ce document a pourtant une valeur historique. L'ambassade de 1783 est, en effet, l'une des manifestations de la politique de rapprochement et de conciliation adoptée et suivie avec persévérance par Moulay Mohammed à l'égard de la Porte. Déjà en 1179 et en 1181 Hég. deux ambassades analogues avaient été envoyées à Constantinople. Une quatrième mission y fut encore conduite en 1200 Hég. par l'historien EzZyani, l'auteur du « Terdjoman ». Nous connaissons mal ces négociations, sur lesquelles les auteurs arabes ne donnent que des indications insuffisantes. Aussi n'est-il pas douteux, que la publication de l'histoire inédite encore de Djevdet Pacha, jetterait quelque clarté sur ces questions obscures de l'histoire marocaine.

Depuis que le problème .narocain est passé au premier plan de l'actualité, il s'est développé sur ce sujet une « littérature » très touffue. Nous ne pouvons, dans cette revue réservée aux ouvrages d'histoire, aborder l'examen des écrits de tous genres inspirés par les préoccupations de l'heure présente. Quelques-unes de ces publications ne sont pourtant pas des œuvres de polémique pure et ont une valeur documentaire qu'on ne saurait dénier. Il sera sans doute difficile aux historiens futurs de se représenter l'organisation du maghzen et le système administratif chérifien au début du xx siècle, sans consulter le Maroc d'aujourd'hui, de

(1) Barbier de Meynard: Une ambassade marocaine à Constantinople. Recueil de Mémoires orientaux..., publiés par l'École spéciale des Langues orientales vivantes, à l'occasion du xiv Congrès des Orientalistes. - Paris, Imprimerie nationale, 1905, in-4o, p. 1-29.

M. Aubin (; on ne pourra se rendre compte de l'état de l'opinion publique en Espagne, à la veille de la Conférence d'Algésiras, sans étudier la Cuestion de Marueccos, de M. Maura Gamazo (2). Il est en revanche d'autres ouvrages, qui, malgré l'apparence de travaux historiques, se rapprochent singulièrement des ouvrages de polémique. Cette impression, on ne peut manquer de l'éprouver en parcourant le livre de M. H. Becker, Espana y Marueccos (3). Hâtons-nous toutefois de le reconnaître, cet exposé des relations diplomatiques de l'Espagne et de l'empire. chérifien au XIXe siècle repose sur une documentation très solide. La situation même de l'auteur lui a ouvert des archives fermées aux profanes, et lui a permis, par exemple, de mettre à profit la correspondance des agents espagnols à Tanger avec le Gouvernement de Madrid. M. Becker a multiplié les citations et les textes. Il a voulu en effet, ainsi qu'il le déclare dans sa préface, non pas composer une histoire, mais grouper des éléments d'information assez nombreux et assez précis, pour que le public espagnol fût en état de se former une opinion raisonnée sur le rôle que l'Espagne doit jouer dans le règlement de la question marocaine. Jusqu'à ce jour, en effet, la politique suivie par l'Espagne à l'égard de l'empire chérifien n'a été caractérisée ni par l'esprit de suite, ni par le sentiment bien net du résultat à obtenir. Telle est du moins la conclusion de M. Becker. Dans la période qui s'étend du traité de 1799 à la guerre de 1860, les difficultés intérieures, les querelles de parti, les guerres civiles, ont détourné du Maghreb l'attention des hommes d'Etat, et cela, au moment même où la France, par la conquête de l'Algérie, l'Angleterre, par l'habileté persévérante de ses diplomates, établissaient solidement leur influence dans ce pays. La victoire des Espagnols et le traité de Tétuan relevèrent quelque peu le prestige de l'Espagne, et le Cabinet de Madrid parut, pendant quelques années, l'arbitre des destinées marocaines. La révolution de 1868 et les troubles qui la suivirent, déterminèrent une nouvelle éclipse de l'influence espagnole. La Conférence de Madrid, destinée, dans la pensée des diplomates madrilènes, à restaurer l'autorité du Sultan et à resserrer l'intimité des deux États, n'atteignit qu'en partie ce résultat. Si l'Espagne parvint à régler à son avantage les incidents de Melilla en 1891, elle dut au contraire, en 1894, recourir à l'intervention des puissances étrangères pour imposer au Chérif les conditions du traité présenté par Martinez Campos. La mort imprévue de Moulay-Hassan, puis les désastres de la guerre hispanoaméricaine. achevèrent d'ébranler le prestige espagnol. Aujourd'hui l'Espagne se trouve hors d'état d'obtenir tous les avantages auxquels elle aurait le droit de prétendre. Ses intérêts incontestables ne peuvent, selon M. Becker, être sauvegardés que par la conservation du statu quo. Aussi, dans la crise actuelle, convient-il que l'Espagne se range du côté de la puissance, ou des puissances décidées à maintenir l'intégrité de l'empire

