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est d'autres dont l'auteur s'est confiné dans l'examen de matières, soit d'ordre sociologique, soit d'ordre juridique, soit d'ordre économique. Aussi dans chacune des catégories qui viennent d'être indiquées, les publicationssignalées seront-elles classées suivant leur objet et d'après le plus ou moins de généralité de cet objet.

I

M. Houdas a publié sur «l'Islamisme» (1) un volume qu'il qualifie modestement d'opuscule, et dont le but est « fournir à tous ceux qui n'ont pas le loisir de s'adonner à de longues études, le moyen de se faire une opinion suffisamment exacte de l'esprit de la religion musulmane afin d'en déduire des conclusions pratiques ». L'auteur constate que la plupart des difficultés que nous avons rencontrées pour asseoir définitivement notre domination en Algérie proviennent de l'ignorance dans laquelle nous étions, il y a trois quarts de siècle, des moyens d'agir pacifiquement sur l'esprit de nos sujets musulmans. Il constate que l'expérience, ainsi chèrement acquise, a été mise à profit en Tunisie; et il voudrait qu'au Maroc, où l'influence française ne va plus tarder à se faire sentir, l'on procédât avec la même prudence, et que là, comme en Tunisie, l'on prit soin de ne pas froisser de front le sentiment religieux des populations. Et c'est dans le but de faciliter la tâche de nos agents d'exécution dans les contrées du nord de l'Afrique, que M. Houdas a entrepris de rédiger à l'usage de ces agents une sorte de vade mecum. Il ne faut donc par chercher, dans cet ouvrage, un exposé détaillé des doctrines religieuses de l'Islam. Mais, quoique l'auteur s'en défende, on y trouve un exposé complet de ces doctrines, car rien de ce qu'il peut y avoir, en celles-ci, d'essentiel et de caractéristique, n'a été laissé dans l'ombre.

Étant donné l'objet tout spécial de ce compte-rendu bibliographique, nous ne retiendrons, des divers chapitres de « l'Islamisme », que ceux qui ont trait à l'organisation de la société musulmane, à la formation du droit islamique. Nous signalerons, notamment, les chapitres XII, XIII et XIV, consacrés à la Famille musulmane, la Femme musulmane, la Société musulmane. Nous attirerons, tout particulièrement, l'attention sur le chapitre XI, qui traite des Quatre rites orthodoxes. M. Houdas y relate, en quelques phrases sobres mais suffisamment précises, les circonstances dans lesquelles ces divers rites ont pris naissance et y indique pour quelles raisons, dans leurs rapports respectifs, les adeptes de ces divers. rites se tiennent pour orthodoxes. Peut-être pourrait-on reprocher à l'auteur de n'avoir pas montré, d'une façon suffisamment nette, comment et pour quelles causes s'est opérée la sécularisation de la communauté musulmane, la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, comment et pour quelles raisons le gouvernement spirituel de l'Empire resta, en fait, aux mains des oulama. L'on serait également en droit de critiquer cette affirmation que le magistrat unique, le cadi, ne juge qu'au civil, a la juridiction criminelle étant restée l'apanage du souverain,

(1) Houdas, L'Islamisme, 1 vol., Dujarric et Cie, 1904, 228 p.

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parce que, théoriquement, il est le successeur du Prophète ». Il semble bien, en effet, résulter des textes que, s'agissant des infractions prévues et punies par la loi religieuse tout au moins, le cadi est juge au criminel, comme au civil, toutes les fois que ses pouvoirs, à ce point de vue, n'ont pas été restreints par sa délégation. Mais, sous le bénéfice de ces légères réserves, nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître que M. Houdas a eu le mérite de jeter, en quelques pages, beaucoup de clarté sur cette question, si obscure encore, des origines et de la formation du droit musulman.

