Images de page
PDF
ePub

Ibn-Abi-Omara se mit alors à courir les pays et, étant passé dans la province de Tripoli, il s'arrêta chez les Debbab. Ce fut là qu'il fit la rencontre d'un affranchi d'El-Ouathec appelé ElFeta-Nacir (le garçon Nacir), et surnommé Noubi (le Nubien). Cet homme, frappé de l'aspect d'Ibn-Abi-Omara, qui ressemblait beaucoup à El-Fadl, fils d'El-Ouathec, se mit à pleurer et à lui embrasser les pieds. L'autre lui demanda pourquoi il agissait ainsi, et, sur sa réponse, il lui dit : « Soutiens-moi dans. >> mes prétentions et tu me verras tirer vengeance de celui qui >> tua vos jeunes princes. » Nacîr courut aussitôt chez les chefs arabes en poussant des cris de joie et leur annonça qu'il venait de trouver le fils de son ancien maître. Ayant réussi à leur en imposer, il les trompa complètement en leur faisant répéter par Ibn-Abi-Omara une leçon qu'il lui avait apprise et qui se rapportait à certaines conversations qui eurent lieu entre ces Arabes et El-Ouathec. Parfaitement convaincus alors que c'était le prince El-Fadl, ils lui prêtèrent le serment de fidélité 1.

Morghem-Ibn-Saber-Ibn-Asker, émir des Debbab, entreprit de faire valoir les droits de ce prétendant, rassembla ses Arabes, et alla mettre le siége devant Tripoli, ville où commandait Mohammed-Ibn-Eiça-el-Hintati, surnommé populairement Onk-el-Fidda (cou d'argent). Ne pouvant s'en emparer, les insurgés allèrent à Zenzour et tombèrent sur les Medjrîs, population hoouarite qui demeurait dans le voisinage de cette ville. Ils parcoururent alors toute cette partie du pays et prélevèrent l'impôt chez les Lemaïa, les Zouaza2 et les Zouagha. Quant aux Nefouça, aux Gharîan et aux Maggher, tribus hoouarites, le prétendant les frappa d'une contribution extraordinaire. Il marcha ensuite sur Cabes où il reçut, en Redjeb 684 (oct. 1282), les hommages empressés d'Abd-el-Mélek-Ibn-Mekki, qui lui prêta le serment de fidélité « afin, disait-il, d'acquitter les >> obligations que je dois à vos aïeux, » mais, en réalité, pour frayer le chemin à l'indépendance qu'il ambitionnait pour lui

1 Dans le texte arabe, lisez bîatéhom.

2 Les manuscrits et le texte arabe imprimé portent Zouara.

même. Ce chef le fit alors reconnaître comme khalife par tous ses subordonnés et lui procura les services des Kaoub, tribu soleimide qui obéissait alors aux Beni-Chîha et qui se trouvait sous les ordres d'Abd-er-Rahman, membre de cette famille.

Le prétendant, ayant ensuite reçu l'adhésion des habitants de Djerba, d'El-Hamma et des villages du territoire des Nefzaoua, marcha sur Touzer et soumit cette ville ainsi que la province de Castilïa. Alors il remonta à Cafsa où il reçut aussi le serment de fidélité. La puissance et la renommée qu'il venait de conquérir décidèrent enfin le sultan Abou-Ishac à expédier une armée de Tunis pour le combattre.

LE SULTAN EST TRAHI PAR SES TROUPES ET S'ÉLOIGNE DE LA

CAPITALE.

La cause du prétendant avait fait un grand progrès dans la province de Tripoli et la plupart des villes s'étaient déclarées pour lui, quand le sultan plaça son fils, l'émir Abou-Zékérïa, à la tête d'une armée et l'envoya contre les insurgés. Arrivé à Cairouan, le jeune prince y leva des contributions dont il s'appropria une bonne partie. Ensuite, il se remit en marche et, parvenu à Camouda ', il apprit que le prétendant venait d'occuper la ville de Cafsa. Cette nouvelle s'étant répandue dans le camp, amena la dispersion de toute l'armée, et Abou-Zékérïa rentra à Tunis le dernier jour de Ramadan de l'an 681 (janvier 1283).

Le prétendant, qui était sorti de Cafsa pour se mettre à la poursuite d'Abou-Zékérïa, occupa Cairouan et s'y fit reconnaître comme sultan. L'exemple donné par cette ville entraîna dans la même voie El-Mehdia, Sfax et Souça.

Alors une grande agitation se déclara dans Tunis, et, vers le milieu du mois de Choual (janvier), le sultan fit dresser ses tentes en dehors de la ville, après avoir ordonné une levée en

Le texte arabe offre la leçon Temmouda.

masse. Quand il eut ainsi rassemblé une armée nombreuse, il la conduisit au camp, dans la province d'El-Mohammedïa', où il séjourna quelque temps afin d'équiper et organiser ses nouvelles troupes. L'approche d'Ibn-Abi-Omara, qui s'avançait de Cairouan pour leur livrer bataille, décida les divers corps de la milice, et les cheikhs almohades eux-mêmes à passer de son côté. Cette défection fut motivée par leur croyance aux droits légitimes du prétendant, par l'affection qu'ils portaient aux descendants d'El-Mostancer, khalife qui les avait gouvernés si longtemps, et par l'horreur que leur avait inspirée la conduite

du sultan envers El-Ouathec et ses enfants. Mouça-Ibn-Yacîn, grand officier de l'empire, passa ensuite à l'ennemi qui avançait toujours et entraîna avec lui la plus grande partie des troupes almohades. Il ne resta plus alors au sultan que de s'enfuir à Bougie, car tous les liens de sa puissance venaient de se briser.

