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Tous les enfants vont jouer sur la pente (1) des montagnes, ils emportent des crêpes, du pain, des figues et, quand ils ont bien joué (2), ils mangent (3) et reviennent à la maison.

Parfois ils vont, quand le soleil est chaud, jusqu'à la grotte des Ath Moumen (4). Au moyen d'une tige de férule, les petites filles font une poupée qu'elles revêtent comme une mariée (5) et jouent, en chantant (6), jusqu'au coucher du soleil.

Quand approche la nuit, on fait un lion (7). Deux hommes, placés l'un

et

-designent les pentes gréseuses que domi لوزان الاغ

(1) Les termes

les falaises dolomitiques ().

(2) Ces jeux sont très divers. En Kabylie, les enfants se réunissent et élisent un président, lequel désigne un de ses camarades pour amuser la société par ses facéties.

(3) A Mascara, à Saïda, à Géryville, on doit manger beaucoup le jour d'Ennàyer et ainsi, on ne souffrira pas de la faim pendant l'année nouvelle. A Tlemcen les parents recommandent la sobriété aux enfants et menacent les gloutons de l'adjoûzat ennåyer (8). Cette vieille femme ouvre, pendant la nuit, le ventre des enfants qui ont trop mangé, prend la nourriture qui s'y trouve, et coud la plaie avec du palmier nain (à Nedromah ;), on l'appelle à Géryville la temmása (); elle chatouille, pendant la nuit, ceux qui n'ont pas suffisamment mangé.

(4) Grotte creusée dans les dolomies, près du village du Kef. Les grottes sont très nombreuses dans la région.

(5) A Tlemcen, les fillettes ont coutume, ce jour-là, de marier leurs poupées (blisa).

(6) A Géryville, les petites filles habillent une cuillère et chantent des prières analogues à celles de l'istisqa.

(7) Cette coutume peut être rapprochée de la suivante, rapportée par l'auteur du Medkhel, p. 178:

انسانا منهم ... بيغيرون وجهد بجير او دفيف النج انهم ياخذون

Voici la traduction du passage: « (Au Caire) ils prenaient l'un d'entre eux... Avec du plâtre ou de la farine, il rendaient son visage méconnaissable, puis lui faisaient une barbe de fourrure ou d'autre chose et l'habillaient d'un vètement rouge pour bien le faire voir. Après l'avoir coiffé d'un long bonnet pointu, ils le juchaient sur un àne décati, plaçaient autour de lui des branches vertes de palmier dépouillées de feuilles et des rameaux portant des dattes non mùres, lui mettaient à la main une sorte de registre; il semblait ainsi faire aux gens le compte de l'argent mal acquis qu'il voulait leur enlever.

>> Ils allaient, avec lui, aux portes donnant sur les rues et passages de la ville, ainsi qu'aux boutiques et aux cases situées sur les marchés. Ils y prenaient de force diverses choses qu'ils mangeaient. Quelqu'un voulait-il les empêcher d'agir ainsi? Ils lui jetaient de l'eau, souvent mêlée de

devant l'autre, la face tournée vers le sol, se saisissent. Les jeunes gens vont chercher un tellis dont il les revêtent et qu'ils fixent au moyen de

terre et l'accablaient de coups et d'injures... Et si, pour se protéger et dans le but de se soustraire à ces vexations, les habitants fermaient la porte, c'était pis encore. Combien de fois des portes trop faibles furent enfoncées! Combien d'autres dans lesquelles ils lancèrent tant d'eau que l'on ne pouvait plus ni entrer ni sortir! Et que de fois ils firent sortir le maître de la maison! Si celui-ci ne leur accordait pas ce qu'ils convoitaient, ils le déshonoraient et le maltraitaient plus encore. >> Voir aussi Maqrizy Khil'al' 1, p. 493 et 269.

Cette coutume de promener un lion pour l'Ennåyer se rencontre au Khemis, à Tr'alimet, au Bou Hallou (Beni Snous) et aussi chez les Beni Bou Said, ainsi que dans l'Aurès à

.

