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Din (Saladin)-Youçof, fils d'Aïoub le kourd, eut rétabli l'autorité spirituelle des khalifes abbacides en Egypte, en Syrie et er Hidjaz, les chérifs de la Mecque avaient continué à reconnaître la souveraineté de cette famille. Le droit de commander les pèlerins et d'administrer la ville demeura, toutefois, entre les mains de [Salah-ed-Dîn] qui le transmit à ses descendants, desquels il passa à leurs affranchis, ainsi que cela se voit encore de nos jours. Il s'éleva bientôt de vives contestations entre ces affranchis et les chérifs, et la lutte durait encore quand les Tatars vinrent renverser le khalifat de Baghdad et que la dynastie hafside s'éleva en Afrique, forte des voeux et de l'appui des peuples.

Il se trouvait alors domicilié à la Mecque un soufi [ou docteur ascétique] qui s'appelait Abou-Mohammed [-Abd-el-Hack]-IbnSebâïn. Cet individu, ayant quitté Murcie, sa ville natale, s'était d'abord rendu à Tunis, et, comme il était profondément versé dans la connaissance de la loi et des sciences intellectuelles, it avait affiché la prétention de s'être dompté au point de pouvoir marcher droit dans la voie du soufisme. Il professait même une partie des doctrines extravagantes que l'on apprend dans cette école, et il enseignait ouvertement que rien n'existe excepté Dieu, principe dont nous avons parlé dans notre chapitre sur les soufis exagérés 2. Il prétendait même s'être acquis la faculté de régir selon sa volonté toutes les diverses espèces d'êtres [et

1 Avant la conquête de l'Egypte par Saladin et la chute des Fatemides, laquelle en fut la conséquence, ce pays, ainsi que la Syrie et la partie de l'Arabie qui s'appelle le Hidjaz et qui renferme la ville de la Mecque, reconnaissaient l'autorité spirituelle et temporelle des khalifes fatemides.

Le tome xi du

Ce chapitre se trouve dans les Prolegomènes. recueil des Notices et Extraits, etc., renferme une notice des Vies des Soufis de Djamê, dans laquelle M. de Sacy donne une savante exposition des doctrines du soufisme. Il y a inséré le texte et la traduction du chapitre auquel Ibn-Khaldoun renvoie le lecteur.

3 Il faut corriger le texte arabe et lire tesarrof à la place de tesauwofVoy. Notices et Extraits, t. XII, pp. 303, 30, ainsi que le texte arabe. p. 297, lignes 6 et 8.

opérer des miracles]. Par suite de ces opinions, il se vit attaqué dans ses croyances religieuses et accusé de professer une doctrine. impie et contraire aux bonnes mœurs; il finit même par encourir la réprobation d'Abou-Bekr-Ibn-Khalil-es-Sekouni, ancien chef des théologiens de Séville et alors chef de ceux de Tunis. Comme celui-ci avait déclaré qu'on devait poursuivre IbnSebâïn comme criminel, les muftis et les traditionnistes s'acharnèrent contre le novateur dont ils repoussèrent les prétentions extravagantes. Craignant que ses adversaires trouvassent assez de preuves pour le faire condamner, cet homme passa en Orient et se fixa à la Mecque. Réfugié là, dans l'asile inviolable du temple, il se lia d'amitié avec le chérif, seigneur de la ville, et l'encouragea dans la résolution qu'il avait formée de reconnaître la souveraineté d'El-Mostancer, sultan de l'Ifrikia. Voulant capter la bienveillance de ce monarque et trouver le moyen de se venger à son tour, il composa et traça de sa propre main la lettre par laquelle les chérifs de la Mecque acceptaient ce prince pour souverain 1.

Quand le sultan reçut cet écrit, il convoqua tous les dignitaires de l'empire ainsi que le peuple, afin de leur en donner lecture. Le cadi Abou-'l-Berra, prédicateur de la cour, prit ensuite la parole et, à la suite d'un long discours sur l'admirable style de la lettre, il signala l'excellent effet qu'elle devait produire dans le monde en faisant connaître le nouvel éclat que la gloire du sultan et de son royaume venait de recevoir par l'empressement des habitants de la Ville Sainte à reconnaître son autorité. Il termina son discours par une prière pour la prospé

Dans le texte arabe, cette lettre remplit onze pages. Elle se compose d'allusions coraniques, scolastiques, métaphysiques, cabalistiques, mystiques, historiques et grammaticales, entremêlées de jeux de mots intraduisibles et de jeux d'esprit presqu'insaisissables. Bien que nous ayons compris la plus grande partie de ces graves futilités, nous n'avons pas essayé de les traduire, puisqu'il faudrait, en outre, un long commentaire pour les rendre intelligibles. La reconnaissance d'ElMostancer par les habitants de la Mecque est le seul fait qui y est énoncé. L'auteur, Ibn-Sebâin, mourut en 669 (1270).

rité du monarque et renvoya l'assemblée. Ce fut là un des plus beaux jours de l'empire.

LES BENI-MERIN ET LE ROI DES NOIRS ENVOIENT DES AMBASSADES AU SULTAN HAFSIDE.

Quand les Beni-Merin eurent fait leur soumission à l'émir Abou-Zékérïa et reconnu la souveraineté des Hafsides, ils décidèrent les habitants de Miknaça (Mequinez), de Tèza, d'El-Casr et des autres localités qui leur étaient tributaires à expédier au sultan des adresses de félicitation et de dévouement. Après l'avènement d'El-Mostancer au trône de Tunis et la proclamation d'El-Morteda comme souverain de Maroc, une guerre prolongée, dont nous avons déjà parlé et dont nous rapporterons ailleurs les détails, eut lieu entre les Mérinides et les Almohades marocains.

