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et servant à tenir suspendue la poulie sur laquelle roule la corde (1) du

seau.

Ce « renversement du puits » forme l'introduction d'une série d'hostilités; c'est le recommencement d'une petite guerre civile à l'arabe. De part et d'autre on évite le combat ouvert; on fait de son mieux pour surprendre l'ennemi dans la nuit, lui enlever son bétail, endommager ses propriétés immeubles. Seulement, lorsque les attaqués sont sur leurs gardes, il s'ensuit quelquefois un échange de coups de fusil et quelques gabilis ou esclaves sont tués.

La guerre dure jusqu'à ce que l'intervention d'un sayyid vénéré ou d'un gabili estimé pour son expérience réussisse à faire accepter par les deux partis ses propositions de paix (2). Pour obtenir ce résultat, le médiateur doit attendre le moment où un des partis ou tous les deux sont las de se battre, mais ont honte de faire le premier pas vers la réconciliation.

Entre gabilis, la rifgèh du puits est la plus commune; mais il y a encore celle du serviteur embauché, auquel il est défendu de travailler par celui qui prétend avoir contracté avec lui le premier, la rifgèh de la bâtisse (mibna), c'est-à-dire la défense de continuer le travail aux maçons qui sont occupés à construire un château pour un gabili (3), etc.

Toutes ces sortes de rifgèh sont aussi appliquées par les gabilis aux masakin, mais il y a alors cette grande différence que le but de l'interdit est ordinairement quelque extorsion, à laquelle le bourgeois ne se soumet pas de bon gré, tandis qu'entre gabilis, il s'agit de questions de droit. De plus les bourgeois, auxquels il est défendu de porter des armes et qui n'ont rien qui ressemble à l'organisation des tribus, sont dépourvus de tout moyen de résistance.

Pour punir un bourgeois ou pour obtenir de lui ce qu'il demande, le

trouvent du côté du magoûd (rampe que le sânî, puiseur, descend et monte durant la journée avec ses bêtes tirant les cordes des seaux) sont fixées deux traverses (ousȧdèh et madh'ag), qui tiennent entre eux 2-4 poulies ('ayleh, pl. 'oyal) dont chacune dessert un seau (gharb, pl. gharib).

(1) Sèrèh ou sirèh, pl. serîn ou serât.

(2) Le verbe désignant l'acte du médiateur qui réconcilie les partis est sadd (5), yesoudd bênhom; h'açal bênhom sadad la réconciliation s'est faite entre eux.

Les réconciliateurs sont moçleh'in ou sèddâdèh.

(3) X rafugya la (es) Y, rafing el-mibna hang Y, rafag at Bà Sadi

X a posé sous la rifgèh les ouvriers maçons de Y, la bâtisse de Y, les Bâ Sadi (famille ou caste des maçons en H'adhramòt),

gabili prononce la rifgèh sur son makhzén (1) (boutique) lorsqu'il s'agit d'un marchand, et alors celui-ci n'ose ni ouvrir son magasin ni conclure quelque contrat de vente avant que l'interdit soit levé; pour un ouvrier, la rifgèh signifie l'interdiction de l'exercice de son métier, etc.

Les sayyids et les bourgeois sont d'accord à condamner la rifgèh. comme une coutume des plus impies. Les gabilis quelque peu raisonnables considèrent comme licite la rifgèh d'un bourgeois qui refuse ouvertement tout crédit à un des leurs, d'un ouvrier qui tarde à achever quelque travail commandé par un gabili, tandis qu'il donne ses meilleurs soins aux commandes de bourgeois, etc. ; ils blâment ceux qui exploitent des injures imaginaires comme prétextes pour exiger des amendes. Ce qui n'empêche pas que ces derniers cas soient les plus fréquents. Toutefois ces pillards aiment à sauver les apparences; leurs demandes se font en cachette et ils font semblant de n'avoir d'autre but que la punition de quelque marque de considération.

Les rifgèhs sont annoncées aux mèrfoùgin soit par le râfig lui-même, soit par un envoyé de sa part. Le dellâl (2) (courtier) est l'organe officiel de ces annonces. Son ministère est de rigueur lorsqu'il s'agit d'une rifgèh générale, dont on frappe une ville entière.

