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J'ai l'honneur de vous présenter le résumé des découvertes que les crédits alloués pour 1904-1905 ont permis d'effectuer.

La reproduction ci-jointe en photogravure des principaux objets d'art exhumés au cours de ces recherches montre que, cette année encore, les résultats obtenus compensent les sacrifices consentis (à ne tenir compte que de la valeur purement matérielle de ces objets).

Précédemment, nous avions exploré, outre la région des tombeaux, deux élégantes villas romaines (chez MM. Marcadal et Félicien), un temple et une basilique (chez MM. Volto et Delkiche), deux établissements de thermes (sur le champ de manœuvres et au bord de la mer). Cette fois les investigations ont surtout porté sur le théâtre. Nous espérions que les statues, si on en trouvait, pouvant se rattacher à un monument déterminé, auraient ainsi plus d'intérêt.

I

Le théâtre antique de Cherchel

Des fouilles viennent d'être pratiquées au-dessous de la caserne des tirailleurs, dans la zone de terrain correspondant à l'emplacement de la scène antique. Cette zone, que l'État a oublié de se réserver, appartient aujourd'hui à cinq propriétaires, sans compter la commune qui en possède une importante parcelle.

Deux d'entre eux, MM. Sadoun et Ebrard, ont même leurs maisonnettes exactement posées sur le milieu même de la scène, qui était l'endroit le plus orné. Deux autres, MM. Lajouze et Quartero nous ayant gracieusement accordé toutes facilités pour explorer leur lot, ces recherches n'ont pas été sans profit pour le musée local. Elles l'ont enrichi d'acquisitions nouvelles.

On pouvait penser qu'il ne restait presque aucun vestige de ce théâtre dont les gradins et le portique avaient pourtant duré jusqu'en 1840, et dont la scène, a-t-on écrit, (de La Blanchère, de re Jubá, p. 59) avait seule disparu à cette époque (1).

Les gradins en pierre de taille, disposés sur la pente de la colline, où les spectateurs se tenaient assis face au nord, c'est-à-dire face à la mer, et qui figurent encore dans les planches de Ravoisié (album archéologique sans texte 1841), arrachés lors de la construction des casernes, furent utilisés comme matériaux. Puis l'hémicycle lui-même, qu'une courbe de terrain dessinait, devint carrière de tuf. Aussi, peu d'habitants savent-ils aujourd'hui pourquoi la rue qui mène à ce trou béant s'appelle rue du Théâtre. J'ai vu des enfants du pays tant le souvenir des choses se perd vite - attribuer cette désignation à ce fait que des Zouaves auraient dressé autrefois, dans ces parages, quelque estrade pour y jouer la comédie !

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S'appuyant sur ces actes de vandalisme et ces témoignages et les résumant, M. Gsell, dans son ouvrage d'ensemble sur les Monuments historiques de l'Algérie, qui donne avec exactitude l'état actuel de nos connaissances à cet égard, a pu écrire (tome 1, p. 199): « A Cherchel, le théâtre a complètement disparu ».

Or, les fouilles que nous venons d'entreprendre, et qui ont été poussées jusqu'à sept mètres de profondeur, démontrent que la scène, qu'on supposait totalement détruite, parce qu'elle était recouverte de monticules, de cactus et d'habitations, subsiste entière. (Planches vi et vii).

Nous avons déblayé, avec son entrée donnant sur un passage dallé, tout le couloir (côté est de la scène) conduisant à l'orchestre, c'est-à-dire à la plateforme semi-circulaire située entre la scène et les étages de gradins, qui servait aux évolutions du choeur chez les Grecs, mais qui était réservée, chez les Romains et dans leurs colonies, aux spectateurs de distinction. Dans ce couloir (large de 435 et long de 2870, de l'entrée à la naissance de la courbe de l'orchestre) gisaient des chapiteaux, des fûts de colonnes en marbre vert, piqué de rouge, en brèche d'Afrique, en marbre blanc veiné de noir, ou strié comme de l'agate. Les uns sont lisses et les autres sillonnés de vingt-quatre cannelures. Une des

