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qu'à ce qu'il eut fait disparaître du Maghreb toute trace de cette secte infidèle.

En l'an 454 (1059), douze mois après la mort d'Ibn-Yacîn, son successeur, Ibn-Addou, périt en combattant ce même peuple. L'année suivante, Abou-Bekr mit le siége devant la ville de Louata, et, l'ayant emportée d'assaut, il passa au fil de l'épée tous les Zenata qui s'y étaient enfermés.

Il n'avait pas encore terminé la conquête du Maghreb, quand il apprit que la division s'était mise entre les Lemtouna et les Messoufa, et cela, dans le Désert même, lieu de leur origine, région où ils avaient jeté leurs premières racines et dans laquelle ils s'étaient multipliés. Craignant que ces dissensions n'amenassent la rupture des liens qui tenaient ces tribus ensemble, il partit pour y porter remède. Cette démarche lui paraissait d'autant plus nécessaire qu'il désirait éviter la rencontre de Bologguin, fils de Mohammed-Ibn-Hammad et seigneur de la Calà, qui, en l'an 453, venait de se mettre en marche pour le Maghreb. Ayant donc confié à son cousin Youçof, fils de son oncle paternel Tachefin, le soin de gouverner ce pays pendant son absence, il lui fit épouser Zeinab avec laquelle il divorça exprès, et se rendit au milieu de son peuple pour réparer les brêches que la discorde у avait opérées. Voulant alors donner un libre cours à leur ardeur, il les mena contre les nations infidèles du Soudan, et porta ses armes victorieuses jusqu'à la distance de quatre-vingt-dix journées au-delà du pays des Almoravides.

Pendant ce temps, Youçof-Ibn-Tachefîn se tenait sur la frontière du Maghreb, et Bologguîn, ayant assiégé Fez et obtenu des otages pour en assurer la soumission, était rentré dans le Maghreb central. Youçof passa alors dans le Maghreb et en soumit une grande partie. Abou-Bekr y arriva quelque temps après et trouva son lieutenant peu disposé à reconnaître son autorité. Zeinab avait conseillé à Youçof de faire acte d'indépendance, sous les yeux mêmes de son ancien chef, et de lui offrir en cadeau, une quantité de ces objets et ustensiles dont on a le plus besoin dans le Désert. L'émir Abou-Bekr comprit la signification de ce don, et, pour éviter un conflit, il céda à Youçof-Ibn-Tachefin le

gouvernement du Maghreb. Rentré dans son pays, il mourut en 480 (1087-8).

Ce fut en 454 (1062) que Youçof-Ibn-Tachefîn fonda la ville de Maroc. Il commença par y établir son camp qu'il entoura d'une enceinte, puis il construisit une mosquée et une petite citadelle destinée à recevoir ses trésors et ses armes. En l'an 526 (1434-2), sous le règne de son fils, la ville fut achevée et fermée de murs. Youçof avait envisagé cet établissement comme une simple position militaire d'où ses troupes pouvaient harasser les tribus masmoudiennes des alentours, habitants des montagnes de Deren. Les Masmouda étaient alors le peuple le plus puissant et le plus nombreux du Maghreb.

Tournant ensuite ses armes contre les Maghraoua, les BeniIfren et les autres tribus zenatiennes, Youçof brisa leur puissance et délivra de leur oppression les populations sédentaires du Maghreb. Au sujet de leur tyrannie, les auteurs qui ont retracé l'histoire de Fez sous leur domination, racontent une foule de traits épouvantables. Dans l'accomplissement de cette entreprise, il commença par assiéger Fazaz, forteresse où se tenait MehdiIbn-Touala de la tribu d'Idjefech, « peuplade, dit l'auteur du Nadm - el - Djouher, qui faisait partie des Zenata.» Mehdi était devenu seigneur de cette place forte par suite de la mort de son père. Youçof serrait Fazaz de près, quand Mehdi-IbnYouçof-el-Gueznaï 2, seigneur de Miknaça (Mequinez), implora son secours contre Moannecer le maghraouien, souverain de Fez. Il se mit aussitôt en marche, dispersa les troupes de Moannecer, s'empara des forts qui entouraient la ville de Fez et pilla les maisons des alentours. Parvenu, au bout de quelques jours de siége, à en faire prisonnier le gouverneur, Bekkar-IbnIbrahîm, il l'envoya à la mort.