(1) Le mot doukkân, pl. dakȧkin, qui se trouve dans des ouvrages sur la langue de H'adhramôt, n'est connu aux H'adhårim que par leurs rapports avec Aden et le H'idjȧz. Généralement, les makházin sont dans les maisons des marchands; ce n'est qu'à Sêwûn qu'il y a un marché avec des rangées de boutiques séparées. Moins connu encore que doukkan est le

mot samsam pour sésame (en H'adhramot yilyil, Jada,

comme je l'ai déjà dit en 1891 dans le Feestbundel aan Proof. De Goeje aangeboden, p. 20). Dans les poèmes on trouve beaucoup de mots entièrement inconnus chez le peuple.

(2) En H'adhramôt les dèllàls, à part leur fonction de courtiers, sont encore crieurs publics et porteurs des corps morts au cimetière. Ils ne sont pas nommés par le çoult'àn; mais, dans chaque ville, il y a une famille (caste), qui de temps immémorial exerce cette profession. Tous les membres de ces familles sont courtiers par droit de naissance. Chaque bourgeois choisit parmi eux le dellâl qui convient à son goût, tandis que la clientèle des Bédouins, qui vendent ou achètent en ville, est partagée entre les branches principales de la famille selon un droit coutumier. A Sewoùn (ville du çoult'àn) ce sont les deux familles Al Wakid et Al Hordhah; à Feris (id.) c'est celle de Al Bin ‘Abed Embêrik, à èl-Ghorfah (ville sans chef) les Bâ Dherês sont dèlèl. Pour les l'adhârim la présence d'une famille de courtiers fait d'un lieu une ville (beldd, pl. bolod) ce qui n'empêche pas que la caste des dèlèl est très méprisée. Les gabilis les désignent comme ‘abid es-soûg esclaves du marché.

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Une telle rifègh peut être prononcée aussi bien au nom d'un simple gabili que d'un chef de tribu. Le dèllâl monte sur quelque hauteur qui domine le marché et crie à haute voix: lawwèlèh çalloû ‘alèh wat-thániyèh çalloû alêh wèt-thâlithèh calloû ‘aléh la tesma'auû ella khêr. A bin B yegoûl el-belad mèrfoûgèh (meh'arrayèh). « Pour la première fois prononcez la bénédiction sur lui (le Prophète), pour la deuxième fois prononcez la bénédiction sur lui, pour la troisième fois prononcez sur lui (1). Puissiez-vous n'entendre que de bonnes paroles! A. bin B. vous fait dire la ville est sous l'interdit ! »、

Par cette communication, tout commerce, tous les métiers se voient forcés de chômer. Quelquefois cela s'étend même aux puiseurs (sâni, senah) qui remplissent les yarrabi (pl. de yabiyeh, ) de la mosquée, les réservoirs contenant l'eau pour les ablutions rituelles, ce qui revient à dire que le culte public est suspendu. Même lorsqu'on ne va pas si loin, les bourgeois n'osent guère quitter leurs maisons pendant la rifgèh, parce qu'il y a souvent des gabilis pillards, qui guettent l'occasion de dépouiller les promeneurs solitaires.

La rifgèh individuelle imposée par un gabilf à un bourgeois frappe d'ordinaire directement celui que le ràfig veut frapper, le bourgeois même qu'il veut punir ou duquel il veut extorquer de l'argent. Toutefois il arrive aussi que le gabili veut injurier un autre gabili, protecteur du mèrfûg.

Le rifgèh générale au contraire ne vise que rarement les bourgeois - qui pourtant sont pendant quelque jours comme retenus prisonniers dans leurs maisons mais elle est dirigée contre les nobles d'une autre tribu voisine, qui par l'interdit sont empêchés de se pourvoir au marché de viande, de sel et d'autres objets de nécessité quotidienne.

C'est envers ceux-ci une démonstration de sentiments hostiles par laquelle on veut leur montrer qu'on est toujours capable de leur nuire. Cependant à la longue la rifgèh nuit aussi aux membres de la tribu de celui qui l'a prononcée, et alors, sa colère un peu apaisée, il commence à réfléchir aux souffrances des innocents masakin, parmi lesquels il compte des amis. Pour ces raisons la rifgèh générale ne dure d'ordinaire que quelques jours. Elle est levée soit par le râfig lui même, soit par un autre membre de sa tribu; ceci non seulement pour satisfaire à l'amour de la médiation qui caractérise les Arabes dans toutes leurs affaires, mais aussi pour sauver au râfig la honte de retirer sa propre parole.

