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Un de ses gens, ayant été cité devant le tribunal du chambellan sur la plainte d'un domestique du palais, fut puni de mort, séance tenante, par l'ordre de ce fonctionnaire. Rached fut tellement indigné de ce manque d'égards qu'il fit ployer ses tentes à l'instant même et s'en alla. Ce fut ainsi que le chambellan s'y prit pour faire réussir son projet. Le résultat fut tel qu'il l'avait espéré le sultan, sachant que Rached était intimement lié avec Abd-er-Rahman-Ibn-Khalouf, conçut des inquiétudes pour la sûreté de la ville et de la province de Bougie. Le chambellan, qu'il consulta à ce sujet, fut d'avis d'y dépêcher Mansour-Ibn-Mozni, et celui-ci, de son côté, proposa le chambellan pour cette mission. Pendant plusieurs jours, ils se renvoyèrent mutuellement la tâche que le sultan voulait leur confier, jusqu'à ce qu'enfin ce prince prit le parti de les y envoyer tous les deux. Le chambellan obtint alors qu'Abou-Yahya-Abou-Bekr, frère du sultan, fût nommé gouverneur de Constantine et qu'il eût lui-même pour lieutenant, à Tunis, son propre cousin, Ali-Ibn-Ghamr. Ayant alors quitté la capitale, il se rendit à Constantine, pendant que Mansour-IbnMozni s'en alla chez lui, dans le Zab. Plus loin, nous parlerons de la révolte de celui-ci.

Ibn-Ghamr, étant entré au service du prince Abou-YahyaAbou-Bekr, en qualité de chambellan, lui proposa de se révolter contre le sultan, son frère. Quelques indices de leurs intentions éveillèrent les soupçons d'Abou-'l-Baca et lui donnèrent tant d'inquiétudes que le vice-chambellan, Ali-Ibn-Ghamr, s'en aperçut et courut se réfugier dans Constantine. Alors, le sultan plaça son affranchi, Dafer-el-Kebîr, à la tête d'une armée et l'envoya contre cette ville. Nous raconterons plus loin comment ce général s'arrêta à Bédja et ce qui lui arriva.

Quant à Ibn-Ghamr, le chambellan, il se mit en révolte ouverte, et, ayant fait appeler notre seigneur, le prince Abou-Yahya-AbouBekr, il le présenta au peuple et le fit proclamer souverain. Ceci se passa en l'an 711 (13141-2). Le nouveau sultan prit le titre d'ElMotewekkel (qui met sa confiance en Dieu) et dressa son camp en dehors de la ville de Constantine. Il y était encore, quand on vint lui annoncer qu'Ibn-Khalouf s'était déclaré contre lui.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-ABOU-BEKR S'EMPARE DE BOUGIE.
MACHINATION QUI AMÈNE LA MORT D'IBN-KHALOUF.

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Yacoub-Ibn-el-Khalouf, surnommé Abou-Abd-er-Rahman, était chef de cette population sanhadjienne qui formait la milice du sultan et qui habitait la province de Bougie. Il jouissait d'une grande considération à la cour et s'était distingué par l'importance de ses services militaires. En l'an 703 (1303-4), quand l'armée mérinide, sous les ordres d'Abou-Yahya, fils de Yacoub-IbnAbd-el-Hack, vint prendre position contre Bougie, il lui livra plusieurs combats qui établirent sa réputation comme vaillant capitaine. L'émir Abou-Zékérïa et son fils le laissèrent à Bougie comme leur lieutenant toutes les fois qu'ils allèrent à la guerre. On le désignait ordinairement par le titre d'El-Mizouar1. Quand il mourut, son fils, Abd-er-Rahman, hérita de son autorité, et, en l'an 709, lors de l'expédition du sultan Abou-'l-Baca contre Tunis, il resta à Bougie comme lieutenant de ce prince. C'était un homme opiniâtre, ambitieux, fier de sa puissance, de sa tribu et de sa haute position à la cour.

