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sur une colline où il fit aussitôt bâtir des maisons pour s'y loger avec son armée. Il construisit aussi une mosquée et une tour très-élevée afin de pouvoir contempler les combats qui allaient se livrer. Pendant onze mois ses troupes eurent à repousser les fréquentes sorties des Almoravides et leur livrèrent plusieurs combats acharnés. Les vivres commencèrent enfin à manquer chez les assiégés et la famine ne tarda pas à s'y déclarer. Un certain jour, pendant qu'Abd-el-Moumen était assis sur le haut de son observatoire, la garnison fit une sortie et repoussa les Almohades jusque dans leur camp. Déjà elle en avait renversé une partie des remparts, et une foule d'individus étaient accourus de la ville pour prendre part au pillage, quand un roulement de tambour se fit entendre et un corps de troupes que le souverain almohade avait fait placer en embuscade, prit les assaillants en flanc et en fit un massacre affreux. Le reste s'enfuit vers la ville avec tant de précipitation qu'un monde énorme fut écrasé en essayant de passer par les portes. Comme le souverain almoravide était trop jeune pour s'occuper d'affaires, les grands cheikhs de la nation avaient pris en main l'administration de l'empire. L'un de ces chefs, nommé Abd-Allah-Ibn-Abi-Bekr, sortit alors de la ville pour faire sa soumisssion et obtenir d'Abdel-Moumen grâce et protection pour sa famille. Ce fut lui qui indiqua aux assiégeants les parties faibles des fortifications. Pendant que des catapultes, portées sur des tours, répandaient la destruction dans la ville, la famine décimait les habitants. Plus de cent mille individus de la basse classe avaient déjà succombé et leurs cadavres pourrissaient sur place, quand un corps de troupes européennes (Frendy) que le gouvernement almoravide avait pris à son service, se dégoûta des fatigues d'un si long siége et livra une des portes de la ville à Abd-el-Moumen pour obtenir sa grâce. Ce fut par cette porte, appelée Bab-Aghmat, que les Almohades firent irruption, l'épée en main. La ville fut prise de vive force; tout ce qui s'y trouvait fut massacré ; l'émir Ishac et ses chefs almoravides furent arrachés du palais et traînés devant le vainqueur. Pendant qu'on décapitait ses officiers, Ishac versait des larmes d'effroi et priait Abd-el-Moumen

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de le laisser vivre. Sir-Ibn-el-Haddj, ómir d'une grande bravoure qui se trouvait à côté de lui, les mains liées derrière le dos, fut tellement indigné de ces marques de lâcheté qu'il cracha à la figure du prince et lui dit : « Est-ce que tu pleures pour >> maman et papa! allons! sois ferme ! conduis-toi en homme! >> Quant à celui-là [Abd-el-Moumen], c'est un impie et un » infidèle. » A peine eut-il prononcé ces mots que les Almohades se jetèrent sur lui et l'assommèrent à coups de bâton. Malgré son extrême jeunesse l'émir Ishac eut la tête tranchée. Ceci se passa en l'an 542 (1147-8). Pendant sept jours les Almohades s'occupèrent à massacrer et à piller; alors Abd-el-Moumen fit proclamer une amnistie et sauva de la fureur des troupes masmoudiennes ceux des habitants qui s'étaient tenus cachés jusqu'alors. « Ce sont des artisans, disait-il, des boutiquiers qui nous seront » utiles. » Le vainqueur choisit Maroc pour le siége de son empire, et après en avoir fait enlever les morts, il construisit dans la citadelle une grande mosquée d'une beauté et d'une solidité remarquables. Par son ordre on abattit la mosquée fondée par Youçof-Ibn-Tachefin. Celui-ci avait fort mal agi envers [son ancien allié] Mohammed-Ibn-Abbad [roi de Séville; après l'avoir détrôné] il l'emprisonna, comme on le sait, et le traita d'une manière indigne. Ce fut, sans doute, à cause de ce méfait que Dieu livra la postérité de ce monarque à un homme qui devait en tirer vengeance outre mesure. Ainsi vont les choses humaines; fi donc du monde! fi de lui! Béni soit le souverain dont le royaume ne finira jamais! Prions Dieu de couronner nos œuvres par le bonheur éternel et de faire que notre plus beau jour soit celui où nous comparaîtrons devant lui!

§ III.

PRISE DE DJERBA PAR LES SICILIENS.

En l'an 529 (1134-5), la flotte de Roger [II, roi de Sicile,] s'empara de Djerba, île dont les habitants se livraient à la piraterie, sans même respecter les navires appartenant aux sujets du sultan zîrido

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LES SICILIENS ATTAQUENT LA VILLE DE TRIFOLI ET
DÉTRUISENT CELLE DE DJÎDJEL.

En l'an 537 (1443), une flotte, partie de Sicile, vint mettre le siége devant Tripoli, ville dont les habitants s'étaient toujours refusés de reconnaître l'autorité de l'émir El-Hacen [fils d'Ali, sultan zîride] et qui avaient confié à des cheikhs de la famille Matrouh le soin de les gouverner. Le roi de Sicile, voyant cet état de choses, y expédia des troupes par mer; elles y arrivèrent le 9 de Dou- 'l-Hiddja (26 juin), et ayant pris position contre la place, elles commencèrent les hostilités, attachèrent des crochets à la muraille et y firent une brèche. Le lendemain, une foule d'Arabes vint au secours des habitants qui, se trouvant ainsi bien appuyés, sortirent contre l'ennemi et le mirent en pleine déroute. Un grand nombre des Francs fut tué et le reste se réfugia à bord de la flotte, après avoir abandonné ses armes, ses bagages et ses montures. Rentrés en Sicile, les Francs renouvelèrent leurs armes, firent de nouveaux préparatifs et partirent encore pour l'Afrique. Ils se présentèrent, cette foisci, devant Djidjel dont les habitants s'enfuirent vers les campagnes et les montagnes voisines. Les Francs étant entrés dans la ville, la détruisirent complètement et mirent le feu au château de plaisance que l'émir Yahya-Ibn-el-Azîz s'était fait bâtir. Après cet exploit, ils s'en retournèrent chez eux.

