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Ibn-Youçof la promesse de faire cause commune avec lui et de le reconnaître pour souverain. Par suite de cette communication, Mohammed-Ibn-el-Haddj, un des serviteurs du sultan, porta au prince abd-el-ouadite les emblèmes de commandement avec un riche cadeau et l'assurance d'obtenir un secours efficace et la concession de tous les domaines que Yaghmoracen avait autrefois reçus du gouvernement de l'Ifrîkïa. Le sultan ayant ainsi suscité à la cour de Tlemcen assez d'embarras pour l'empêcher d'attaquer Bougie, sortit avec ses troupes afin d'examiner l'état de ses provinces.

IBN-GHAMR ÉTABLIT SA DOMINATION A BOUGIE.

Le chambellan Ibn-Ghamr continuait depuis longtemps à gouverner l'esprit du sultan; il réglait toutes les volontés de ce prince; il contrôlait ses ordres et, par des insinuations perfides, il obtenait de lui la mort ou le bannissement de plusieurs courtisans. Le sultan commença enfin à se lasser d'une telle servitude, et, en l'an 713, il poussa secrètement quelques habitants de Constantine à tuer, en guet-apens, ce puissant ministre. Un plan fut adopté pour y parvenir; mais, avant de recevoir son accomplissement, il fut découvert par Ibn-Ghamr qui en fit punir les auteurs par divers genres de supplices. Dans la même année, le sultan revint à Bougie, afin de relever le courage des habitants toujours exposés aux dangers d'un siége, et, jusqu'au moment d'atteindre l'âge viril, il continua à subir la domination de son chambellan. A cette époque, il laissa percer la violence de son caractère, et, dans une partie de débauche, il tua de sa propre main Mohammed-Ibn-Fadl, sans même avoir prévenu le ministre de son intention. Le lendemain, de bonne heure, IbnGhamr se rendit à la porte du palais pour y donner audience comme d'habitude et il vit, étendu au milieu du chemin, le corps d'Ibn-Fadl, tout habillé et couvert de sang. Ayant appris

Dans le texte arabe, lisez hiçariha.

ce qui venait de se passer, il reconnut avec inquiétude que le sultan commençait à montrer de l'énergie et à agir en maître. Craignant alors pour lui-même et sachant que les intrigues des courtisans et les calomnies des intimes du palais devaient avoir dorénavant des suites redoutables, il chercha un prétexte pour décider le sultan à s'éloigner de Bougie, afin de pouvoir y commander lui-même sans opposition. Il l'encouragea donc à tenter la conquête de l'Ifrikïa, et, ayant organisé une armée et réuni tout ce qu'il fallait en fait de tentes, de machines de guerre et de serviteurs, il se chargea de la solde des troupes et les mit à la disposition du prince, en l'invitant à marcher contre [AbouYahya-]Ibn-el-Libyani et à lui enlever ce pays. En l'au 715 (1315-6), Abou-Yahya-Abou-Bekr prit le commandement de cette armée et se rendit à Constantine, d'où il fit une irruption dans le territoire des Hoouara et en expulsa le commandant militaire, Dafer, et les autres affranchis hafsides au service de cet officier. Ayant levé l'impôt dans toute cette région,[il reprit le chemin de Constantine et y fit son entrée en l'an 716. Pendant ce temps, Ibn-Ghamr gouvernait la ville de Bougie en maître absolu et la défendait contre les Zenata [abd-el-ouadites], et comme le sultan avait accepté Mohammed -Ibn-Calaoun comme vice-chambellan 1, il se vit au comble de ses vœux et possesseur de l'indépendance qu'il avait tant souhaité. Nous le reverrons plus tard.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-EL-LIHYANI SE REND A CABES

ET ABDIQUE.

Le sultan Abou-Yahya-Ibn-el-Lihyani étant alors très-avancé en âge, reconnut, par son expérience des affaires politiques, qu'il ne pourrait supporter plus longtemps le poids du khalifat. Il venait d'apprécier les droits légitimes des descendants de l'émir Abou-Zékérïa l'ancien au trône de l'Ifrikïa et la puissance du nouvel empire fondé par l'émir Abou-Yahya-Abou-Bekr

Pour hidjabetihi, il faut probablement lire hidjabeti.

dans les provinces de l'occident. Il avait même remarqué combien l'autorité de ce prince s'était augmentée par le nombre des peuples qui avaient embrassé sa cause et par l'importance des personnages qui étaient entrés dans les cadres de son armée. On y comptait plusieurs princes de souche zenatienne, les plus braves guerriers d'entre les Toudjîn, les Maghraoua, les BeniAbd-el-Ouad et les Beni-Merîn, hommes qui, par leur proche parenté avec les familles régnantes ou par le haut rang qu'ils tenaient dans leurs propres tribus, avaient encouru la jalousie de leurs souverains ou de leurs chefs et qui étaient venus à diverses époques chercher un refuge auprès du souverain de Bougie. Il y avait encore dans cette armée des natifs des pays subjagués des Maghraoua, des Toudjîn et des Melîkich.

