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à un fils que l'on nomma Mohammed et que l'on retint prisonnier, Selon les rapports [des chîïtes], il entra, avec sa mère, dans la citerne (serdab) de la maison paternelle et ne reparut plus. Les chiïtes le regardent comme successeur de son père dans l'imamat, et ils lui donnent le titres d'El-Mehdi (le dirigé) et d'El-Hoddja (l'argument, la preuve). Ils croient qu'il vit encore et s'at tendent à le voir reparaître un jour. Comme il était le douzième successeur d'Ali, ses partisans ont reçu le titre de Duodécemains. On en trouve à Médine, à El-Karkh [faubourg de Baghdad], à Es-Cham (Damas), à El-Hilla, et en Irac. La citerne dans laquelle il disparut est à El-Hilla, et nous avons entendu dire qu'encore aujourd'hui, les gens de cette secte y amènent chaque soir une monture toute caparaçonnée, et, qu'après la prière, ils prononcent à basse voix, les paroles suivantes : « Sors, ô imam, et >> viens à nous ! Les hommes sont dans l'attente; tous les êtres >> demeurent interdits; l'injustice remplit le monde; la vérité en >> a disparu. Sors et viens à nous ! Nous reconnaissons la grande >> miséricorde de Dieu dans le souvenir qu'il nous a laissé de >> toi. » Ils répètent cette invocation jusqu'au moment où les étoiles commencent à paraître; puis, ils se retirent pour recommencer le lendemain. Egarés par l'esprit de secte, ils ont la folie d'attendre le retour au monde d'une personne morte depuis des siècles.

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Les Ismaïliens comptent pour imam, après Djâfer-es-Sadec, son fils Ismail. Abou-Djâfer-el-Mansour [le khalife abbacide] l'ayant fait chercher, reçut du gouverneur de Médine une attestation portant qu'il avait cessé de vivre. Bien qu'Ismail mourut avant son père, ses partisans prétendent que l'imamat dévolut à

L'on assure qu'encore aujourd'hui on tient un beau cheval toujours sellé et bridé dans les écuries du roi de Perse, afin que l'imam attendu ait une monture toute prète quand il fera sa seconde apparition.

lui et à ses enfants par le fait d'avoir été désigué par son père comme héritier de cette dignité; ils citent même à l'appui de leur opinion ce qui se passa quand Moïse désigna Aaron [comme grand-prêtre; la prêtrise resta dans la postérité d'Aaron] bien qu'il mourut avant son frère. Selon ces sectaires, la transmission de l'imamat ne peut pas rétrograder, car Dieu ne peut pas commencer une chose qui existe déjà. Ils disent aussi que Mohammed, fils d'Ismail, était le septième et dernier des imams visibles et le premier des imams cachés. Par le mot cachés ils veulent dire qui se dérobent [aux recherches de leurs ennemis] et qui manifestent leur autorité au moyen de daïs (missionnaires, émissaires). Selon eux, il y eut trois imams cachés, et la terre ne sera jamais sans posséder un imam, soit visible, soit caché, et descendu de l'un ou de l'autre de ces trois; aussi doit-il y avoir des personnes autorisées de proclamer les droits de l'imam. Ils comptent leurs imams par groupes de sept, nombre qui est celui des cieux et celui des planètes, et ils comptent les nakibs (lieutenants des imams) par douze; reprochant aux chîïtes imamiens d'appliquer aux imams le nombre qui ne convient qu'aux nakibs. Ils regardent Mohammed-el-Mektoum (le caché), fils d'Ismail, comme le premier des imams cachés: son fils Djâferel-Mosaddec est pour eux le second imam caché, et, Mohammedel-Habib (le bien-aimé), fils de celui-ci, est le troisième. Après Mohammed, ils font entrer en compte son fils, Obeid-Allah-elMehdi (le dirige), fondateur de la dynastie [fatemide] en Ifrîkïa et en Maghreb, prince dont l'autorité fut établie chez les Ketama par Abou-Abd-Allah-es-Chii.

Ces Ismaïliens sont le peuple qu'on appelle Carmats. Ils fondèrent, à Bahrein [en Arabie], une dynastie représentée par Abou-Saîd-el-Djennabi et ses descendants.