Abou-Abd-el-Rahman-Ibn-Ghamr ayant proclamé la souveraineté d'Abou-Yahya-Abou-Bekr, invita Ibn-Khalouf à faire reconnaître l'autorité du nouveau sultan par les habitants de la province de Bougie. Malgré les instances les plus pressantes, ce chef resta fidèle au sultan de Tunis, car il voyait avec une jalousie extrême la haute position à laquelle Ibn-Ghamr venait d'atteindre. Bien plus, il rassembla un corps de troupes, fit arrêter le ministre des finances, Abd-el-Ouahed, fils du cadi Abou-'l-Abbas-elGhomari, et le directeur de la douane, Mohammed-Ibn-Yahyael-Caloun, créature d'Ibn-Ghamr.

El-Caloun était natif d'Alméria, et, lors du passage d'Ibn

1 Le mizouar, ou huissier en chef, se tenait à la porte du palais; il introduisait les visiteurs, infligeait aux condamnés les punitions ordonnées par le sultan et gardait, dans des prisons à lui, les gens dont son maître avait autorisé l'arrestation.

Ghamr par cette ville, il avait eu occasion de lui rendre des services importants. Celui-ci, étant parvenu au ministère à Bougie, reçut la visite de son hôte andalousien et lui témoigna sa reconnaissance en l'admettant dans son intimité et en l'introduisant dans la carrière des emplois. Ce fut ainsi qu'El-Caloun passa par l'administration des impôts à la direction générale de la douane.

Ibn-el-Khalouf, ayant rassemblé des troupes et emprisonné ces deux fonctionnaires, fit proclamer [son intention de soutenir] la cause du sultan Abou-'l-Baca. Bientôt après, le sultan AbouYahya-Abou-Bekr quitta sa position dans le voisinage de Constantine et, à la suite d'une marche très-rapide, il occupa la colline qui domine Bougie. Un combat s'ensuivit et dura toute la journée. Le lendemain, Ibn-el-Khalouf entra en négociation avec le sultan et demanda [comme prix de sa soumission] la destitution d'Ibn-Ghamr. Une condition aussi importante donna lieu à plusieurs messages entre les deux partis et, pendant cette correspondance, le vizir [de Constantine], Abou-Zékérïa-Ibn-Abi-'lAlam, qui était gendre d'Ibn-el-Khalouf, travailla avec ardeur pour l'amener à un arrangement. Quand ce ministre vint annoncer que la condition proposée ne serait pas acceptée, Ibn-elKhalouf l'empêcha de s'en retourner anprès du sultan et le retint prisonnier dans son hôtel.

Le désordre se mit alors dans le camp d'Abou-Yahya-AbouBekr, dont l'armée craignait de se mesurer avec les Sanhadja et leurs alliés, les Maghraoua, gens de cœur et de courage, aussi nombreux que braves. Le sultan lui-même s'enfuit en abandonnant le camp au pillage; ses équipages furent pris et le ramassis de gens qui l'avaient accompagné furent tous dévalisés. Rentré à Constantine avec les débris de son armée, il s'y vit bientôt attaqué par les troupes qu'Ibn-el-Khalouf avait envoyées à sa poursuite et qui venaient d'emporter d'assaut la ville de Mîla; mais, au bout de quelques jours, les assiégeants reprirent la route de Bougie.

1 Voy. p. 422 de ce volume.

Les affaires du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr avaient pris une très-mauvaise touruure et l'on s'attendait à voir Dafer arriver de Bédja avec son corps d'armée, quand la nouvelle se répandit qu'Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn-el-Lihyani était revenu de l'Orient et, qu'ayant vu la confusion qui régnait en Ifrîkïa, il avait pris le titre de sultan aussitôt après son arrivée à Tripoli. De tous côtés, les Arabes accoururent pour entrer à son service, et Abou-Yahya-Abou-Bekr jugea qu'il serait de bonne politique de soutenir ce prétendant et de créer ainsi un embarras de plus au gouvernement tunisien. Pour accomplir ce projet et tendre, en même temps, un piége à Ibn-el-Khalouf, il se concerta secrètement avec le chambellan Ibn-Ghamr et l'envoya auprès d'Ibn-el-Lihyani.