(1) Aubin (Eugène), Le Maroc d'aujourd'hui. Paris, Armand Colin, 1901, in-8°. (2) Maura Gamazo, La cuestion de Marruecos desde el punto de vista espanol. Madrid, Romero, 1905, in-8°, 308 8 p.

(3) Becker (Jeronimo), Espana y Marruecos; sus relaciones diplomaticas durante el siglo XIX, Madrid, Tipolitografia Raoul Péant, 1903, in-8, 319 p.

chérifien. Cette nécessité n'exclut d'ailleurs nullement l'action d'une diplomatie active et intelligente; elle se concilie, au contraire, fort bien avec une pénétration pacifique dont l'Espagne retirerait d'indiscutables bénéfices.

Toutes les fois qu'a été posé devant l'Europe le problème marocain, l'Espagne a invoqué les « droits historiques », qu'elle prétend exercer sur l'empire chérifien. La convention du 5 avril 1904 a reconnu, qu'il convenait de prendre en considération les intérêts que l'Espagne tenait de sa position géographique et de ses possessions territoriales sur la côte marocaine. «Quelle est l'origine de ces droits et l'importance de ces intérêts?» Telle est la double question à laquelle répond l'ouvrage de M. Rouard de Card sur les relations de l'Espagne et du Maroc au xvi et XIX siècle (1).

M. Rouard de Card ne remonte pas à une époque très ancienne, car du règne d'Isabelle la Catholique au traité de Ceuta (1721, l'état de guerre fut l'état normal entre l'Espagne et les Chérifs. Au xvi° siècle seulement des négociations furent engagées, à l'effet d'établir un « modus vivendi »>>> plus acceptable. Le traité de paix et de commerce de Marrakech (30 mai 1760) complété et corrigé par des conventions de mai 1780 et de mars 1799, posa les bases d'une réglementation consulaire, maritime et commerciale. Le traité du 1" mars 1799, très clair et très précis, supérieur à tous égards aux accords analogues conclus entre les puissances Européennes et le Maroc, assura la bonne entente hispano marocaine pendant un demi-siècle. Le gouvernement chérifien reconnut même l'occupation des iles Zaffarines, accorda l'extension des limites du territoire de Melilla, accepta les mesures prises pour garantir la sécurité des Présides mineurs. Seules les attaques des Andjera contre Ceuta et l'impossibilité pour l'Espagne d'obtenir une réparation satisfaisante provoquèrent une rupture. Les succès militaires remportés par l'Espagne obligèrent le Maroc à signer le traité de Tétouan (24 août 1859) et à concéder à l'Espagne des avantages considérables (indemnité de guerre, cession du territoire de Santa-Cruz, de Mar Pequena, autorisation d'entretenir une mission franciscaine à Fas). Des conventions additionnelles, notamment le traité de commerce de 1861, déterminèrent l'étendue et les limites de la juridiction consulaire. Toutefois la conférence internationale de Madrid (1880) restreignit, dans une certaine mesure, les privilèges concédés aux Espagnols. Enfin, à la suite des attaques dirigées par les Riffains contre Melilla et des opérations militaires, qui en furent la conséquence, un nouveau traité fut conclu à Marrakech en mars 1894 et modifié par une convention additionnelle du 24 février 1893. M. R. de C. a analysé avec soin ces 11 traités et conventions, et il en a donné le texte dans un appendice.