(1) « Theatrum... usque ad ann. 1840 quo Galli urbe potiti sunt, scena tantummodo destructá, duraverat. »

colonnes, qui était sans doute engagée, n'est cannelée que sur les deux tiers de son pourtour. On a roulé ces colonnes (dont trois fragments se raccordent, mesurant ensemble 4 m. 50) sur l'Esplanade, où elles serviront de bancs de luxe aux promeneurs, le musée étant trop plein pour recevoir ces gros matériaux. Nous avons mis au jour également un escalier voûté, semblant longer extérieurement les gradins (large de 1 m. 50), et plusieurs chambres, annexes de la scène, dont les murs, d'une construction très soignée, ont encore leurs plinthes de marbre. Dans l'une de ces pièces, qui a pu servir pour la garde des costumes ou la manœuvre des décors, en deçà et tout près du couloir, nous avons recueilli un énorme fragment d'entablement corinthien, une tête colossale, presque intacte, de Muse ou d'Apollon, et une statue drapée.

Sur cette scène, à la façade richement décorée, évoluaient, il y a dixhuit siècles, les acteurs tragiques en longue robe traînante, les histrions vêtus de jaune, les mimes au costume bariolé comme celui d'Arlequin, tous ces danseurs au son de la flûte et ces bouffons dont les postures licencieuses et le jeu impudique ont tant de fois excité la réprobation des écrivains chrétiens d'Afrique, comme Minutius Félix, Lactance et Saint Augustin.

Les dispositions acoustiques de ce théâtre adossé à la colline paraissent avoir été des plus heureuses. Même en l'absence du mur de fond ́qui servait de réflecteur à la voix, nous avons pu constater qu'un spectateur, assis tout en haut des gradins, perçoit nettement des paroles prononcées sans effort dans la partie basse, à l'endroit qu'occupait la scène.

Les vastes proportions de cet édifice, il a plus de quatre-vingt-dix mètres de large, d'après le plan soigneusement relevé par M. Munkel (Planche VIII), indiquent qu'il servait, non seulement à une élite, friande de fines comédies comme étaient celles de l'africain Térence, mais à la foule, non moins avide de drames, de pantomimes et de divertissements chorégraphiques que de courses de chars et de combats de bêtes. Comme Carthage, l'autre brillante cité du littoral, et comme Rome elle-mème, Césarée de Maurétanie possédait son théâtre, son hippodrome (dont on n'a pas encore fouillé la spina) et son cirque ou amphithéâtre (à droite de la route d'Alger), dont l'arène aujourd'hui transformée en champ d'orge a vu le martyre de sainte Marcienne, livrée aux lions et aux léopards pour avoir brisé une statue de Diane.

Selon quelques historiens (de la Blanchère, l. c. p. 59) (1), c'est dans le théâtre dont nous venons d'explorer une partie (la partie orientale) qu'un autre martyr de Césarée, Arcadius, aurait subi le supplice. En me

(1) « Propè nihil superest e ditissimo aedificio memoria. S. Arcadii ibi martyrium passi claro ».

reportant aux fastes de l'Église d'Afrique, aux textes des légendes consignés dans les Acta sanctorum, je n'ai pas trouvé d'indication topographique autorisant cette conjecture. L'anonyme et pieux narrateur se contente de prêter un discours à saint Arcadius, auquel on avait arraché ·les ongles, coupé les doigts, les mains, les pieds, mais à qui restait la langue pour glorifier Dieu et pour exhorter les témoins de son supplice à se convertir. S'adressant à ceux qui l'entouraient et qui avaient sous les yeux une scène barbare et étrange, le pauvre mutilé leur dit : « Spectatores insoliti theatri... » Cette simple apostrophe du martyr: << Spectateurs d'un théâtre inaccoutumé... » suffit-elle pour établir que sa passion (inscrite dans les annales à la date du 12 janvier 304) a eu lieu en plein théâtre ?

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Quoi qu'il en soit, cet édifice ne présentait pas une ornementation moins luxueuse que les grands Thermes, à en juger par la profusion et la variété des marbres indigènes et exotiques, et de toutes couleurs, que nous avons rencontrés. Ils font songer à la description des escaliers de l'abbaye de Thélème, dans Rabelais, qui étaient « part de porphyre, part de pierre numidique, part de marbre serpentin.» Nous avons trouvé, outre des bandes de marbre blanc de Carrare, coloriées en rose, des fragments de porphyre vert (importé d'Égypte), des morceaux de serpentine (provenant d'Italie), des consoles et des pilastres d'albâtre translucide (tiré d'Aïn -Tek balet, province d'Oran), des plaques de revêtement en brèche d'Afrique, comme gemmées, où des roses mettent leur éclat sur un fond noir et vert (originaire de Chemtou, Tunisie).