De Fez, il se porta sur Sofrouï où il tua tous les membres de la famille Ouanoudin qui s'y étaient enfermés; puis, en l'an 455

4 Ce litre signifie Perles enfilées. L'ouvrage ainsi nommé et qui traitait de l'histoire du Maghreb nous est inconnu.

Le texte arabe porte Gueznabi.

(1063), il entra à Fez, sans coup férir. De là, il marcha contre les Ghomara, enleva plusieurs de leurs villes et prit position sur la colline qui domine Tanger. Averti que cette forteresse était gardée par le chambellan Soggout-el-Berghouati, gouverneur de Ceuta, et par plusieurs autres officiers et partisans de la dynastie hammoudite [princes de Malaga], il revint à Fazaz pour en reprendre le siége. Moannecer profita de cette occasion pour surprendre la ville de Fez et tuer le gouverneur que Youçof y avait installé. Afin de recouvrer cette ville, Youçof invita MehdiIbn-Youçof, seigneur de Miknaça, à lui amener des renforts; mais ce chef n'avait pas encore effectué sa jonction avec l'armée almoravide, quand il eut une rencontre avec les troupes de Moannecer et perdit la bataille et la vie. Le vainqueur envoya la tête de son adversaire à Soggout-el-Berghouati, officier aussi hardi et aussi intrépide que lui-même.

Youçof-Ibn-Tachefîn vint alors au secours des Miknaciens en expédiant une armée lemtounienne contre Fez. Moannecer, voyant sa ville étroitement bloquée et vigoureusement attaquée, pendant que les habitants commençaient à sentir les atteintes de la disette, fit une sortie contre les assiégeants, bien résolu de vaincre ou de mourir. Dans cet effort suprême, la fortune le trahit et il resta sur le champ de bataille. Les Zenata, s'étant alors ralliés autour d'El-Cacem-Ibn-Mohammed-Ibn-Abd-er-Rahman, membre de la famille de Mouça-Ibn-Abi-'l-Afïa, princes de Tèza et de Teçoul, marchèrent contre les Almoravides et les battirent auprès de la rivière Safir.

Youçof - Ibn-Tachefin assiégeait encore le Calât - Mehdi, dans la province de Fazaz, quand il apprit la nouvelle de ce revers qui lui avait coûté beaucoup de monde. Ayant laissé un corps d'Almoravides sous les murs de cette forteresse pour en maintenir le blocus, il se mit à parcourir le territoire du Maghreb avec le reste de ses troupes. En l'an 456 (1064), il soumit [le

1 Ceci est le nom dont les copistes du Cartas ont fait Saghra et Sagra. Ci-après, dans le chapitre sur les Hammoudites du Rif, se trouve une notice de Soggout.

Le texte arabe dit : Pour (obtenir) l'une des deux délivrances.

pays des] Beni-Meracen, et, ensuite, [le château des] Fendelaoua; puis, en 458, il subjugua les contrées arrosées par le Ouergha. En 460, il se rendit maître du pays des Ghomara et, deux années plus tard (1069), il mit encore le siége devant Fez et l'emporta d'assaut. Plus de trois mille Maghraouiens, Ifrénides, Miknaciens et Zenatiens y trouvèrent la mort, et, à défaut de local assez vaste pour enterrer chaque cadavre séparément, on les entassa tous dans des fosses énormes creusées exprès. Ceux qui échappèrent au massacre se réfugièrent dans Tlemcen. Le vainqueur fit alors abattre le mur qui séparait le quartier des Cairouanides de celui des Andalousiens, et ayant ainsi formé de Fez une seule ville, il l'entoura d'un rempart et y fit élever plusieurs mosquées par les habitants.