Ni les négociations ni les guerres n'ont, depuis deux cents ans sensiblement modifié la situation de l'Espagne vis à vis du Maroc. Elle a conservé les quatre Présides conquis à une époque antérieure, mais elle n'a pas réussi à en faire les bases d'une pénétration politique ou commer

(1) Rouard de Card. Les Relations de l'Espagne et du Maroc au XVIII et XIXe siècle, Paris (Pedone) 1905. 8° 231 p. (Bibliothèque internationale et diplomatique, XI.

ciale. Elle n'a pas su tirer parti des ports de Ceuta et de Melilla, et ne vient qu'au troisième rang, après la France et l'Angleterre, pour le chiffre des importations et des exportations. Elle n'a pas profité pour développer son influence morale, du privilège d'entretenir des missionnaires et des écoles. «En somme conclut M. R. de C., il convient de ramener à de justes proportions les droits historiques sans cesse appelés par les Espagnols. En toute sincérité, nous ne les croyons pas suffisants pour justifier les prétentions excessives, que les publicistes et les diplomates de la Péninsule veulent faire reconnaître par la France, lors du réglement définitif de la question marocaine. » Cettte appréciation de M. R. de C. est peutêtre trop sévère. Car, à défaut des droits historiques, dont les publicistes tels que M. Maura reconnaissent la fragilité, l'Espagne peut invoquer en sa faveur des arguments plus sérieux. L'établissement d'une puissance européenne sur la côte méditerranéenne du Maroc, a de tout temps été considéré comme incompatible avec la sécurité de la Péninsule. L'opinion publique espagnole est unanime sur ce point. Il n'en faut pas davantage pour expliquer l'intérêt un peu inquiet, mais somme toute fort légitime, nos voisins portent aux destinées de l'empire chérifien.

M. Gaillard, vice-consul de France à Fas, a profité d'un séjour de plusieurs années dans cette ville pour rassembler les éléments d'une description de la capitale chérifienne (1). Cette description est précédée d'une introduction historique, où l'auteur se propose de suivre « la capitale du Maroc à travers les siècles de son histoire, d'après les chroniques arabes, en faisant une large place aux citations et en recherchant les souvenirs du passé. » Il a mis à contribution Ibn-Khaldoùn, le Cartàs malheureusement en se servant de la traduction de Beaumier, Ies chroniques d'El-Oufrani et de Ez-Ziani, les descriptions laissées par Léon l'Africain et par les voyageurs et diplomates chrétiens du xvi et du xvir siècle. Il a enfin tiré grand parti du Djedzouat el Iqtibàs et de la Salouat el Anfàs. Ces deux ouvrages consacrés aux saints personnages qui ont illustré Fas et dont le tombeau se trouve dans cette ville, lui ont fourni d'utiles renseignements sur l'édification des mosquées et des autres édifices religieux. Il est fâcheux que M. G. n'ait pas songé à consulter les autres écrits hagiographiques autographiés à Fas; il y eût recueilli, à coup sûr, de nombreux détails inédits. Malgré cette lacune, l'ouvrage rendra des services. Il est d'une lecture facile et les photographies, dont il est illustré, choisies avec goût et reproduites avec soiu, lui donnent une réelle valeur documentaire.