:

Devenu formidable aux autres rois, le sultan Abou-YahyaAbou-Bekr se mit en marche, l'an 716 (1316-7), pour envahir l'Ifrikïa, et il recuci!lit l'impôt dans tout le pays des Hoouara, ainsi que nous venons de le dire. Le sultan Ibn-el-Lihyani s'attendait même à se voir attaquer dans Tunis, car la majeure partie de l'Ifrîkïa avait cessé de lui appartenir, et il ne conservait plus d'espoir que dans l'appui de ses alliés arabes. Ce fut pour cette raison qu'il partagea son autorité avec Hamza-Ibn-OmarIbn-Abi-'l-Leil', qu'il lui accorda le comin.andement absolu de toutes les populations arabes, et qu'il lui prodigua même les trésors de l'empire. Comme cette conduite n'avait servi qu'à accroître l'insolence des Arabes et leur insubordination, il se décida à renoncer au khalifat et à sortir du pays; mais il songea d'abord à emballer son argent et ses trésors; ensuite, il fit vendre tous les meubles, tapis, vases et autres objets précieux qui se trouvaient dans les garde-meubles de la couronne et jusqu'aux livres de la bibliothèque que l'émir Abou-Zékérïa l'ancien avait formée. Ces volumes, tous manuscrits originaux ou bien exemplaires choisis avec grand soin, furent distribués aux libraires pour être mis en vente dans les magasins. On

Dans le texte arabe, il faut lire: Hamza-Ibn-Omar-Ibn-Ali-IbnAbi-'l-Leil.

prétend que, par tous ces moyens, il ramassa plus de vingt quintaux d'or et assez de grosses perles et de rubis pour en remplir deux sacs.

Vers le commencement de l'an 717 (mars-avril 1317), il fit publier son intention de visiter les provinces, et, après avoir établi des garnisons dans Tunis, Bédja et El-Hammamat, il laissa à la capitale, comme lieutenant, Abou-'l-Hacen-Ibn-Ouanoudîn, et se rendit à Cabes. De là, il envoya ses percepteurs dans les provinces voisines pour y prélever l'impôt, et il continua à y demeurer jusqu'à l'avènement de son fils au trône de Tunis.

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YAHYA-ABOU - BEKR MARCHE SUR TUNIS ET RENTRE
A CONSTANTINE.

En l'an 716, le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr revint à Constantine, après avoir envahi le pays des Hoouara, et organisa une nouvelle expédition contre Tunis. Il leva des troupes, distribua de l'argent, répara son matériel de guerre et passa en revue les contingents fournis par les Zenata, les Arabes et les Sedouîkich. Le chambellan Mohammed-Ibn-el-Caloun fut désigné pour commander à Constantine. et Mansour-Ibn-FadlIbn-Mozni, gouverneur du Zab, fut envoyé à Bougie pour obtenir du chambellan, Abou-Abd-er-Rahman-Ibn-Ghamr, des secours d'argent afin de pourvoir au donatif et à la solde des troupes. Ibn-Ghamr ayant remarqué dans Ibn-Mozni un grand talent pour la conduite des affaires et pour trouver de l'argent, lui avait déjà confié l'administration de l'Auras, du Hodna, du pays des Sedouîkich, du pays des Aïad et de toutes les autres provinces de l'empire; lui laissant ainsi l'administration générale des impôts et lui accordant de plus le contrôle des recettes et dépenses de tous les agents du fisc. Ibn-Mozni revint auprès du sultan, porteur de l'argent fourni par Ibn-Ghamr et de sa propre nomination au grade de vice-chambellan.

1 Dans l'arabe, lisez ouaçaïr.

Dans le mois de Djomada [premier] 747 (juillet-août 1347) le sultan quitta Constantine à la tête de son armée. Pendant sa marche, il accueillit les députations des tribus arabes, et, arrivé à Bédja, il trouva que la garnison avait évacué la place pour rentrer à Tunis. Abou-'l-Hacen-Ibn-Ouanoudîn, lieutenant du sultan Ibn-el-Lihyani, fit aussitôt prévenir son maître de l'approche du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr et lui déclara qu'il devait absolument venir et repousser l'ennemi. Le sultan s'en excusa, mais il mit à la disposition des envoyés l'argent qu'il avait par devant lui et leur donna l'autorisation de lever autant de troupes qu'ils voudraient. [Rentrés à Tunis], ils commencèrent à monter un corps de cavalerie, à enrôler des fantassins et à organiser une administration militaire. Ils firent aussi remettre en liberté le prince Mohammed-Abou-Darba (le balafré), fils d'Ibn-el-Lihyani'. La nouvelle s'étant alors répandue tout-à-coup que le sultan de Constantine était en vue de Bédja, [toute cette armée] sortit de Tunis [pour le combattre], et Moulahem-IbnOmar-Ibn-Abi-'l-Leil passa à l'ennemi. Il y avait longtemps que ce chef attendait une occasion semblable, étant très-mécontent du gouvernement tunisien et de la préférence que son frère, Hamza, avait trouvée auprès d'Ibn-el-Lihyani. Ayant rencontré le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr en-deça de Bédja, il se mit à ses ordres et l'encouragea à marcher en avant. Dans le mois de Chaban (octobre) le sultan arriva en vue de Tunis et campa dans le Raud-es-Senadjera (prairie des Sindjar), un des pares royaux. Les notables de la ville hésitèrent toutefois à lui prêter le serment de fidélité, ne sachant pas la tournure que prendrait la tentative d'Abou-Darba et de ses partisans.

Voici comment les choses se passèrent : Quand le sultan de Constantine quitta Bédja pour se porter en avant, Hamza-IbnOmar courut à Tunis et trouva les amis et partisans d'Ibn-elLihyani sur le point d'abandonner la ville. Il leur conseilla de proclamer Abou-Darba, afin de contenir le peuple, et de marcher

4 L'auteur ne dit pas pour quelle raison Abou-Yahya avait fait emprisonner son fils.

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