La matière du développement ultérieur et de l'évolution de ce droit ne nous est pas, d'ailleurs, en France tout au moins, beaucoup plus connue. Nous possèdons les noms d'un certain nombre de jurisconsultes musulmans; nous connaissons les œuvres de quelques-uns d'entre eux, et notre science ne va guère au-delà. Nous disposons de renseignements bibliographiques épars, mais nous n'avons pas de bibliographie raisonnée du droit musulman, d'ouvrage où se trouvent reliées les unes aux autres les indications bibliographiques déjà mises à jour, et qui nous permette de suivre l'enchaînement, l'évolution des idées dans le domaine du droit. Cette lacune vient d'être, en partie comblée par la publication, par M. Fagnan, à l'occasion du jubilé du professeur D. Francisco Codera, d'une brochure intitulée Les « Tabakat Malékites »(1). Les Tabakat sont des recueils où l'on trouve réunies les biographies de savants qui se sont distingués dans quelque science, littérateurs, grammairiens, jurisconsultes, etc.. ». C'est généralement l'ordre alphabétique qui détermine le classement de ces biographies, sous cette réserve que la préséance est assez souvent donnée à ceux qui portent les noms révérés d'Ahmed et de Mohammed. Et ces Tabakât, dont nous entretient M. Fagnan, sont les recueils biographiques consacrés, spécialement, aux juristes ou « Fakih » de l'École malékite. Le plus ancien de ces recueils daterait du premier tiers du sixième siècle de l'Hégire. Le plus récent serait l'œuvre d'Ahmed Baba qui vécut de 963 à 1032 de l'ère musulman. M. Fagnan ne se borne pas, d'ailleurs, à ces quelques indications; il a pris soin de signaler les biographies de juristes malékites qui ont été confectionnées pendant ce laps de temps, qui va du VIe siècle au XI' siècle de l'Hégire, et de fournir, également, pour les temps plus reculés comme pour l'époque postérieure, des renseignements bibliographiques très circonstanciés. Il vient d'ouvrir une voie nouvelle dans laquelle il serait désirable qu'il persévérât et que d'autres vinssent s'engager à sa suite. Peutètre y a-t-il là le point de départ d'études qui aboutiront à l'élaboration d'une histoire générale de ce droit musulman malékite, auquel obéissent la très grande majorité des musulmans de l'Afrique Mineure.

Le développement de la colonisation française dans l'Afrique du Nord a déterminé la publication, dans ces dernières années, d'un assez grand

(1) Fagnan, Les Tabakat Malėkites, Estudios de erudicion oriental, 1 broch., 10 p.

nombre d'ouvrages, monographies, brochures, ou articles de revues et de journaux. C'est ainsi que M. Arthur Girault a consacré, à l'étude de ce développement, la majeure partie du tome 11 de la 2 édition de ses « Frincipes de Colonisation et de Législation coloniale » (1).

Lorsqu'en 1895, parut la première édition de cet ouvrage, l'enseignement de la législation coloniale n'existait que depuis peu de temps dans les Facultés de droit. Introduit, en effet, dans le programme de la licence en droit par le décret du 24 juillet 1889, il n'a été effectivement donné qu'à compter de l'année scolaire 1891-92. M. Girault a donc accompli ce tour de force de créer, de toutes pièces, en un laps de temps très court, un cnseignement entièrement nouveau, et de s'en rendre maître au point qu'il a pu, après trois années d'études seulement, communiquer au public le résultat de ses efforts et publier un livre jugé, dès le début, tout-àfait remarquable et dont le succès n'a fait que s'affirmer par la suite. Une seconde édition aurait pu être mise en vente beaucoup plus tôt, si le consciencieux auteur n'avait tenu à remanier complètement la première, et surtout à l'augmenter considérablement. C'est ainsi que deux nouveaux volumes se sont substitués à l'ancien, et que cette seconde édition contient une III' partie toute nouvelle consacrée à l'Algérie, à la Tunisie et au Maroc. Cette partie est à notre grand regret, d'ailleurs, la seule dont il nous soit permis d'entretenir les lecteurs de cette Revue.