IV. ALGÉRIE

Pendant le siège d'Oran par les Turcs, le bey de Mascara imagina, afin d'exciter le zèle de ses troupes, d'y incorporer des tolba, qui, partageant leur temps entre les exercices militaires, l'étude et la prédica

(1) Gaillard (Henri). Une Ville de l'Islam. Fès; esquisse historique et sociale. Paris (André) 1905, in-12, 191, p. 5 plans, 142 photographies.

tion jouaient à la fois le rôle d'aumôniers et de soldats (1). Cette innovation n'obtint qu'un médiocre succès. Cette pieuse milice se distingua surtout par son indiscipline. Il fallut même, en raison des querelles, qui surgissaient entre elle et les autres corps de l'armée, la licencier avant la fin du siège et renvoyer les tolba à leurs études. L'un d'entre eux, IbnZerfa avait été chargé par le bey de Mascara d'écrire au jour le jour le récit du siège. Cette chronique, qui s'étend du mois de safar 1205 au mois de moharrem 1207 (octobre 1790, septembre 1791), était restée inédite. M. Houdas l'a analysée mois par mois ; il en a même publié quelques extraits traduits in-extenso, ainsi qu'une lettre du dey d'Alger au bey de Mascara, relative aux conditions de la capitulation d'Oran. La valeur historique de cette chronique est assez faible. L'auteur, pieux érudit plutôt que soldat, a encombré son ouvrage de digressions édifiantes tout à fait étrangères au sujet. «Il a, écrit M. Houdas, porté toute son attention sur la milice des tolba; tous les faits auxquels ils n'étaient pas mélés lui ont paru d'ordre secondaire, quand encore il ne les laisse pas complètement de côté. Cela est fàcheux au point de vue des opérations militaires auxquelles les « tolba » n'ont pris qu'une part assez médiocre. En revanche, Ibn-Zerfa donne une idée très exacte de l'état d'âme de ces guerriers improvisés, et, s'il rend hommage à leur zèle religieux, il fait d'eux, somme toute, un portrait peu flatteur »>.

L'heure n'est pas encore venue d'entreprendre un travail d'ensemble sur l'histoire contemporaine de l'Algérie. L'histoire militaire a, jusqu'ici, à peu près seule fait l'objet de publications de quelque importance. Encore les ouvrages les plus réputés, ceux de Rousset, par exemple, ne doivent être consultés qu'avec précaution, et attestent, chez leurs auteurs une insouciance regrettable des règles les plus élémentaires de la méthode critique. L'histoire civile, d'autre part, est à peine ébauchée. Cependant les archives administratives, tant à Paris qu'en Algérie, les innombrables brochures éditées dans la métropole et dans la colonie, les collections de journaux et de revues, renferment des matériaux de toute espèce, et méritent d'attirer l'attention des travailleurs. L'étude approfondie de questions ou d'épisodes choisis avec soin et nettement circonscrits, des monographies appuyées sur l'examen minutieux des documents tels sont les éléments indispensables à l'édification future d'une histoire de l'Algérie. Les recherches entreprises dans ce sens, ont déjà été, et seront de plus en plus fécondes en heureux résultats.

La conquête d'Alger a été l'œuvre des diplomates presque autant que celle des militaires (2). La tâche des seconds n'a pas été moins difficile que celle des premiers Si les uns ont eu à combattre les bandes vaillantes, mais mal organisées des Turcs, les autres ont eu à déjouer les intrigues et la méfiance de l'Angleterre. Il leur a fallu une habileté extrême

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(1) Houdas (0). Notice sur un document arabe inédit relatif à l'évacuation d'Oran par les Espagnols en 1792, dans Recueil de mémoires orientaux, publié par les professeurs de l'École des langues orientales vivantes à l'oc casion du XIV Congrès International des Orientalistes. Paris (Leroux, 1905, in-8°, pp. 40-83.

(2) Jean Darcy, France et Angleterre, Cent années de rivalité coloniale, L'Afrique. Paris (Perrin) 1904. In-8°, 481 p.

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