S V.

PRISE DE TRIPOLI PAR LES FRANCS.

Le 3 Moharrem 544 (16 juin 1146), une flotte immense, expédiée par Roger, roi de Sicile, parut devant Tripoli et débarqua des troupes. Les habitants, se voyant investis par terre et par mer, sortirent pour combattre l'ennemi. Les hostilités avaient duré trois jours, quand les Francs entendirent un grand tumulte dans la ville et, s'étant alors aperçus que la muraille était dégarnie, ils s'empressérent d'y placer leurs échelles et de péné

trer dans la place. Le bruit qui avait frappé leurs oreilles provenait d'un conflit qui avait lieu entre deux factions qui déchiraient la ville. Peu de jours avant l'arrivée des Francs, la dissension commença, et l'un des partis chassa la famille Matrouh et livra le commandement à un almoravide qui venait d'arriver avec une suite nombreuse et qui avait l'intention de se rendre en pèlerinage à la Mecque. Lorsque les Francs parurent, l'autre parti ramena la famille Matrouh et, pendant le désordre qui s'ensuivit, la ville fut prise d'assaut. Un grand nombre des habitants fut passé au fil de l'épée, leurs femmes furent prises et leurs biens livrés au pillage. Tous ceux qui pouvaient s'évader cherchèrent un asile parmi les populations berbères et arabes; mais, une amnistie générale proclamée par les vainqueurs, eut pour résultat la rentrée des fuyards. Les Francs passèrent six mois à restaurer les murailles de la ville et à les entourer d'un fossé que l'on y voit encore. Ces travaux terminés, ils s'en retournèrent dans leur pays, emmenant avec eux plusieurs ôtages, au nombre desquels se trouvèrent le chef almoravide et les membres de la famille Matrouh. Plus tard, on rendit les ôtages à l'exception des Matrouh; voulant s'assurer ainsi la fidélité de l'un d'entre eux auquel on venait de confier le commandement de la ville. L'ordre se rétablit dans Tripoli; les Siciliens et les Roum (Italiens) y firent de fréquents voyages, la population s'accrut rapidement et parvint à une grande prospérité.

§ VI.

CONQUÊTE DES AUTRES VILLES DE L'IFRIKÏA PAR

LES FRANCS.

An 543 (1148-9). Quelque temps avant l'année dont nous donnons ici la date, eut lieu la mort de Rached, seigneur de Cabes. Il laissa deux fils dont l'aîné se nommait Mâmer et le cadet Mohammed. Son affranchi Youçof conçut alors le projet de s'emparer du pouvoir, et ayant expulsé Mâmer, il prit le commandement de la ville et gouverna au nom de Mohammed, prince trop jeune pour s'occuper d'affaires. Maître de toute l'autorité,

il déshonora, dit-on, le harem de son ancien maître. L'une de ces femmes, appartenait à la tribu des Beni-Corra, et ses frères, sur la plainte qu'elle leur fit parvenir, vinrent à Cabes pour l'emmener chez eux. Comme Youçof refusa de la livrer, ils partirent avec Mâmer, fils de Rached, et dénoncèrent la conduite de l'usurpateur à El-Hacen [fils d'Ali], souverain de l'Ifrîkïa. Celui-ci écrivit à Youçof une lettre de reproche, et, n'ayant pas reçu de réponse, il équipa une armée pour se venger. Youçof ayant eu connaissance de ces préparatifs, fit avertir Roger le franc, seigneur de la Sicile, qu'il était prêt à le reconnaître pour souverain, à la condition de rester en possession de Cabes et d'y gouverner comme lieutenant de ce prince, ainsi que faisait Ibn-Matrouh à Tripoli. Peu de temps après, il reçut de Roger les pelisses d'honneur et la patente de sa nomination. Quand El-Hacen apprit que Youçof avait pris la livrée de Roger et fait lire au peuple assemblé le diplôme de sa nomination, il partit aussitôt à la tête de son armée et mit le siége devant Cabes. Les habitants se soulevèrent contre Youçof, parce qu'il avait osé reconnaître l'autorité des Francs, et livrèrent la ville à El-Hacen. Youçof se défendit quelque temps dans la citadelle, mais il ne put empêcher cet asile d'être emporté d'assaut. Étant tombé entre les mains de Mâmer-Ibn-Rached et des Beni-Corra, il eut à subir mille tourments on lui coupa même les parties génitales et on les lui mit dans la bouche. Mâmer remplaça alors son frère dans le gouvernement de la ville, et les Beni-Corra emmenèrent leur sœur. Le fils de Youçof s'enfuit [en Sicile], avec son oncle paternel Eïça, et pria Roger de tirer vengeance d'El-Hacen. Le prince chrétien écouta leur plainte et, plein d'indignation, il résolut de rompre la trève qu'il avait faite avec le sultan ziride, trève qui ne devait expirer que deux années plus tard. D'ailleurs, l'Ifrîkïà était alors en proie à la famine et il savait qu'une occasion aussi favorable pour faire la conquête de ce pays ne se présenterait plus. La disette avait commencé en l'an 537 (1142-3); toute l'Afrique septentrionale en souffrit horriblement et, surtout, en l'an 542. A cette époque beaucoup de monde quitta les campagnes et les villes pour se réfugier en

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