Comme il fallut cacher cette mission à la connaissance du public, le chambellan feignit d'abandonner la cause de son maître, et, étant arrivé chez Ibn-el-Lihyani, il l'engagea fortement à marcher sur Tunis, ville dont il lui représentait la conquête comme très-facile.

Après le départ d'Ibn-Ghamr, le sultan livra au pillage les maisons du prétendu transfuge, il en fit maltraiter les domestiques et donna la place de chambellan à un de ses favoris, Hacen-Ibn-Ibrahîm-Ibn-Abi-Bekr-Ibn-Thabet, commandant de toutes les fractions de la tribu de Ketama, et chef des BeniTelîlan, peuplade établie dans la montagne qui se voit en face de Constantine. Après avoir confié le gouvernement de cette ville à Abd-Allah-Ibn-Thabet, frère du nouveau chambellan, il se mit en marche pour Bougie, l'an 712 (1312-3). Comme il avait eu soin de faire répandre le bruit qu'lbn-Ghamr s'était enfui secrètement pour éviter la juste colère de son souverain et qu'il poussait Ibn-el-Libyani à marcher sur Tunis, Ibn

1 Dans le texte arabe, on lit: le fils (Ibn) d'Abou-Abd-er-RahmanIbn-Ghamr. Ce mot Ibn doit évidemment être supprimé.

On voit, par cette indication généalogique, que le blanc de la p. 297 du premier volume doit être rempli par le mot Ibrahim.

el-Khalouf demeura convaincu que le sultan Abou-l-Baca-Khaled était un homme perdu, et il chercha aussitôt à obtenir du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr la place de chambellan. S'étant donc procuré un sauf-conduit par l'entremise d'Othman-Ibn-Chibl, d'Othman-Ibn-Sebâ-Ibn-Yahya, chef des Douaouida, et du saint personnage, Yacoub-el-Melari, qui demeurait près de Constantine, il quitta Bougie précipitamment et alla chercher le sultan dans le Ferdjioua, contrée appartenant aux Sedouîkich. Il y trouva un excellent accueil et, vers minuit, il reçut l'invitation de passer, avec quelques-uns de ses affranchis européens, dans la tente du sultan. Par l'ordre de ce prince, on leur fit boire du vin et, quand Ibn-el-Khalouf fut entré en ivresse, on chercha à l'irriter par de mauvaises plaisanteries. Il leur répondit par des injures grossières et tomba sur-le-champ percé de leurs poignards. Son cadavre fut traîné à travers le camp et jeté derrière une tente; tous ses gens furent faits prisonniers, à l'exception de son secrétaire, Abd-Allah-Ibn-Hilal, qui réussit à s'échapper et à gagner le Maghreb. Le sultan partit à l'instant même et s'empara de Bougie par surprise. Devenu ainsi maître du royaume que son père avait fondé dans l'Ifrîkïa occidentale, il y resta pour attendre le retour de son chambellan, Ibn-Ghamr.

MORT DU SULTAN ABOU-'L-BACA.

ABOU-YAHYA-IBN-EL-LIHYANI

S'EMPARE DE TUNIS.

Le sultan Abou-'l-Baca-Khaled, ayant vu son autorité gravement compromise par l'inauguration du sultan Abou-YahyaAbou-Bekr, avait donné le commandement d'une armée à l'affranchi Dafer-el-Kebîr, avec la commission de marcher sur Constantine. Dafer était allé se poster à Bédja en attendant les dernières instructions de son maître, quand Abou-Yahya-Zékérïa, fils d'Ahmed, fils de Mohammed-el-Lihyani, fils d'AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, fils da cheikh Abou-Hafs, profita de la confusion qui régnait dans l'empire pour se faire proclamer sultan à Tripoli.

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