Un de leurs daïs, nommé Abou-'l-Cacem-el-Hocein-lbnFerroukh-Ibn-Huucheb-el-Koufi, surnommé El-Mansour, travailla dans le Yémen en faveur de Mohammed-el-Habîb et puis, en faveur d'Obeid-Allah-[el-Mehdi], fils de celui-ci. Il avait d'abord été duodécemain; puis, ayant reconnu l'impuissance de ce parti, il adopta les opinions des Ismaïliens. Mohammed-el-Habib

l'envoya en Yémen comme missionnaire (daï), sur la nouvelle que Mohammed-Ibn-Yafor, roi de Sanâ, avait abdiqué le trône pour mener une vie de pénitence et de dévotion. Arrivé en ce pays, Ibn-Haucheb trouva, dans la ville d'Aden-Laa, des chîïtes appelés les Beni-Mouça, et obtint l'appui de leur chef, Ali-Ibnel-Fadl le Yémenite. Mohammed lui annonça ensuite par écrit qu'il venait d'accorder à Obeid-Allah-[el-Mehdi] l'héritage de l'imamat, et il l'autorisa, en même temps, à faire valoir les droits de ce prince par les armes. Pour se conformer à cet ordre, Ibn-Haucheb propagea la doctrine ismaïlienne dans le Yémen, et, ayant rassemblé des troupes, il s'empara de plusieurs villes et se fixa dans Sanâ, d'où il chassa [la famille régnante] les BeniYâfor. De là il répandit ses daïs dans les provinces du Yémen, de Yémana, de Bahrein, du Sind, de l'Inde, de l'Egypte et du Maghreb. Ces missionnaires travaillèrent à gagner des prosélytes pour la cause du membre agréé de la famille de Mahomet (erRida min al Mohammed); mais ils ne firent connaître l'identité de ce personnage et [du fils] de Mohammed-el-Habib, qu'après avoir vu rétablir l'autorité de leur maître dans le Yémen.

Abou-Abd-Allah-es-Chiï, émissaire de celui-ci, se rendit chez les Ketama. Arrivé en Ifrîkïa, il y trouva un grand nombre de Baténiens, secte dont les doctrines avaient été introduites dans ce pays par les daïs de Djâfer-es-Sadec. Ces croyances s'étaient propagées chez les tribus berbères et surtout chez les Ketama. Aussi, commença-t-il, ce daï du Mehdi, à enseigner ces principes, à les répandre et à les faire fructifier, de sorte qu'il put enfin accomplir sa tâche et proclamer la souveraineté d'Obeid-Allah.

§ III.

COMMENCEment de LA DYNASTIE OBEIDITE.

Obeid-Allah-el-Mehdi, premier souverain de cette dynastie, était fils de Mohammed-el-Habib, fils de Djâfer-el-Mosaddec, fils de Mohammed-el-Mektoum, fils de Djâfer-es-Sadec. Telle est la filiation de ses aïeux, selon les historiens du Maghreb: telle est aussi la manière que le généalogiste Mohammed-Ibn-Asâd-elDjouali expose l'origine de ce prince, dans son ouvrage sur la

famille des Mohenna, émirs de Médine. Parlant des Habib, branche du Mohenna, il dit : « Au nombre des descendants » d'Ismaïl l'imam, on compte les Habib, enfants de Mohammed, >> fils de Djâfer, fils de Mohammed, fils d'Ismaïl; de cette famille » est la souche d'une dynastie de khalifes, sur lesquels soit le >> salut! >> On voit, par ce passage, qu'El-Djouali regardait les Fatemides-obeidites comme descendants de Mohammed-el-Habib.

On ne doit tenir aucun compte des attaques dirigées contre cette généalogie par les gens de Cairouan et d'autres lieux ; on ne doit, non plus, faire aucun cas de la déclaration dressée à Baghdad, sous le khalifat d'El-Cader, écrit dans lequel on contestait les titres des Obeidites à une origine aussi illustre et auquel on décida plusieurs docteurs très-éminents à souscrire leurs noms. [Tout cela ne peut avoir aucune autorité] puisque la lettre par laquelle El-Motaded invita [Ziadet-Allah ]-Ibn-elAghleb, seigneur de Cairouan, et [Elîça-]Ibn-Midrar, prince de Sidjilmessa, à se saisir d'Obeid-Allah, qui venait de passer dans le Maghreb, est en elle-même une preuve qui confirme les prétentions des Obeidites [Fatemides] . D'ailleurs, les poésies du cherif Er-Rida sont positives à cet égard, et il ne faut pas

1 On a déjà vu, t. 1, p. 32, et t. 1, p. 20, que sous le règne d'El – Moëzz le zîride, la population de Cairouan répudia la doctrine et l'autorité des Fatemides pour reconnaître la suprématie des Abbacides.