On sait, dans les laboratoires de géologie, le prix élevé qu'atteignent les collections d'échantillons de marbre et de roche ornementale provenant des ruines de Rome (deux cent vingt-cinq francs pour quarante-cinq échantillons en petits carreaux polis, de 0"(8 de côté). Avec les débris de marbre extraits des ruines de Césarée qui entretenait des relations commerciales avec Athènes, Rome et Alexandrie — il serait possible de composer, pour le musée, des tables de mosaïque presque identiques.

Voici l'énumération des fragments d'architecture et de sculpture rencontrés jusqu'à présent dans ces fouilles et déposés au musée :

Corniche.

Huit fragments de corniche corinthienne, presque tous d'une conservation parfaite, et d'un beau travail, semblant d'après leurs dimensions, avoir fait partie du décor intérieur.

Le plus considérable de ces fragments, d'un seul bloc de marbre, et qui n'a pas son semblable au musée, mesure 240 de long sur 067 de hauteur. Il présente une rangée de modillons ou consoles, large de dix centimètres sur seize centimètres de haut, sur chacun desquels est sculptée une feuille d'acanthe. Les modillons sont séparés les uns des autres par d'élégantes rosaces, de formes ingénieusement variées, les pétales diffé

rant de nombre et d'aspect (tantôt quatre, tantôt cinq, ici relevés, là incurvés, et plus loin contenant en bordure huit moulures ovales).

En bas un rang de trente sept oves, séparés par des fleurs, placés au-dessus d'un rang de dés rectangulaires ou denticules (larges de trente-cinq millimètres).

En haut, un rang d'ornements en forme de rais de cœur (0"03 de haut) (Planche II).

Colonnes. Les colonnes exhumées ont été transportées sur l'Esplanade, mais deux fragments en brèche d'Afrique et deux fragments cannelés (ayant peut-être appartenu à un double étage de colonnes du mur de scène) ont été mis au musée, comme spécimens.

Deux colonnes, en brèche d'Afrique, ont été trouvées sciées, ou à demi sciées, longitudinalement. La poudre de grès, nécessaire pour l'opération, était encore auprès. Ceux qui ont voulu, après l'incendie et à une basse époque, les débiter en plaques ornementales, ont été dérangés dans leur travail, qui est inachevé.

Chapiteaux. Un chapiteau corinthien (marbre blanc, hauteur 070) orné de deux rangs d'acanthe, d'où partent de grosses tiges qui s'infléchissent en volutes sous chacun des angles de l'abaque. Entre ces grosses nervures, monte une tigette droite, en spirale, comme un foudre, rappelant les chapiteaux du temps de Mars Vengeur à Rome.

Sur une des faces, le chiffre XVII, point de repère pour l'édificateur de la colonnade.

2° Un autre chapiteau corinthien, de grandes dimensions (marbre blanc, hauteur 0m94, diamètre 0"67). Entre les grosses nervures issues des acanthes, une tigette terminée en fer de lance.

Sur la tranche inférieure du chapiteau, en bordure, cette inscription en grandes lettres :

P. ANTIVS AMPHIO

(lettres liées a et m, m et p, h et i) Publius Antius Amphio...

C'est sans doute le nom de l'artiste qui a sculpté le chapiteau. Son joli surnom (Amphion) évoque le souvenir du constructeur légendaire des remparts de Thèbes, dont les blocs se superposaient d'eux-mêmes et harmonieusement, aux seuls accords de sa lyre. (Planche 11).

3° Un chapiteau corinthien (marbre, hauteur 058, diamètre 0"41), avec une tigette centrale terminée par une sorte de bouton de lotus.

4 Un chapiteau, de mêmes dimensions que le précédent, mais qui a séjourné dans le feu, et dont le décor s'est écaillé, ou effrité sous l'influence de la flamme. Quelques fragments de colonnes, qui vont s'émiettant, comme pourris et désagrégés, portent également la trace d'un violent

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