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Autant que dans France Nouvelle de M. Duchêne, les morts mystérieu ses ne sont pas rares.

Les coups de fusils sournois, la tasse de mauvais café jouent leur rôle dans les rivalités de familles.

Et pendant que ces arabes scélérats, sans esprit politique, sans autre lien social qu'un fanatisme étroit et néfaste, emploient tous leurs efforts à s'amoindrir et à se perdre, les colons laborieux, méthodiques et patients, s'installent peu à peu sur leurs terres, défrichent, cultivent, s'associent et transforment en serviteurs, autant dire en esclaves, ces maîtres inconscients de la veille.

Cependant, certains d'entre ceux-ci semblent en prendre conscience, et dans plus d'une de ces conversations qui sont une des surprises du livre, par ailleurs exact et intéressant, ils nous avouent ingénuement leur admiration pour la France et leur désir sincère de collaborer à sa mission civilisatrice.

Jamais, dans aucun livre on n'avait autant fait parler l'indigène, on ne lui avait prêté une logique et une méthode de discussion aussi voisines de celles de nos meilleures analystes. Il n'est pas rare de trouver dans ce roman, des phrases telles que celles-ci : « Ainsi raisonnait le marabout »... « Je n'aurais pas envisagé cette éventualité, dit Otmane » « Mohamed était trop intelligent pour ne pas se dire... »

...

Les femmes elles-mêmes nous dévoilent leurs passions, leurs désirs les plus secrets, nous révèlent en de longues pages leurs projets les plus compliqués. Teben, une jeune femme de haut lignage qui réfléchit à sa situation, s'écrie: Oui, je serai sultane puisque je puis l'être, au prix de ma beauté. « Exaltée par cette pensée »... etc., elle ne nous cache rien de ses projets.

Quelque soit notre désire de croire sincères ces confidences et ces admirations flatteuses pour notre civilisation, nous craignons qu'elles ne renferment une forte dose d'arbitraire et de factice.

La qualité de Seddik ben el Outa qui, nous dit-on, est une femme, lui a permis sans doute de pénétrer dans plus d'un gynècée: mais si elle a pu explorer le harem, a-t-elle eu la grâce de sonder les cœurs?

Souvent, au cours des évènements compliqués dont nous suivons les péripéties sans ennui, nous avons l'occasion de traverser la forêt de Teniet.

Chaque fois nous en admirons les fameux cèdres, « les arbres royaux, aux troncs énormes, qui, superbes, exubérants de vie, jaillissent d'entre les roches hardies, saillant en fauve sur le ciel bleu !... Ces descriptions parent d'une beauté sauvage les chapitres du livre qui se termine sur un hymne chanté par un arabe authentique, par le caïd El Djebari lui même, en l'honneur de la France et de sa mission civilisatrice!

Si vraiment l'indigène « les yeux fixés sur la clarté nouvelle, sur l'ère

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de paix proclamée par la France, appelle le progrès, comprend enfin nous dirions déjà - la nécessité d'une transformation complète » dans ses mœurs et dans ses aspirations, ce livre émaillé de crimes, de fourberie et de ténébreux desseins, est en définitive très réconfortant, et nous devons louer l'auteur d'avoir si bien pénétré la mentalité de l'arabe, de nous avoir montré et prouvé que cet idéal est après tout, pareil à celui de son maître français.

Voici donc deux livres : France nouvelle et Fils de grande tente dont les conclusions se ressemblent fort peu.

Le premier, qui se termine sur une révolte d'indigènes, sur un soulèvement fanatique, laisse aux événements le soin de proposer la conclusion qu'ils comportent et qui n'est pas rassurante.

Le second, plus tendancieux en son optimisme déclaré, n'hésite pas à anticiper sur les événements pour nous proposer comme réalité déjà tangible un ordre de faits et de tendances dont l'avenir seul pourra contrôler la véracité.

Mais l'Algérie est un immense pays. La civilisation kabyle diffère en plus d'un point essentiel de la civilisation arabe. Les mœurs des montagnards sédentaires ne sont pas les même avec celles des nomades de la plaine.

En tenant compte encore du tempérament de l'auteur, ces diverses raisons suffisent à expliquer comment des œuvres également sincères et vivantes peuvent aboutir à des conclusions opposées.

L'Eau souterraine, des frères Margueritte, est un livre moins ambitieux. Plein de charme et de mélancolie, s'il confronte lui aussi les deux races, ce n'est ni pour aborder les problèmes sociaux, ni pour prophétiser l'avenir.