LE SULTAN ABOU-ISHAC S'ENFUIT A BOUGIE ET LE PRÉTENDANT FAIT SON ENTRÉE A TUNIS.

:

Le dernier jour du mois de Choual 684 (31 janvier 1283), le sultan Abou-Ishac, se voyant abandonné par ses troupes, monta à cheval et partit pour Bougie avec les gens de sa maison et quelques soldats de la milice. En passant par Tunis, il fit une courte halte afin d'y prendre sa famille et, ensuite, il continua sa route. Dans ce voyage, il eut beaucoup à souffrir le froid était devenu excessif, les vivres se procuraient difficilement, la pluie et la neige tombaient sans s'arrêter. Pour ne pas être entièrement dépouillé par les tribus dont il traversait les territoires il dut leur céder une grande partie de ses trésors. Arrivé sous les murs de Constantine, il trouva les portes fermées; mais le gouverneur, Abd-Allah-Ibn-Youkian-el-Herghi, tout en lui

1 Dans le texte arabe, on a imprimé, par erreur, El-Mehdia.

2 Variantes: Aufnan, Bouknan, Bou-Fian. Cette dernière leçon est probablement la bonne.

refusant l'entrée de la ville, lui fit porter des vivres1. De là, il se dirigea sur Bougie où nous le retrouverons bientôt.

Après le départ du sultan, le prétendant fit son entrée à Tunis. Il prit alors pour vizir Mouça-Ibn-Yacîn, et donna la place de chambellan à Abou-'l-Cacem-Ahmed-Ibn-es-Cheikh. Ensuite, il ordonna l'arrestation du ministre des finances, AbouBekr-Ibn-el-Hacen-Ibn-Khaldoun, et après lui avoir confisqué ses biens et arraché toutes ses richesses par l'emploi de la torture, il le fit étrangler. La perception des revenus, devenue vacante de cette manière, fut confiée à Abd-el-Mélek-IbnMekki, seigneur de Cabes.

Le prétendant, après avoir pris les titres et emblèmes de la souveraineté, distribua les grands emplois de l'empire à ses courtisans et s'occupa d'une expédition contre Bougie.

L'ÉMIR ABOU-FARES USURPE LE POUVOIR SOUVERAIN A BOUGIE
AUSSITÔT APRÈS L'ARRIVÉE DE SON PÈRE.

Le sultan Abou-Ishac, chassé de sa capitale et dépouillé du prestige de la royauté, arriva à Bougie dans le mois de Dou-'l-Câda 684 (février 4283). Repoussé du palais par son fils, l'émir Abou-Fares, il dut aller s'installer dans le jardin appelé Raud-er-Refiâ, et, cédant aux injonctions de ce fils ingrat, il abdiqua le pouvoir en la présence des officiers almohades et des cheikhs de Bougie. Abou-Fares lui assigna alors pour. logement le château de l'Etoile, prit lui-même l'autorité suprême avec le surnom d'El-Motamed-ala-ʼllah (qui s'appuie sur Dieu), et reçut des habitants de la ville le serment de fidélité. Cette usurpation s'accomplit le dernier jour de Dou-'l-Câda 684 (2 mars 1283). S'étant ensuite adressé à ses alliés, les Rîah et les Sedouîkich, il les appela aux armes, laissa son frère,

Le texte arabe peut signifier aussi : quelques-uns des villages lui présentèrent des vivres.

l'émir Abou-Zékérïa, à Bougie en qualité de lieutenant, et marcha contre le prétendant, emmenant avec lui ses autres frères et son oncle, l'émir Abou-Hafs.

MORT D'ABOU-FARES ET DE SES FRÈRES.

MORT D'ABOU-ISHAC ET

FUITE D'ABOU-ZÉKÉRÏA A TLEMCEN.

Quand le prétendant eut appris l'usurpation d'Abou-Fares et ses préparatifs hostiles, il fit emprisonner tous les membres de la famille hafside [qui se trouvaient à Tunis], après avoir eu d'abord l'intention de les faire mourir. Dans le mois de Safer 682 (mai 4283), il quitta la capitale avec les troupes almohades et les divers corps de la milice. Le trois de Rebiâ premier (1er juin), il rencontra l'armée d'Abou-Fares à Mermadjenna et, à la suite d'un combat qui dura toute la journée, il la mit en pleine déroute. Abou-Fares lui-même fut lâchement abandonné par ses alliés et mourut les armes à la main. Son camp tomba au pouvoir des vainqueurs, et ses frères furent faits prisonniers et massacrés de sang-froid. L'un, Abd-el-Ouahed, mourut de la main. du prétendant; les autres, Omar et Khaled, ainsi que Mohammed, fils d'Abd-el-Ouahed, périrent également. Leurs têtes furent envoyées à Tunis et plantées sur les murailles de la ville, après avoir été portées sur des piques à travers les rues. L'émir AbouHafs, oncle d'Abou-Fares, parvint à s'échapper, ainsi que nous le raconterons plus loin.

Quand la nouvelle de ce désastre fut connue à Bougie, une vive agitation s'y déclara, et le tumulte devint extrême. Le cadi de la ville, Abou-Mohammed-Abd-el-Monem-Ibn-Atîc-el-Djezaïri, convoqua les habitants afin de conférer avec eux sur la situation des affaires, mais on s'émeuta contre lui et on massacra son fils qui avait osé leur adresser une réprimande. AbouMohammed, embarqué de force, fut renvoyé à Alger, sa ville natale, et le sultan Abou-Ishac partit pour Tlemcen avec son fils, l'émir Abou-Zékérïa. Le peuple prit alors pour chef Mo

« PrécédentContinuer »