Or, à des esprits superficiels il pourrait sembler, qu'en traitant de l'Afrique mineure dans une partie spéciale de son livre, M. Girault a commis une faute grave de composition. Pourquoi, pourrait-on dire, n'avoir pas fait purement et simplement, à l'Algérie et à la Tunisie, par exemple, comme aux autres colonies françaises, l'application des principes généraux de colonisation? — Mais, l'auteur a répondu, par avance, à cette critique, en des termes que pourront méditer avec fruit ceux qui, à l'heure actuelle, réclament le rattachement, au ministère des Colonies, de l'Algérie et de fa Tunisie. Il a pris soin de faire observer qne « l'Afrique mineure appartient beaucoup plus au monde méditerranéen qu'au monde africain » tant par sa géographie que par son histoire. Aussi l'évolution de notre politique algérienne et tunisienne n'a-t-elle rien de commun avec celle de notre politique coloniale. « Sans doute, au point de vue purement scientifique, il est exact de parler de la colonisation de l'Algérie et de la Tunisie, puisqu'il y a, dans ces pays, une action civilisatrice à exercer sur la terre et sur les habitunts. Il y a encore ici à appliquer les principes généraux de la colonisation, mais le problème colonial se pose, en Berbérie, dans des conditions si particulières que, au point de vue pratique, méconnaître cette distinction traditionnelle, ce ne serait pas simplifier mais confondre ».

Il faut donc à l'Algérie et à la Tunisie une législation particulière, distincte de la législation coloniale. Et, c'est cette législation spéciale que M. Girault a entrepris d'étudier. Il en a donné un exposé très complet, et, en même temps, très net et très précis, ce dont, étant donné l'extrême complication de cette législation, on ne sau

(1) Arthur Girault, Principes de Colonisation et de Législation coloniale, 2 vol., L. Larose, 1904; 789 et 775 p.

rait trop le louer. Mais l'auteur ne s'en est point tenu à un exposé, sec et aride de la législation existante. Après avoir, en effet, retracé rapidement l'histoire de l'Afrique mineure avant 1830, et celle de notre établissement en Algérie, puis en Tunisie il a relaté les principales difficultés que doit résoudre cette législation, il en a indiqué les dispositions essentielles, et il en a présenté la critique avec une modération, une impartialité et une sûreté de jugement tout-à-fait remarquables. Nous signalerons, particulièrement, à l'attention du lecteur le passage de son ouvrage où M. Girault traite le problème algérien et l'étudie sous ses deux faces, la question indigène et la question européenne, - ainsi que le chapitre consacré au régime commercial de l'Algérie et de la Tunisie, et celui concernant les travaux publics en ces deux pays. On y trouve formulécs, en termes très nets quoique modérés, quelques idées, quelques vérités bonnes à méditer par tous ceux qui, vivant en Algérie ou en Tunisie, ne peuvent guère, pour juger, se soustraire à l'influence des passions du milieu. Peut-être, même, l'auteur aurait-il pu insister davantage (et il s'agit, ici, bien moins d'une critique, que d'un vœu formulé en vue d'une nouvelle édition), sur les conflits d'intérêts qui naissent, entre l'Algérie et la Tunisie, de ce fait, qu'au point de vue politique comme au point de vue économique, ces deux pays sont soumis à des régimes différents, et dont le nombre et la gravité sont destinés à s'accroître, à mesure qu'augmentera leur production agricole ou industrielle.

Un dernier chapitre est consacré au Maroc. Étant donné l'état actuel des choses, il ne pouvait guère y être traité que de la situation internationale de cet état. Dans ce chapitre, écrit au lendemain du jour où fut signée la déclaration franco-anglaise du 8 avril 1904, M. Girault montre que notre établissement au Maroc ne saurait plus soulever d'opposition de la part de l'Europe; il se demande, alors, comment pourra s'y établir l'influence française, et il s'y livre à une étude très intéressante de la controverse qui s'est élevée, en France et en Algérie, pendant les années 1902 et 1903, entre les partisans de la « manière douce » et ceux de la « manière forte ».

Notons, enfin, que l'auteur a pris soin de nous fournir, concernant les divers pays de l'Afrique mineure, une bibliographie très complète et très bien ordonnée.