En l'an 463 (1070-4), il partit pour le Molouïa, soumit les territoires que traverse ce fleuve, réduisit les bourgades d'Outat qui en sont voisines, et, deux années plus tard, il marcha contre la ville d'Ed-Demna et l'emporta d'assaut. Ensuite, il prit Aloudan, un des châteaux du pays des Ghomara, et, en l'an 467, il se rendit aux montagnes de Ghïatha et des Beni-Mekoud, dans la province de Tèza. Après avoir soumis ces localités, il partagea le Maghreb en gouvernements dont il confia le commandement à ses fils, à ses parents et aux chefs almoravides.

Quelque temps après, El-Motamed-Ibn-Abbad [roi de Séville] l'invita à l'aider contre les Chrétiens, mais il s'en excusa en lui représentant que la ville de Ceuta était occupée par le chambellan Soggout-el-Berghouati et une foule de partisans de la dynastie hammoudite. Ibn-Abbad le fit alors avertir par des ambassadeurs qu'il était disposé à le seconder dans une guerre contre les Hammoudites. Par suite de cette communication, Youçof mit en campagne une armée lemtounite sous les ordres de Saleh-IbnAmran. Soggout et son fils, Aziz-Dià-ed-Dola (lumière de l'empire), menèrent un corps de troupes contre les Almoravides et leur livrèrent bataille aux environs de Tanger. Dans cette rencontre, Soggout perdit la vie, et son fils se réfugia dans Ceuta. Une lettre écrite par Saleh apprit à Youçof-Ibn-Tachefîn la nouvelle de cette victoire.

En l'an 472 (1079-80), Youçof expédia vers le Maghreb central un corps de Lemtouniens commandé par son parent, le général Mezdeli, fils de Tilonkan 1-Ibn-Mohammed-Ibn-Oureggout?, auquel il avait donné, l'ordre d'attaquer les princes de race maghraouienne qui commandaient à Tlemcen. Cette ville avait alors dans ses murs l'émir El-Abbas-Ibn-Yahya, rejeton de

Yala-Ibn-Mohammed-Ibn-el-Kheir-Ibn-Mohammed-Ibn-Khazer. Mezdeli soumit le Maghreb central et, en traversant le pays des Zenata, il fit prisonnier Yala, fils de l'émir El-Abbas, et lui ôta la vie.

L'année suivante, lorsque ces troupes furent de retour, Youçof pénétra dans le Rif et occupa Guercîf, Melila et les autres villes de cette province. La ville de Nokour, qu'il détruisit pendant cette expédition, ne se releva plus de ses ruines.

A la suite de ces conquêtes, Youçof mena ses Almoravides dans le Maghreb central et soumit la ville d'Oudjda ainsi que le pays des Beni-Iznacen. Il prit ensuite la ville de Tlemcen dont il tua le gouverneur, El-Abbas-Ibn-Yahya, et toute la garnison maghraouienne. Voulant faire de cette place un des boulevards de son empire et un lieu de station pour ses troupes, il y installa un corps almoravide sous les ordres de Mohammed-Ibn-Tinamer le messoufien. A l'endroit où il avait dressé son camp, il fonda la ville de Tagraret. Ce mot signifie station en langue berbère. Ayant ensuite effectué la conquête de Ténès 3, d'Oran, du Ouancherîch et de tout le pays jusqu'à Alger, il reprit le chemin de l'occident et rentra à Maroc en 475 (1082-3). Mohammed-IbnTinamer conserva le gouvernement de Tlemcen jusqu'à sa mort et eut pour successeur son frère Tachefin.

Le roi chrétien [Alphonse VI, roi de Léon et de Castille] s'étant

↑ Variantes : Melenkan, Temlenkan.

Comme Oureggout signifie fils de Reggout, le mot arabe Ibn (fils} qui précède ce nom doit être supprimé. On remarquera que, dans les noms berbères, Ibo-Khaldoun commet très-sonvent la faute que nous indiquons ici.

3 Les copistes du Cartas ont écrit Tounis, c'est-à-dire Tunis. Cette bévue leur est échappée plus d'une fois.

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