(1) L'appel à prononcer la bénédiction (çalàt) sur le Prophète, à laquelle chaque fidèle doit immédiatement répondre en disant: Allahomma çalli wasallim ‘alêh, est une formule des plus usitées pour commander le silence. Voir aussi mes Mekkanische Sprichwoerter (La Haye, 1886), p. 12.

Du reste toutes les autres formes de rifgèh peuvent aussi être annulées ou levées par un membre de la tribu du râfig; seulement il doit sans retard communiquer à ce dernier qu'il a levé son interdit. Généralement cet acte de grâce est accompli par le père, le frère aîné ou quelque autre parent plus âgé du gabili qui s'est laissé emporter par un sentiment excessif de colère ou d'avidité, à frapper quelqu'un de la rifgèh (1).

Batavia, janvier 1905.

C. SNOUCK HURGRONJE.

(1) La Société Historique laisse les collaborateurs de la Revue Africaine entièrement libres dans le choix de leur système de transcription des mots arabes. Toutefois, l'insuffisance des ressources typographiques d'Alger est cause que nous n'avons pu livrer à nos lecteurs le remarquable article de M. Snouck Hurgronje avec les transcriptions que ce savant avait adopté dans son manuscrit : c'est ainsi que nous avons été obligé de remplacer les lettres pointées par des lettres suivies de la prime. Pour les mêmes raisons nous avons dù transcrire le par ch et, ayant ainsi nécessairement adopté la valeur phonétique des lettres en français, nous avons dû remplacer les u par des ou. Le temps nous ayant manqué pour soumettre ces modifications à l'auteur, vu l'éloignement de sa résidence, nous prions nos lecteurs de vouloir bien n'imputer qu'à nous les erreurs qui, de ce chef, se seraient glissées dans les pages précédentes, malgré le soin que nous avons mis à les revoir. Nous croyons pouvoir ajouter que notre Société se mettra prochainement en mesure d'assurer aux savants qui lui font l'honneur de leur collaboration l'impression intégrale de leurs travaux avec toutes les transcriptions usitées dans la linguistique moderne.

LA RÉDACTION.

REVUE AFRICAINE DE DROIT, DE LEGISLATION

ET DE JURISPRUDENCE

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Notre intention n'est pas de donner, ici, la bibliographie absolument complète de toutes les publications d'ordre juridique non plus que l'indication, sans distinction aucune, de toutes les lois, de tous les décrets et arrêtés, ou de toutes les décisions de justice intéressant l'Afrique. Nous nous proposons simplement de signaler et d'analyser, pour les lecteurs de la Revue, les plus marquants parmi les ouvrages et les articles de revues et de journaux qui traitent, à titre principal ou accessoire, de questions d'ordre sociologique, juridique ou économique, publiés dans le nord-ouest africain (Algérie, Tunisie, Maroc) ou le concernant, de présenter un exposé critique des dispositions de lois, décrets ou arrêtés, les plus importantes et spéciales à l'Algérie et à la Tunisie, de relater, enfin, et de discuter les arrêts et jugements les plus intéressants, rendus en exécution de ces dispositions.

Cette étude embrasse la période de temps comprise entre le 1" janvier 1904 et le 1er janvier 1905.

BIBLIOGRAPHIE

Parmi les ouvrages et articles de revues ou de journaux qui traitent de questions d'ordre sociologique, juridique ou économique, et qui ont été publiés dans le nord-ouest africain ou qui le concernent, il en est de généraux, en ce sens que l'intérêt n'en est pas spécial à tel ou tel pays de ce nord-ouest africain. Tels sont ceux qui se réfèrent à l'Islam ou au .droit musulman en général. Ce sont ceux que nous signalerons tout d'abord. Nous relaterons, ensuite, ceux qui intéressent spécialement, ou plus particulièrement, l'un des pays de ce nord-ouest, Algérie, Tunisie, Maroc.

D'autre part, parmi les ouvrages rentrant dans l'une ou l'autre des deux catégories ainsi établies, il en est qui peuvent être considérés comme -généraux à raison de la nature du sujet qu'ils traitent, en ce sens que les questions qui y sont examinées ne sont pas uniquement, et exclusivement, d'ordre sociologique, ou juridique, ou économique, alors qu'il en

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