A Tlemcen, il y a quelques années, les élèves de chaque école coranique faisaient, pour l'Ennâyer, une quête au profit de leurs maîtres. De vigoureux tolbas, un bâton à la main, conduisaient des ânes chargés des denrées recueillies. L'un des tolbas se plaçait sur le visage un masque taillé dans une citrouille, agrémenté d'une barbe, de sourcils et barbouillé de plâtre. Le taleb masqué s'appelait Boûbennâni. Il parcourait les rues de la ville, suivi de ses camarades qui criaient : « Boûbennâni ! ». Voici leurs paroles, dont le sens m'échappe :

بو بناني هاهاه * وتناني هاهاه * وَتَلَتْلُو هاهاه * وَرْبَعَلو هاهاه *

وَخَمْسَلو هاهاه .

Et ainsi, jusqu'à dix.

Sans autrement s'annoncer, Boùbennâni entre dans chaque maison et se couche dans la cour. Ses camarades entrés avec lui l'interpellent :

باش اتقوم ابوبتاني

« Moyennant quoi te lèveras-tu, Boûbennani ? »

Celui-ci répond:

بالشريحة والكرموس * والجوز البروفي * والرمان المشفوف * انفوم

و بطور الطالب مالبوف

« Je me lèverai pour des figues sèches, ouvertes ou non; pour de grosses noix, pour des grenades que la maturité a fait éclater; pour le déjeûner du maître par dessus le marché ».

Le maître de la maison donne aux tolbas des fruits mélangés, du grain,

ولا اله الا الله : de la farine. Les jeunes gens remercient en chantant (Air

aux enterrements) :

والطلبة عبيد الله

هذا الدار دار الله نجاهك يا رسول الله عمرها وبمرها

place des petites coquilles d'escargots. On fait, de ces coquilles, un grand collier que l'on passe au cou du chameau (1). Enfin, on lui ajoute une queue faite d'une branche de palmier (2). On le promène ensuite comme on l'a fait pour le lion, et la marmaille crie: « Donnez-nous à manger pour le chameau (3) ».

On ne revêt pas, pour l'Ennàyer, de beaux habits, comme on le fait un jour de fête (4).

Si l'un de nous veut arriver à découvrir, dans les broussailles, les œufs de perdrix, il se teint, le premier jour d'Ennàyer, le bord des paupières avec du collyre; puis, la nuit, se plaçant un tamis sur le visage, il compte les étoiles au ciel. Čela, afin de renforcer sa vue (5).

(1) Cf. l'àne aux figues de Nédromah, p. 19, note 1.

(2) Cf. Medkhel, 1, p. 178.

يجعلون حوله الجريد لاخضر وشماريخ البلح

(3) Cf. Maqrizy, Khit'at', 1, p. 493, 1. 12.

وعملوا بيلة وخرجوا إلى القاهرة .... بطيب بهم على الجمال

(4) A Tlemcen, on se garde d'aller au bain pendant les trois jours de fête, durant lesquels on ne change ni de linge, ni de vêtements. On ne se rase pas (en Kabylie, on choisit ce jour pour faire aux enfants leur première coupe de cheveux). On ne se taille pas les ongles (cf. René Basset: Superstitions relatives aux ongles. Revue trad. pop, tomes x et suiv.). Si, par mégarde, on s'est coupé les ongles, on enterre plus soigneusement que d'habitude les parties enlevées (il en est de même chez les Juifs de Tlemcen). Ceux qui ont de la vermine craignent, le jour d'Ennâyer, de s'en débarrasser. Certains maris évitent d'avoir, pendant la première nuit d'Ennàyer, des rapports avec leurs femmes. L'enfant qui en pourrait naître apporterait le malheur dans la famille. Pendant trois jours, les femmes ne balaient pas les chambres; ou bien, si elles le font, elles laissent les balayures dans un coin, à l'intérieur de la pièce; afin, disent-elles, que la prospérité ne sorte pas de la maison; car une chambre nettoyée à ce moment resterait, toute l'année, nue comme l'aire que l'on a soigneusement balayée après le dépiquage. Chez les Beni Snous, on fait rentrer, pour l'Ennåyer, les objets prêtés. A Saïda, on achète pour ce jour un balai neuf. que l'on introduit dans la maison en le jetant, par dessus les murs, de la rue jusqu'à la cour intérieure. Le sel prend le même chemin. Cf. sur le bain le jour du Niroùze. El'Abdery Medkhel 1, p. 180, 1. 27. Masqueray: Documents hist., loc. cit., p. 115 « on change tout ce qui est vieux, usé, dans la maison et dans les vêtements »>.