L'anecdote qu'il nous conte est grande par son côté humain et de tous les temps par sa vérité physiologique.

L'Eau souterraine est un titre symbolique :

L'hérédité nous domine. Nous sommes ce que nos ancêtres nous ont fait. Dans nos veines coule un sang mystérieux qui n'est pas seulement le nôtre, mais celui aussi des innombrables générations qui nous ont précédé.

La fille d'un agha, une fille de race noble, élevée à la française, pourra parler notre langue, jouer au crocket, offrir des « garden party », épouser le séduisant Georges Allier, officier de cavalerie, se convertir au christianisme dans un couvent de Paris pour plaire à sa belle famille qui

l'adore, connaître tous les triomphes et les adulations que la vie mondaine accorde si facilement à la beauté des femmes et à leur grâce, si la malheureuse vient un jour à perdre mari, enfant, belle-famille et jeunesse, où se réfugiera-t-elle pour abriter son désespoir et recueillir des consolations, si ce n'est au berceau de sa famille et dans les souvenirs lointains et vivaces de sa première enfance?

Tout cela est, hélas ! d'une logique implacable et d'une vérité absolue. Aicha, la fille de l'agha Si Salem, qui fut bercée sous les palmiers de Laghouat, connaîtra tour à tour l'enivrement de ces joies un peu factices et l'amertume de ces épreuves trop réelles. Triste, curieux, fort rare exemple de « déracinée », elle sera poussée dans une voie qui n'était pas la sienne par son père lui-même.

- il est en cela pareil aux

: C'est le goût du pouvoir et des décorations héros de M. Duchêne et de Seddik ben El Outa qui lui permet d'autoriser sa fille à accomplir des actes aussi gros de scandales au point de yue indigène que l'apostasie et le mariage français.

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- Les frères Margueritte connaissent admirablement cette Algérie dont plus d'un endroit rappelle le nom de leur père. Nous avons eu l'occasion de mentionner à propos du livre de M. Duchêne, l'insurrection de Margueritte, village qui tient son nom du général. Sur le plateau du Sersou nous avons connu un autre endroit, ombragé par des trembles magnifiques et des saules-pleureurs, que les indigènes appelaient indifféremment Aïn el Aneub (la source de la vigne) ou le jardin Margueritte. Toutes les pages consacrées à l'idylle de Georges et d'Aicha dans l'oasis de Laghouat sont empreintes d'un charme exquis et évocateur.

Un matin, dans les allées terreuses des jardins lourds de senteurs immobiles, elle a donné sa parole à Georges.

« A la violence de son émotion, elle avait pu mesurer alors l'étendue de son amour. Elle s'était rebellée d'abord, par orgueil, mais sa rancune était vite tombée, si vite qu'au bout de quelques jours l'indomptable savourait l'enchantement d'ètre domptée. »

Du reste maintenant, nul regret. Mektoub! le sort en était jeté ! Mektoub! c'est encore le mot qu'elle dira vingt ans plus tard quand elle reviendra seule et désemparée à Laghouat.

« Une fatalité supérieure pèse sur tous les êtres humains. Hier elle avait un mari, des parents, des amis; elle était belle, jeune, riche. Aujourd'hui, la voilà seule, vieillie, pauvre. »

Je ne sais si nous pourrons jamais nous apitoyer sur le sort d'Aïcha autant qu'il conviendrait. Un tel concours de circonstances néfastes contribue à sa misère actuelle, la mort vient si à propos la réduire à l'isolement que l'intervention précise et renouvelée de ces causes extéricures nous émeut moins peut-être que si l'infortune de l'héroïne avait été duc à n'importe quelle cause pourvu que sa personnalité ait à inter

venir. Mais Aïcha n'est pour rien dans ses malheurs. Parvenue au sommet de la tour dorée où la vie l'a d'abord conduite elle voit maiutenant la mort en saper progressivement la base. Et l'on ne peut rien, n'est-ce pas, contre les atteintes de cette terrible travailleuse.

Quoiqu'il en soit, voici Aicha finalement réduite à vivre à Laghouat auprès de son très vieux père.

<< Elle était devenue énorme... Elle avait repris son costume national et les indigènes lui savaient gré de son retour aux mœurs héréditaires... Elle repensait maintenant dans sa langue originelle. Elle était forcée de chercher ses mots lorsqu'elle avait à prononcer une phrase française »..... Ame invisible; eau souterraine qui longtemps court sous les sables pour réapparaître parfois à la lumière du jour.

La dernière page de ce livre charmant se termine par une explication du symbole.

