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et sur Si Béchir Sfar, président de la djemaïa des Habous. Le premier, ancien élève de l'école des frères de Tunis, fut d'abord attaché de légation en Italie et en France, puis gouverneur de diverses provinces de la Régence, et en dernier lieu de Medhia. Il était depuis 1880 correspondant de l'Institut ethnographique. Il a laissé plusieurs ouvrages historiques, rédigés en langue arabe et restés manuscrits. Le plus important est la Biographie de Sidi Bel-Hussen, patron de la ville de Tunis. Lorsque la mort le surprit, il mettait la dernière main à une Histoire générale du Maroc. Quant à Si Béchir Sfar, qui a commencé ses études au collège Sadiki à Tunis et les a finies à Paris, son premier travail fut une étude écrite en français sur l'assistance publique dans la Régence; il fit paraître ensuite, en arabe, un cours d'histoire générale et un cours de géographie à l'usage des élèves de la Khaldounia, très intéressante société musulmane d'instruction dont nous aurons à parler plus tard avec quelques détails. Mais c'est surtout comme publiciste qu'il est apprécié, du moins en tant que littérateur, et les nombreux articles qu'il écrit pour le journal tunisien El-Hadira sont particulièrement goûtés, autant pour le fond méthodique et nourri que pour la forme impeccable.

On ne peut que féliciter la Renaissance Nord-Africaine, qui est avant tout un recueil luxueux et artistique s'adressant au grand public, de faire une part aussi large à l'orientalisme, et la liste des articles en préparation, montre que cette part ne doit pas diminuer, au contraire.

VICTOR SERRES,

Consul de France attaché à la Résidence Générale,

LA LÉGENDE DE BENT EL KHASS"

Les traditions des Arabes du Sahara algérien, issus de la grande famille des Beni Hilal, ont conservé le souvenir d'une femme appelée tantôt Bent el Khass, tantôt Embarka bent el Khass. Elle personnifie le bon sens naturel et la sagesse populaire, aussi lui a-t-on attribué un certain nombre de maximes applicables à la vie quotidienne: de là, sa réputation d'habileté a fait d'elle l'héroïne d'un stratagème ingénieux, grâce auquel un ennemi dupé se retire au moment où ses adversaires sont près de succomber; enfin, elle a été représentée comme ayant construit des ouvrages dont il ne reste que des ruines.

Son père, toujours suivant la légende, était cultivateur et très généreux. Elle avait pour cousine la fille d'un nomade, propriétaire de chameaux. Cette dernière dit un jour à Bent el Khass: Celui qui est riche possède des chameaux et non des cultures. La jeune fille rapporta ces paroles à son père qui lui dit : Réponds-lui « Le fumier rend fou; s'il vient, il t'emporte et emporte les chameaux. »

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(c'est-à-dire qu'une culture qui réussit permet de tout acheter). En effet, une bonne récolte survint et le père de Bent el Khass acheta tous les chameaux de son frère.

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Une autre fois, Bent el Khass se disputa encore avec sa cousine. Celleci lui dit: Mon père est un brave, chaque jour il tue dix hommes; qu'a tue ton père ? — Bent el Khass lui redit ces propos. Un jour qu'il était chez lui, cinquante cavaliers vinrent lui demander l'hospitalité. Il les fit entrer, les hébergea, les débarrassa de leurs fusils (sic) qu'il remit à sa

(1) Je tiens à remercier ici deux de mes anciens élèves, MM. Bel, directeur de la Médersa de Tlemcen, et Mohammed ben Cheneb, professeur à la Médersa d'Alger, qui m'ont fourni plusieurs des documents que j'ai utilisés dans cette étude.

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fille en luf disant : Va les montrer à ta cousine et dis-lui: Ton père a-t-it jamais rapporté un pareil trophée? A cette question, la cousine demeura muette et fut obligée de reconnaître la supériorité de son oncle. Dans les récits qui précèdent, la sagesse appartient au père de Bent el Khass; dans ceux qui suivent, c'est celle-ci qui se distingue par son esprit de répartie.

Son père lui demanda un jour: Les nuits sont-elles plus nombreuses que les jours ?

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Les jours sont plus nombreux que les nuits.

Et pourquoi ?

Parce que les nuits de lune sont (semblables à) des jours.

Une autre fois, elle dit à son père il y a trois choses qui jaunissent la face et trois choses qui la rougissent (1).

