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II.

HISTOIRE DES FATEMIDES.

Par Ibn-Khaldoun.

INTRODUCTION.

L'établissement de la dynastie des Fatemides fut le premier triomphe des Ismaïliens, l'une des nombreuses sectes hérétiques qui naquirent de bonne heure dans le sein de l'islamisme. Chiîles, ou partisans, de la famille d'Ali, ils avaient pris les armes pour faire valoir le principe de l'hérédité du khalifat dans la descendance du gendre de Mahomet. Les chapitres suivants, renfermant une esquisse de l'histoire des quatre premiers khalifes fatemides, sont tirés de la partie encore inédite du grand ouvrage d'IbnKhaldoun et offrent de bons renseignements; mais, pour être lus avec avantage, ils exigent une certaine connaissance de la nature du khalifat et du caractère des sectes chïîtes. La notice que nous donnons ici, et dont nous avons emprunté les matériaux aux Prolégomènes de notre auteur et à d'autres ouvrages, fournira au lecteur les indications dont il pourra sentir le besoin.

DU KHALIFAT ET DES SECTES CHÏÎTES.

Les empires, dit Ibn-Khaldoun dans ses Prolégomènes, naissent de la nécessité où se trouvent les hommes de vivre en société. Il y a trois espèces d'empires : le despotisme (molk), le gouvernement réglé par des lois (sïaça), et le khalifat (khilafa). Dans le premier, le peuple travaille pour accomplir les projets et satisfaire les caprices d'un seul individu, dans le second, il agit d'après certaines prescriptions établies par la raison humaine en vue des intérêts matériels seulement; dans le troisième, il obéit à une loi promulguée par un législateur ayant une mission divine, loi par laquelle le bonheur des hommes est assuré dans la vie future ainsi que l'accessoire de ce bonheur, leur bienêtre dans ce monde-ci. Le droit de faire exécuter la loi révélée appartient au législateur et ensuite à ses successeurs ou khalifes.

Le mot khalifat signifie lieutenance; le khalife est lieutenant du législateur, revêtu de l'autorité spirituelle et temporelle; son devoir est de maintenir la religion et de l'employer pour gouverner le monde. Son titre est khalife du Prophète de Dieu; celui de khalife ou lieutenant de Dieu ayant été rejeté par AbouBekr et ne pouvant soutenir l'examen de la raison en effet, lieutenance suppose l'absence du chef; or, Dieu est présent partout et à tout instant.

Le titre d'Émir-el-Moumenin (commandant des croyants) appartient exclusivement au khalife. L'usage en fut introduit lors de l'avènement d'Omar : à l'exemple de son prédécesseur, Abou-Bekr, qui avait adopté le titre de khalife du Prophète de Dieu, Omar voulut d'abord prendre celui de khalife du khalife du Prophète de Dieu, mais, trouvant que cette formule renfermait une répétion incommode, répétition qui, avec l'avènement de chaque nouveau khalife, devrait s'augmenter par l'addition du même terme, il choisit pour lui et pour ses successeurs le titre d Emir-el-Moumenin.

Le khalifat s'appelle aussi imamat et le khalife imam (modèle, directeur, président); car, de même que l'imam ordinaire dirige, pendant la prière, les mouvements des assistants par les siens, de même le grand imam ou khalife dirige la conduite de tous les vrais croyants.

Dans les premiers temps de l'islamisme, le khalifat était électif; mais, après la mort d'Ali, gendre et quatrième successeur de Mahomet, les Oméïades de l'Orient usurpèrent cette dignité et la rendirent héréditaire dans leur famille. Ils conservèrent l'autorité depuis l'an 44 (661 de J.-C.) jusqu'à l'an 132 (750), quand elle leur fut enlevée par les Abbacides. Cette maison régna de 432 à 656 (1258), époque de la prise de Baghdad par les Tartars. Après cette catastrophe, un membre de la famille abbacide se réfugia en Egypte, pays qui était alors gouverné par la dynastie des Mamlouks bahrites, et y fut proclamé khalife. Lui et ses descendants conservèrent ce titre sans jamais pouvoir exercer la moindre autorité. En l'an 923 (1517), lors de la conquête de l'Egypte par le sultan ottoman, Selim I, les prérogatives du khalifat furent cédées au vainqueur et à ses héritiers par ElMotéwekkel, le vingt-unième khalife de la seconde lignée des Abbacides.

Selon Ibn-Khaldoun, qui rapporte l'opinion des anciens docteurs musulmans, il faut, pour être éligible au khalifat, réunir en soi cinq conditions :

4o Le savoir (ilm);

2o La justice (adala);

3o Les moyens d'action suffisants (kifaïa) pour exécuter ses décisions,

4° L'usage des cinq sens et des quatre membres du corps (selama-t-el-hawass oua-'l-âdaï);

5o La parenté (ncceb) avec les Coreich, tribu de Mahomet.

Cette dernière condition cessa d'être obligatoire quand les Coreich ne furent plus assez nombreux ni assez forts pour soutenir leurs khalifes.

T.I.

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Les docteurs hanefites déclarent que le khalife doit réunir les conditions suivantes :

4° L'islamisme;

2° L'état d'homme libre;

3o Le sexe masculin ;

4° L'état de la raison;

5° L'âge de la majorité.

Dans les premiers siècles, l'unité du khalifat fut regardée comme un des principes essentiels de cette institution; mais, lorsque la grande étendue de l'empire eut affaibli l'autorité souveraine, et l'eut empêchée de se faire sentir dans les provinces éloignées, les chefs qui s'emparèrent du pouvoir adoptèrent souvent le titre et les attributs du khalifat. Dans l'Occident, les derniers souverains oméïades, les Idrîcides, les Fatemides et les Almohades fournirent des exemples de cette usurpation. Il est vrai qu'une mesure aussi irrégulière paraissait être justifiée par l'intérêt du bien public, et elle avait même en sa faveur l'approbation de deux grands docteurs de l'islamisme, l'Ostad Abou-Ishacel-Isferaïni1 et l'Imam-el-Haremein, Abou-'l-Mâali-'l-Djoweini 2. Il en est résulté que le titre de sultan, donné généralement aux princes qui exercent le pouvoir temporel, est quelques fois devenu synonyme de celui de khalife.

L'imam ou khalife devait-il être choisi par le corps des musulmans ou désigné par son prédécesseur? Telle fut la question qui donna lieu aux guerres de succession et à la formation des sectes chiïtes.

Le mot chia signifie compagnons, partisans, sectaires; il est employé pour désigner les partisans d'Ali et de ses enfants. Les chîïtes, bien que formant plusieurs sectes, s'accordaient à déclarer:

Docteur chafite mort, en Perse, l'an 448 (1027 de J.-C.).

* Ce docteur chafite, natif de la ville de Neiçapour, en Perse, mourut l'an 478 (1085).

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