Les frères Margueritte, qui ont publié des ouvrages de l'ampleur du Désastre, des Tronçons du Glaive et de La Commune, pourraient aisément retrouver en Algérie, s'ils le voulaient, autant de souvenirs et de documents légués par leur père, qu'ils en ont recueilli autour de Sedan sur cette guerre de 1870 où le général trouva une mort glorieuse.

Les faits d'armes, les épisodes dramatiques ne manquent pas dans l'histoire de la conquête algérienne.

Après un classement méthodique et choisi, ces matériaux accumulés dans les mémoires du temps, mériteraient de revivre dans quelque œuvre de grande envergure pareille à Une Époque.

Et le puissant ouvrier qui s'absorberait dans cette noble tâche donnerait enfin à la jeune colonie l'épopée qu'elle attend encore.

Les frères Margueritte songeront peut-être un jour qu'ils sont désignés pour l'entreprendre.

M. Louis Bertrand, auteur fécond et dont on attend beaucoup, nous a jusqu'à maintenant donné trois romans sur l'Algérie.

Du Sang des Races et de La Cina nous n'en pourrions rien dire qui n'ait déjà été dit.

Le dernier en date est Pepete le Bien-Aimé.

Pepete le Bien-Aimé! Titre bizarre et qui flaire un peu l'abjection dans l'amour.

Sans doute, M. Bertrand ne l'a pas choisi sans préméditation, car, au cours du roman, il nous révèle en effet un milieu où ne fleurit pas plus la vertu que la beauté,

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Nous explorons avec lui les bas quartiers d'Alger, et à notre stupéfaction nous n'y voyons grouiller qu'un ramassis de monstres, de larves, d'êtres extraordinaires sans l'ombre de conscience, et dont les mobiles d'action primordiaux se réduisent à la sensualité et au lucre.

Comme au 3 Chant de l'Enfer, on pourrait écrire en tête de ce roman désolant et féroce, les paroles de Dante; Laissez toute espérance, ô vous qui entrez !

Pepete, c'est Cagayous, c'est l'enfant du trottoir, le joli cœur des bals de barrière, le gars solide aux reins en ébullition que toutes les femmes adorent, depuis la laveuse de vaisselle et la fille de lupanar, jusqu'à la bouchère aux chaines d'or, la riche et grosse Vicente.

Il nous est difficile d'insister davantage.

Ce que nous venons d'en dire suffit pour indiquer les tendances du livre qui, soutenu par un talent indéniable, nous plonge à chaque page dans des abîmes de grossièreté, de dévergondage et de désespoir.

Nous ne voulons croire ni au parti pris, ni au procédé. Nous ne voulons pas non plus nous laisser aller au sourire quand bien même la pensée nous préoccuperait parfois que l'auteur cherche peut-être à se jouer de notre sensibilité.

Nous n'oublions pas la tyrannie des formules.

L'art pour l'art en est une qui fut affirmée par un maître trop fameux pour que nous la discutions. Cependant, nous serions presque tenté d'affirmer que M. Bertrand n'a pas le droit de galvauder son grand talent dans l'exploration de tels milieux, si l'horreur qu'il en ressent l'empêche d'y découvrir, quelque faible qu'en soit le nombre, des êtres de bonté, de mansuétude ou simplement d'indifférence. Il y a trop d'uniformité dans la peinture exclusive du vice, pour qu'il ne s'en dégage pas rapidement beaucoup de monotonie.

Aux premières pages du roman, on voit bien, à la vérité, qu'Angèle, la petite giletière, aime Pepete. Et c'est à elle que vers la fin celui-ci retournera pour l'épouser. Mais l'ingénue, en dépit de la candeur qui la garde des souillures, ne passe à travers les épisodes de ce sombre roman que comme une silhouette à peine indiquée.

Les amies Marthe et Remedio sont physiquement repoussantes.

Le goût de l'outrance est tentant, mais Zola, dans l'Assommoir, dans ses livres les plus exagérés, n'a point manqué de dresser de grandes figures, et la Gervaise, par exemple, est une de ces femmes dont la santé morale et la volonté nerveuse ne se démentent pas un instant.

Ici, Vicente, la bouchère âpre au gain et maîtresse femme, dès qu'elle tombe amoureuse de Pepete, ouvre à celui-ci les tiroirs de sa caisse, s'abandonne à toute la frénésie de sa passion, décide la mort de son mari et avec l'aide de sa servante juive experte en sorcellerie, elle fait boire au boucher le poison habilement doré qui conduira cette brute au tombeau.

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