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pouvoir et convoqua les grands dignitaires de l'empire, afin d'abdiquer en faveur de son cousin, le sultan Abou-Ishac. Ceci se passa le 1er du mois de Rebiâ premier de l'an 678 (13 juillet 1279). Quittant alors le palais impérial, qui était situé dans la citadelle, il alla se loger dans la maison nommée Dar-el-Acouri. En perdant ainsi le trône, il perdit toute sa considération.

LE SULTAN ABOU-ISHAC OCCUPE LA CAPITALE.

Quand le sultan Abou-Ishac reçut la dépêche que son frère l'émir Abou-Hafs et Ibn-Djamê lui avaient expédiée de Bédja, il se hâta d'aller les joindre, et ayant ensuite appris l'abdication de son neveu El-Ouathec, il se porta en avant, accompagné de tout son monde. Les habitants de Tunis, classés par corps et métiers, s'empressèrent d'aller au-devant de lui pour témoigner leur obéissance, et, vers le milieu du mois de Rebià second, il fit son entrée dans la capitale de l'empire. Mohammed-Ibu-AbiHilal remplit auprès de lui les fonctions de premier ministre; celles de grand chambellan furent confiées à Abou-'l-CacemIbn-es-Cheikh, ancien secrétaire d'Ibn- Abi-'l-Hocein, et celles de ministre des finances à Abou-Bekr[-Mohammed], fils d'ElHacen-Ibn-Khaldoun. Ce personnage était venu de Séville avec son père, El-Hacen, pour faire valoir leurs droits à la bienveillance de l'émir Abou-Zékérïa. En effet, ce fut de [leur proche parent] Ibn-el-Mohteceb que ce prince reçut en cadeau la belle esclave qui donna le jour à ses fils et que l'on nommait [pour cette raison] Omm-el-Khalaïf (la mère des khalifes). AbouZékérïa leur fit une très-honorable position. Plus tard, El

Dans l'errata de l'édition arabe, nous avons proposé une correction et nous l'avons adoptée dans la traduction. Même avec ce changement, le passage ne serait guères intelligible sans le secours de deux citations de l'Autobiographie que nous reproduisons ici : « Nos ancêtres de » Séville s'étaient attachés à la cause des Almohades, et, quand l'émir » Abou-Zékérïa, fils d'Abd-el-Ouahed le hafside, gouverna l'Ifrîkïa, un » de nos aïcux maternels, nommé Ibn-el-Mohteceb, lui fit cadeau

Hacen partit pour l'Orient où il mourut; mais son fils resta à Tunis. A peine l'émir Abou-Ishac eut-il fait son entrée dans la capitale, qu'il nomma Abou-Bekr au ministère des finances, charge qui, jusqu'alors, avait été remplie par des Almohades. Fadl-Ibn-Ali-Ibn-Mozni obtint le gouvernement du Zab, autre poste où l'on avait toujours auparavant installé un chef almohade, et il dut cette faveur à la reconnaissance du sultan dont il avait été le compagnon d'exil en Espagne. Son frère Abdel-Ouahed-Ibn-Mozni fut nommé gouverneur de Castilia.

Après ces nominations, le sultan fit arrêter Ibn-el-Habbeber et le livra à Mouça-Ibn-Mohammed-Ibn-Yacîn, pour être mis à la question jusqu'à ce qu'il eut dégorgé toutes ses richesses. On trouva [au cou du prisonnier], où l'on porte ordinairement des amulettes, plusieurs sceaux et talismans de diverses formes au moyen desquels, dit-on, il avait fasciné l'esprit de son souverain. Ces objets lui portèrent malheur : il fut soumis aux mêmes genres de torture que sa victime, Saîd-Ibn-Abi-Hocein, avait subis; comme lui, il fit serment d'avoir déclaré toutes ses richesses, et, comme lui, il mourut dans les tourments. Cette exécution eut lieu dans le mois de Djomada premier de cette année (sept-oct. 1279). Dieu ne lésera [qui que ce soit], pas [même] pour le poids d'un atome1.