(5) Cette coutume se rencontre un peu partout en Oranie. A Tlemcen, les enfants se mettent aux yeux du collyre, les uns pour faire fuir

Une femme est-elle en train de faire une natte (1) aux approches d'Ennåyer? Elle s'empresse de l'achever pour l'enlever du métier avant la fête; elle détache ensuite le roseau auquel est fixée la trame. Parfois ses voisines viennent l'aider. Si cette femme, n'enlevant pas la natte, lui laissait passer l'Ennåyer sur le métier, un malheur surviendrait, qui éprouverait ses enfants, son mari, ses biens. On agit de même pour un burnous ou une jellaba (2).

l'adjoûzet-ennåyer, d'autres, pour préserver l'œil du froid ou d'uue lumière trop vive. En Kabylie, presque tout le monde fait usage ce jour-là de collyre. A Nédromah, certains se teignent les mains avec du henna. Cl. Medkhel, p. 180

. ومن

ذلك انتحالهم في صبيحة ذلك اليوم النخ

(الكحل الاسود rue ou de) سذاب de s'enduire le bord des paupières de

« Les Musulmans du Caire avaient coutume, le matin du jour d'Ennåyer,

collyre noir, ou d'autres produits. Ils prétendaient que, de la sorte, l'individu acquérait une vue plus perçante, grâce à laquelle il découvrait les (La) oiseaux et reptiles de petite espèce, sans qu'aucun d'eux restât caché pour lui ».

L'Ennåyer est le jour choisi par les sorcières pour jeter les sorts. Aussi les gens qui savent exactement la date de la fête se gardent de la faire connaître, afin que les magiciennes ne puissent faire leurs préparatifs (faire descendre la lune dans un plat, enduire de collyre les yeux d'un coq, rouler du couscous avec une main de mort, suspendre les pierres du foyer, etc.) (Tlemcen). Cf. El'abdery Medkhel 1, p. 180, 1. 4. On prépare pendant cette nuit des médicaments que les médecins donnent comme infaillibles. On place la préparation dans des fioles que l'on expose sur la terrasse à la lumière des étoiles (Cf. El'Abdery, Medkhel 1, p. 180, 1. 22 et Ann. sociol. 1896-1897 p. 213).

(1) Ces nattes, vendues à Maghnia et à Tlemcen sous le nom de nattes des Beni Snous, sont fabriquées par les femmes. La trame est en bourre de palmier nain. La chaîne est faite de brins d'alfa diversement colorés, auxquels se mêlent quelques fils de laine, ordinairement rouges.

(2) Si, dans une famille, un enfant, né avant l'Ennàyer, perce des dents, une petite fille le prend sur son dos. Elle se présente ainsi aux portes en demandant de quoi préparer à l'enfant de la bouillie (pour lui faire pousser les dents). Ses compagnent chantent :

لوليدي سنينة * بجاه مكة

تخرج یا سنينة يا بنينة * و رجال الله كاملين

ومدينة

« O petite dent, excellente petite dent, tu viendras à mon jeune enfant, par considération pour (les deux villes saintes), La Mekke et Médine et pour tous les saints de Dieu ».

Les enfants des riches, aussi bien que ceux des pauvres, sont ainsi conduits de porte en porte, cette démarche ayant surtout pour but de préserver l'enfant du mauvais œil.

Si une femme n'a pu achever une natte commencée, elle l'enlève avant l'Ennåyer et la fait porter au loin dans la montagne. Puis, la fête passée, on la place de nouveau sur le métier et on l'achève.

Voilà comment se passe le premier de l'an chez les Beni Snous. Que cette année soit heureuse pour vous!

EDMOND DESTAING,

Professeur à la Médersa de Tlemcen.

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