En l'an 652 (1254), l'émir Abou-Yahya, fils d'Abd-el-Hack, envoya au sultan hafside une députation de cheikhs mérinides chargée de lui présenter les hommages et la soumission des habitants de Fez. L'arrivée de cette ambassade produisit une sensation profonde dans tout l'empire, et le sultan lui-même en témoigna sa haute satisfaction par l'accueil bienveillant qu'il fit aux envoyés et par les présents dont il les combla au moment de leur départ.

Après la mort d'Abou-Yahya, son frère et successeur, Yacoub, expédia au sultan une nouvelle députation avec de riches cadeaux. Cette mission eut pour but d'obtenir l'appui d'El-Mostancer contre le sultan almohade, El-Morteda, et de lui donner l'assurance que son autorité serait établie dans Maroc aussitôt que les Mérinides deviendraient maîtres de cette ville. Plusieurs autres députations mérinides parurent successivement à la cour du sultan jusqu'à l'époque où Maroc succomba.

En l'an 655, le sultan El-Mostancer reçut un riche cadeau de

Voy., ci-devant, p. 250 et suivantes.

la part d'un roi des Noirs, souverain de Kanem et seigneur de Bornou, ville située sur le méridien de Tripoli. Parmi les offrandes que cette députation nègre lui remit, se trouva une giraffe, animal dont les caractères extérieurs sont des plus disparates. Les habitants de Tunis coururent en foule pour la voir, de sorte que la plaine regorgeait de monde, et ils ressentirent un étonnement profond à l'aspect d'un quadrupède dont la forme si étrange rappelait, à la fois, les marques distinctives de plusieurs animaux de diverses espèces.

En l'an 638 (1260), le prince Don-Henri, qui s'était brouillé avec son frère, le roi de Castille, vint à Tunis. Le sultan le combla d'égards et de dons; il l'établit à sa cour de la manière la plus magnifique et lui prodigua ces marques de considération que l'on réserve pour les souverains et les personnages du plus haut rang'.

Cette suite d'ambassades contribua beaucoup à étendre la renommée et l'influènce de l'empire.

MORT D'IBN-EL-ABBAR.

Abou-Abd-Allah-Ibn-Abbar, homme d'un vaste savoir et membre du corps des cheikhs de Valence, était profondément versé dans la connaissance de la sonna et de la langue arabe; il avait, de plus, obtenu une grande réputation comme rédacteur de lettres [officielles] et comme poète. A Valence, il avait servi, en qualité de secrétaire, le cîd Abou-Abd-Allah, fils d'Abou-Hafs, fils d'Abd-el-Moumen; et, plus tard, il remplit les mêmes fonctions auprès du cîd Abou-Zeid, fils du précédent. Il l'accompagna même chez les chrétiens; mais, quand il le vit

1 En l'an 1259, l'infant Don Henri prit les armes contre son frère Alphonse x, roi de Castille. Il essuya une défaite et, ne pouvant trouver un asile en Espagne, il se retira auprès du roi de Tunis qu'il servit pendant sept ans. (Ferreras, t. IV, pp. 235, 256.)

2 Voy. t. 1, p. 82, note.

embrasser la religion de ce peuple, il aima mieux le quitter que suivre un tel exemple 1. Ensuite, il devint secrétaire de Zian-IbnMerdenîch, et, à l'époque où le roi [d'Aragon, Don Jayme] vint assiéger Valence, il partit avec la députation qui devait présenter à l'émir Abou-Zékérïa le document par lequel Zian et les habitants de cette ville reconnaissaient la souveraineté de l'empire hafside. Ayant été alors présenté au sultan, il lui récita le poème si bien connu dans lequel il implore l'appui de ce monarque contre l'ennemi. Abou-Zékérïa y répondit par l'envoi de plusieurs navires chargés de vivres, d'argent et d'objets d'habillement.

Voyant que la ville de Valence allait succomber, Ibn-elAbbar repartit avec sa famille pour Tunis où il comptait être bien reçu. Accueilli avec faveur par le sultan et nommé écrivain de l'alama, il fut chargé de tracer le paraphe impérial en tête de toutes les lettres et écrits émanant du souverain.

Quelque temps après, le même prince, qui préférait l'écriture de l'Orient à celle de l'Occident, résolut de confier cet emploi à Abou-'l-Abbas-el-Ghassani, qui écrivait parfaitement bien le paraphe en caractères orientaux. Ibn-el-Abbar ressentit une vive indignation, quand on vint lui annoncer que le sultan, tout en lui laissant la rédaction des pièces officielles, exigeait que la place du paraphe y fût laissée en blanc, afin d'être remplie par une autre main; et, sans avoir égard à cet ordre, il profita de sa position comme seul rédacteur autorisé, pour tracer cette marque comme auparavant. Aux remontrances qu'on lui adressa à ce sujet, il répondit par des paroles de colère et, perdant toute retenue, il jeta sa plume et prononça le vers suivant, dont il faisait l'application à lui-même :

Recherche l'honneur, fût-il dans l'enfer ;

Fuis le déshonneur, fût-il dans le ciel.

Le sultan, auquel on eu eut soin de raconter cette scène, fit donner

Herreras place la conversion de ce prince en l'an 4230. 2 Voy., ci-devant, p. 307.

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