Quelles sont celles qui jaunissent la face?

Marcher pieds nus, avoir le dos chargé et une femme dépensière. Et quelles sont celles qui rougissent la face?

Connaître le lignage, connaître les filles illustres et se contenter de ce qu'on possède (2).

Un jour qu'elle était avec son père, elle lui dit : « La générosité se fait

Il répondit : La générosité est الجود من الوجود avec ce qu'on trouve ,Des cavaliers vinrent lui demander l'hospitalité .(الجود اعظم) supérieure

(1) Sur des proverbes analogues où les choses vont trois par trois, cf. Mohammed ben Cheneb, Proverbes arabes de l'Algérie et du Maghreb, t. I, Paris, 1905, in-8', proverbes 538-544, p. 167-169.

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Comme il était pauvre. il se cacha. Sa fille lui dit: Va trouver tes hôtes et ne crains rien. Il sortit au devant d'eux, les introduisit chez lui et les fit asseoir. Pendant ce temps, Bent el Khass allait tirer des bâts des chameaux les épis de blé avec lesquels ils étaient rembourrés. Elle s'en servit pour préparer du couscous pour ses invités. Quand ils eurent fini de manger, elle dit à son père : La générosité n'est pas supérieure ← ↳). Il comprit l'allusion ef répondit: La générosité se fait avec

اعظم)

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ce que l'on trouve.

En se promenant avec son père, elle lui dit en passant près d'un champ de blé :

Une belle culture! Que son propriétaire ne la défend-il !

Son père lui demanda : Pourquoi cette culture est-elle prête ?

Que ne la défend-il de la dette (1) ?

On cite encore d'elle ce dicton sur l'agriculture:

Tous les fruits précoces sont bons.

Sauf le blé et l'orge je ne sais (2).

Vint le moment de la marier. Un jour de printemps, elle alla se promener avec son père dans les cultures. L'orge verte avait une coudée de long; il avait plu pendant la nuit. Elle dit à son père: La terre a passé la nuit ). là

Il comprit que sa fille, jusque la .لار بايتة مع محلها) avec son étalon

hostile au mariage, s'était décidée à accepter un mari.

La tradition ne nous a rien conservé sur ce mari, pas même son nom; mais elle nous apprend que Bent el Khass eut un fils à qui elle ne ménagea pas les sages màximes qui l'ont rendue célèbre.

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Quand il se préparait à monter à cheval pour aller à la chasse ou en expédition, elle lui disait: Mon fils, déjeûne le matin. Si on ne t'invite pas (en route), tu ne défailliras pas, et si on te repousse, on ne t'atteindra pas (3).

فالت مزينة فلاحة لا منعها مولاها فال ابوه علاش هذه الملاحة راهي (1)

واجدة قالت له كلا منعها من الدين

كل شي من البكري مليح

(2)

(3)

غير القمح والزرعة لا ادرى

ابطر يا وليدى مع الصباح كلا عرضرك ما تسخيف ولا طردوك ما يفبنوك

Un jour, il lui demanda de l'argent pour acheter des chevaux. Elle lui

dit :

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Quelle sorte de chevaux achèteras-tu ?

J'achèterai un cheval répandu, dont la croupe soit rembourrée sous les tapis de la selle, dont l'œil ne voie pas et l'oreille n'entende pas, qu'une musette nourrit et qu'un sac couvre.

Elle lui répondit: Il est impossible qu'on en introduise un pareil au marché les juments des pauvres n'en portent pas et le riche n'en vend pas (1).

Elle fit la même réponse à son fils qui lui demandait de l'argent pour acheter des bœufs.

Lesquels veux-tu acheter? lui demanda-t-elle.

Rouge-prune, ou noir foncé, ou gris avec les lèvres blanches.

Elle lui répondit : « On n'en amène pas de tels au marché : la vache des pauvres n'en produit pas de pareils et le riche ne les vend pas » (2).

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Dans les Gnômes de Sidi Abd er Rahman el Medjedoub (sic) (Paris 1886, in-12, p. 83) M. de Castries cite un dicton de Bent el Khass sur les chevaux, mais il est différent:

O vendeur de blé, qu'achèteras-tu ? J'achèterai des chevaux. Achètes-en, mais en petit nombre; sur leur dos, on va vite, mais leurs ventres sont ruineux.

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