La description topographique du Caire, par El-Macrizi, renferme un chapitre qui rend plus clairement la pensée d'Ibn-Khaldoun. L'autenr égyptien prétend que si El-Motaded eût considéré Obeid-Allah comme un imposteur, il ne se serait pas donué tant de peine pour le faire arrêter. On peut voir la traduction de tout ce passage d'El-Macrîzi dans les Druzes de M. de Sacy, l. 1, p. CCL, et dans la Chrestomathie du même orientaliste, t. 1, p. 90 de la deuxième édition. Il faudrait des raisonnements plus concluants que ceux d'El-Macrîzi pour justifier les prétentions des Obéidites.

3 Il ne faut pas confondre le Cherif Mohammed-er-Rida, mort en 406 de l'hégire, avec son parent, l'imam Ali-er-Rida. Ibn-el-Athîr nous apprend qu'on n'osa pas insérer ces poèmes dans le recueil des pièces composées par le Cherif, et il en cite un passage dans lequel ce poète reconnaît, d'une manière positive, que les Fatemides de l'Egypte appartenaient à la famille d'Ali, gendre de Mahomet.

oublier que les individus dont les signatures furent apposées à la déclaration dressée à Baghdad, n'y témoignèrent que par ouï dire, et l'on sait ce que cela vaut. Nous pouvons ajouter que la généalogie des Fatemides avait déjà subi, à Baghdad, depuis cent ans, les attaques des Abbacides, et que l'opinion publique s'y était formée sur celle de la cour. Aussi, un témoignage d'ouïdire, témoignage purement négatif, fut tout ce qu'on put opposer à cette généalogie, et cela à une époque où l'état seul des choses offrait la preuve la plus évidente du contraire, puisqu'on reconnaissait l'autorité des Fatemides en plusieurs endroits et même à la Mecque et à Médine. Quant à ceux qui font descendre cette famille d'un juif ou d'un chrétien, qui lui assignent Meimoun-elCaddah ou tel autre pour aïeul, nous dirons que cela seul suffit pour prouver la perversité et l'infamie de ces gens-là ‘.

Les Obeidites [ou Fatemides] s'acquirent des partisans en Orient, dans le Yémen et en Ifrîkïa. La première manifestation faite en Afrique par cette famille fut l'arrivée des missionnaires El-Holouani et Abou-Sofyan. Djâfer-es-Sadec les y avait envoyés, disant que le Maghreb était un sol inculte qu'ils devaient défricher en attendant la venue de l'hommé chargé de l'ensemencer. L'un de ces agents s'établit à Mermadjenna et l'autre à Souc-Djemar2, localités du pays des Ketama. Dès-lors, l'appel [en faveur de l'imam] se fit entendre dans toute cette contrée.

1 Voy., à ce sujet, l'article d'El-Macrîzi dans la Chrestomathie de M. de Sacy, t. II, p. 88 et suiv., ainsi que le chapitre sur l'origine des Fatemides que cet illustre orientaliste a inséré dans son Histoire des Druzes. Il est à regretter que, dans ce même chapitre, les noms de tribus et de localités ne soient pas toujours exacts; on y lit, par exemple, Modmadjinna, à la place de Mermadjenna; Beni-Soleiman, à la place de Beni-Sekyan; Bacarma, pour Belezma; Bandjas, pour Tidjes; Elaris, pour Laribus; Maskanaya, pour Meskiana, etc. Ces fautes proviennent de l'incorrection des manuscrits dont M. de Sacy s'était servi.

Le manuscrit d'En-Noweiri porte Souc-Himar. Il faut probablement changer la position d'un point et lire Souf-Djemar. Le premier mot de ce nom composé signifie rivière en langue berbère, le second est arabe et signifie gravier. C'est l'équivalent de Quadi-'r-Reml (rivière de sable), le Oued-Rommel qui coule au pied de la ville de

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