Tel est, cet ouvrage dont, si l'espace ne nous était mesuré, nous aurions aimé à parler plus longuement.

II

a) ALGERIE. Les publications concernant le droit public algérien, parues pendant l'année 1904, sont fort peu nombreuses. Et, cependant, depuis 1828, l'organisation administrative de l'Algérie a été notablement modifiée. Les réformes réalisées, à cette époque, ont été bruyamment approuvées par certains, vivement critiquées par d'autres qui les trouvaient, soit prématurées, soit insuffisantes; elles ont été discutées avec passion; mais peu de personnes se sont préoccupées d'en faire une étude approfondie et impartiale. Il n'y a rien là, d'ailleurs, qui doive surprendre. Les trans

formations qui viennent d'être opérées sont encore trop récentes pour que l'on puisse porter, sur leurs résultats, un jugement éclairé et définitif, et pour qu'il soit possible de présager l'avenir avec quelque certitude; et la crainte de voir les faits donner, à brève échéance, un démenti aux conjectures, les plus raisonnables en apparence, est de nature à rendre silencieux ceux qui se défient par trop d'eux-mêmes, ou qui, par suite d'un amour-propre excessif, n'aiment point mettre le public à même de constater que leur sagacité s'est trouvée en défaut.

Cette crainte, M. R. Peringuey ne l'a pas eue. Brillant élève de l'École de droit d'Alger, il vient d'obtenir à la Faculté de Paris, le titre de Docteur en droit, après y avoir soutenu une thèse sur « l'Autonomie financière de l'Algérie » (1), et il a traité son sujet avec la hardiesse, la décision et la confiance en l'avenir qui sont et qui doivent être les qualités de la jeunesse.

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Après avoir rappelé que les conceptions concernant les rapports de la Métropole et de ses colonies, peuvent se ramener à trois principales: assu jettissement, assimilation, autonomic, M. Péringuey a montré comment les deux premières avaient été appliquées successivement en Algérie; puis, il s'est attaché à mettre en lumière le développement de l'esprit autonomiste, tant en Algérie qu'en France, à la suite des déceptions causées par l'assimilation trop souvent poussée à ses extrêmes limites, et à expliquer comment le Parlement français a été amené, presque sans discussion, à doter l'Algérie de la personnalité civile et de l'autonomie financière. La concession de cette autonomie, l'auteur n'a, pour ainsi dire, pas songé à la justifier, et cependant le principe en a été et en est encore très vivement contesté. M. Péringuey a, peut-être, en la circonstance, fait preuve d'une réserve, d'une discrétion excessive; mais c'est là un grief que nous ne retiendrons pas. C'est, qu'en effet, nous n'avons pas le goût des discussions stériles, et nous pensons qu'il est des réformes mal conçues ou hâtives auxquelles il faut se résigner, parce qu'il est des concessions sur lesquelles on ne revient pas. D'excellents esprits, par exemple, contestent, non sans apparence de raison, les mérites du suffrage universel, et cependant, aucun d'eux ne réclame le rétablissement du suffrage restreint. Le plus sage, en pareille occurence, est d'accepter, en principe, les réformes réalisées, et de rechercher, simplement, sur quels points et de quelle manière le nouvel état de choses pourrait être amélioré.

Quoi qu'il en soit, après avoir relaté, sous forme d'introduction, les circonstances de fait qui ont assuré, en Algérie, le triomphe de l'autonomie financière, M. Péringuey étudie dans une première partie les éléments de cette autonomie, tels qu'ils ont été constitués par la loi du 19 décembre 1900, ainsi que son fonctionnement. Il traite, dans une deuxième, des manifestations de cette autonomie, c'est-à-dire des résultats du régime de liberté nouvellement établi. Il consacre, enfin, une troisième et dernière partie à l'examen des modifications apportées à la loi du 19 décembre 1900, ainsi qu'à l'indication des projets de réformes. Fort sagement,

(1) R. Peringuey, l'Autonomie financière de l'Algérie, Paris, Jouve, 1904, 220 p.

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