En l'an 678, quand le sultan se fut bien raffermi sur le trône, il fit arrêter et mourir Mohammed-Ibn-Abi-Hilal qu'il regardait comme un homme dangereux, toujours porté vers l'intrigue et la trahison.

» d'une jeune esclave galicienne dont il fit sa concubine. Il eut d'elle » plusieurs enfants et elle reçut, pour cette raison, le titre d'Omm-el» Khalaif. » — « Notre aieul, Ibn-el-Mohteceb, émigra en Afrique et > fut traité avec une haute distinction par Abou-Zékérïa. Il vécut dé» sormais à l'ombre tutélaire de l'empire hafside, jouissant des faveurs » du prince qui lui avait assigné un traitement et accordé plusieurs » fiefs. »

Coran, sourate iv, verset 44.

Le texte de l'auteur porte 676.

EL-OUATHEC ET SES ENFANTS SONT MIS A MORT.

El-Ouathec resta, quelques jours seulement dans la maison où il s'était retiré après avoir abdiqué le pouvoir et où il avait emmené de ses jeunes enfants El-Fadl, Et-Taher et Et-Taîïb. Le sultan Abou-Ishac, ayant entendu dire qu'il espérait soulever le peuple et qu'il avait pratiqué des intelligences avec quelques officiers de la milice chrétienne, fut très-inquiet de l'influence qu'on lui attribuait encore et donna l'ordre de le mettre en prison ainsi que ses enfants. On les enferma dans la même chambre de la citadelle où, sous le règne d'El-Mostancer, on avait détenu les enfants d'Abou-Ishac. Dans la nuit qui suivit. cette arrestation, ils furent tous égorgés par des émissaires du nouveau souverain. Ceci se passa dans le mois de Safer 679 (juin 1280). S'étant assuré le pouvoir de cette manière, AbouIshac confia un commandement à son fils.

L'EMIR ABOU-FARES, FILS DU SULTAN ABOU-ISHAC, EST NOMMÉ

GOUVERNEUR DE BOUGIE.

:

Abou-Ishac avait cinq fils Abou-Fares-Abd-el-Azîz, AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, Abou-Zékérïa-Yahya, Khaled et Omar. Quand leur père s'enfuit chez les Rîah, El-Mostancer les fit enfermer dans un appartement du palais, pour y être élevés sous ses yeux, et il pourvut abondamment à tous leurs besoins. Rendus à la liberté, lors de l'avènement de leur père, ils virent leur fortune grandir avec la sienne et leur bonheur s'épanouir à l'ombre de sa puissance. Entourés de grandeurs, ils ne pensèrent qu'à récompenser tous ceux qui leur avaient rendu des services, et ils obtinrent de l'indulgence du sultan les moyens de satisfaire leurs sentiments généreux.

El-Fadl, l'aîné de ces frères, n'était pas un jeune enfant; deux années plus tard, il souleva les tribus, lui ou le prétendant qui le représentait, et s'empara du trône.

Il faut corriger le texte arabe et lire thielhom à la place de dhillhom.

Abou-Fares, l'aîné de tous, se fit d'autant plus remarquer que son père l'avait formellement désigné comme héritier du trône. Au nombre de ceux qui avaient mérité sa reconnaissance et son amitié se trouvèrent deux frères, Ahmed et Abou-'l-Hocein, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas-el-Yameri et membres d'une des premières familles de Séville. Leur père savait par cœur et enseignait les traditions relatives au Prophète; comme legiste il suivait les opinions de Dawoud1 et, à l'exemple des docteurs de cette école, il se tenait strictement à la lettre de la loi.

De toutes les villes de l'Espagne, Séville fut celle qui entretenait les rapports les plus suivis avec l'émir hafside AbouZékérïa et avec ses descendants; conséquence naturelle de la souveraineté que ce prince avait exercée dans l'Andalousie occidentale. Aussi, quand le roi chrétien s'acharna sur ce pays. dont il enlevait les forteresses, dévastait les campagnes et menaçait les grandes villes, les chefs des principales familles musulmanes et les savants les plus illustres de l'Espagne passèrent dans les deux Maghrebs, et surtout en Ifrîkïa, afin de se rendre à Tunis, siége du puissant empire des Hafsides. Le traditionniste Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas, prévoyant que la désorganisation des états musulmans d'Espagne et l'imprévoyance des habitants devaient amener une grande catastrophe, prit la résolution d'émigrer à Tunis où il avait eu autrefois des relations avec les khalifes hafsides. Accueilli honorablement par le sultan [El-Mostancer], il devint professeur de jurisprudence dans le collége situé auprès des Bains du Bel-Air (Hammam-el-Houa) et fondé par Omm-el-Khalaïf, mère du sultan.

Ahmed et Abou-'l-Hocein furent élevés dans le palais, aux frais du gouvernement, en considération des services que leur

4 Abou-Soleiman-Dawoud, fondateur de l'école des Daherites, c'està-dire extérieuristes, qui négligeaient l'esprit de la loi pour s'en tenir à la lettre, naquit à Koufa en l'an 202 (817-8). Il fit ses études à Baghdad; il y enseigna ses doctrines et il y mourut en 270 (884). On trouvera une notice de ce docteur dans ma traduction anglaise du Dictionnaire biographique d'Ibn-Khalikan, vol. 1, p. 504.

père Abou-Bekr avait rendus à la famille royale; mais, au lieu de cultiver les sciences, ils recherchèrent les biens de ce monde et ambitionnaient de hautes positions dans l'administration de l'État. S'étant adressés aux fils d'Abou-Ishac, qui étaient alors détenus dans le palais, ils gagnèrent leur confiance et furent admis à leur service; aussi, quand Abou-Fares fut déclaré héritier du trône avec le rang de vizir, Ahmed se vit comblé d'honneurs par le jeune prince, dont il devint aussi le chambellan. Abou-'l-Hocein, de son côté, parvint à un aussi haut degré de faveur que son frère. Une si brillante fortune excita l'envie des courtisans; on chercha à jeter de l'inquiétude dans l'esprit du sultan et à l'indisposer contre son fils qui, disait-on, conspirait avec Ahmed-Ibn-Séïd-en-Nas dans le but de s'emparer de l'empire. Le principal meneur de cette cabale fut Abd-el-OuehhabIbn-Caïd-el-Kelaï, l'un des secrétaires d'État et chargé alors d'écrire le paraphe impérial. Le sultan ajouta foi à ces dénonciations et, dans le mois de rebiâ second, 679 (août 1280)', il envoya chercher Ahmed et le fit tuer à coups de sabre. Le cadavre fut jeté dans un souterrain. Quand l'émir Abou-Fares apprit cette nouvelle, il revêtit des habits de deuil, monta à cheval et se rendit au palais. Le sultan essaya de dissiper la douleur de son fils en lui déclarant qu'il avait découvert la perfidie d'IbnSeïd-en-Nas et ses complôts contre l'État. En même temps il enleva de se propres mains l'habillement noir dont le prince s'était couvert.

Abou-'l-Hocein fut assez heureux pour échapper à la mort : après s'être caché pendant quelques jours, il avait été arrêté ainsi que plusieurs autres serviteurs et intimes d'Abou-Fares; mais, au bout d'un certain temps, il fut remis en liberté. Dans la suite de cette histoire nous aurons encore à parler de lui.

Le sultan fit tout ce qui lui était possible pour rassurer l'esprit de son fils et, voulant effacer jusqu'aux dernières traces du mécontentement qui pouvaient rester dans le cœur du jeune prince,

Ici et plus loin, notre auteur a mis, par mégarde, la date de 669.

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