pour la ruiner, jamais il ne dort, jamais il ne sommeille. Les environs frisonnèrent d'horreur quand il vint les occuper et mutiler leurs monuments superbes. Le champ lui est resté libre, et ses mains s'étendent pour saisir [un prix] auquel, à pas furtifs, il n'avait jamais pu atteindre [autrefois]. Resté sans rival, il a vanté la doctrine de la trinité; mais si les unitaires déployaient leur étendard, il n'oserait dire une parole. Prince miséricordieux! renoue le câble du [navire espagnol] auquel une guerre acharnée n'a laissé ni cáble, ni mouillage. Fais revivre ce que l'ennemi y a détruit, de même que tu as remis en vie la doctrine du Mehdi. Dans ces jours-là, tu fus le premier à courir au secours de la vérité, et, chaque nuit, tu t'éclairais à la lumière de cette loi directrice. Tu fus alors le champion de la cause de Dieu; [on t'y voyait agir] comme l'épée tranchante et comme le nuage qui verse ses eaux [bienfaisantes]. Tu as dissipé les ténèbres répandues par la doctrine almoravide3, ainsi que les rayons du matin chassent la nuit ob scure. Voici des lettres, messagers qui invoquent ton aide; car tu es le meilleur de ceux en qui l'homme réduit au désespoir puisse placer sa confiance. Un navire, heureusement dirigé, est venu te trouver; il espère reconnaitre en toi le seigneur bien-aimé, le maître intelligent. Porté sur l'Océan et ballotté par les vagues, il a essuyé également de légères et de rudes [épreuves]. 1 Malgré le texte et les manuscrits, je lis ardjaoha au nominatif. • Ou Almohades. 3 Le texte dit les ténèbres écrites par l'incorporation; c'est-à-dire la doctrine de l'anthropomorphisme. Voy. ci-devant pp. 257, 258 Poussé par la tempête, il a déployé ses derniers efforts, à l'instar du coursier auquel tu fais déployer [ce qui lui reste de forces] pour atteindre le bout de la carrière. Il est venu trouver [Abou– Zékérïa-] Yahya, fils d'Abd-elOuahed, fils d'Abou-Hafs, afin de baiser le sol que sa présence a sanctifié. Ce prince auquel bien des royaumes obéissent comme seiyneur spirituel et temporel; maintenant qu'ils ont revélu la robe de sa bienveillance. [Il est venu trouver un prince] dont chaque voyageur s'empresse de baiser la main, et vers lequel chaque malheureux accourt pour obtenir des bienfaits. [Un prince] favorisé de Dieu, dont les flèches frapperaient les étoiles, s'il lui plaisait d'y viser, et auquel la limite du monde dirait, sans hésiter : « Me voici à ton service, » s'il lui ordonnait d'approcher. [A lui appartient] un émirat dont le drapeau est porté par la main du destin, et un empire dont la puissance entraîne tous les obstacles1. Chez lui, la lumière du jour provient de l'éclat de ses dents, et la couleur foncée de ses lèvres fournit des ténèbres à la nuit 2. On le croirait la lune, entouré, comme il l'est, d'un halo de gloire et d'une garde de lances qui étincellent [comme les étoiles]. A lui, appartiennent deux stations: la terre et les pléiades; stations auxquelles ce qui est exalté [les planètes] et ce qui est enraciné dans la terre [les montagnes] doivent céder en sublimité. Roi favorisé de Dieu! tu seras pour l'Espagne un [signe de] majesté devant lequel les ennemis de la foi tomberont renversés. 1 Le mot el-caaça paraît tirer sa signification du verbe dérivé tacaaça. 2 Dans la poésie arabe, on dit que les dents d'une belle personne répandent une clarté comme celle du jour et que l'incarnat de ses lèvres. est tellement foncé qu'il ressemble aux ténèbres de la nuit. On regarde comme une nouvelle certaine que tu dois rendre la vie à ce pays en donnant la mort aux rois des Francs1. Purifie [par le sang] ton pays [l'Espagne] de la souillure que lui imprime la présence de l'ennemi; la pureté ne s'obtient qu'en lavant les souillures. que Qu'une armée invincible foule le sol espagnol, jusqu'à ce la tête de chaque chef s'abaisse [devant toi]. Porte secours à tes serviteurs qui, au fond de l'Espagne orientale, ont les yeux remplis de larmes 2. Ils se sont dévoués à ton service; mais leur séjour, miné par une maladie, va s'écrouler, à moins que tu n'y portes remède. Jouis d'avance du bonheur que tu goûteras en dotant l'Andalousie de chevaux sveltes et de lances effilés. Indique lui l'époque de la victoire qu'elle s'attend à remporter; espérons que le [dernier] jour de l'ennemi va bientot arriver ! L'émir Abou-Zékérïa exauça cette prière et fit partir pour l'Espagne une flotte chargée de vivres, d'armes et d'argent, le tout évalué à cent mille pièces d'or. Abou-Yahya, fils de YahyaIbn-es-Chehîd le hafside, qui commandait cette expédition, parut devant Valence et, trouvant la ville étroitement bloquée [ainsi que nous l'avons dit], il alla débarquer ces munitions à Dénia. Comme personne ne s'y présenta au nom d'Ibn-Merdenîch pour les recevoir, il prit le parti de tout vendre et d'en rapporter le prix. Valence souffrait alors à un tel degré par suite du blocus qu'un grand nombre des habitants mourut de faim; aussi, dans le mois de Safer 636 (sept.-oct. 1238), la gar 1 Littéralement aux rois des jaunes. Les empereurs romains, après Vespasien, adoptèrent le surnom de Flavius, et les rois Goths d'Espagne en firent de même. C'est probablement pour cette raison que les musulmans donnent aux peuples chrétiens les noms de Beni-'l-Asfer (enfant du jaune) et Beni-'s-Sofr (enfants des jaunes). Ils auront pris Flavius pour flavus. Le poète ajoute ici qui coulent par pair et impair; c'est-à-dire avec abondance.. nison entra en pourparlers et livra la place à Djacma (Jayme), roi d'Aragon. Ibn-Merdenîch quitta la ville lors de cette capitulation et passa dans l'île de Xucar où il fit proclamer la souveraineté d'Abou-Zékérïa. Quant à Ibn-el-Abbar, il repartit pour Tunis et entra au service du sultan. Ibn-Merdenîch ayant été expulsé de Xucar par l'ennemi qui était venu l'y assiéger, se rendit à Denia, dans le mois de Redjeb (février-mars 1239) de la même année, et fit prêter aux habitants le serment de fidélité envers Abou-Zékérïa. Ensuite, il pratiqua des intelligences avec les habitants de Murcie qui, vers le commencement de l'année, avaient reconnu pour souverain Abou-Bekr-Azîz-Ibn-Abd-el-Mélek-Ibn-Khattab. Secondé par eux, il força les portes de la ville, dans le mois de Ramadan (avril-mai 1239), ôta la vie à ce chef, envoya à l'émir AbouZékérïa l'adhésion des habitants et rangea sous son obéissance l'Andalousie orientale. En 637 (1239-40), ses ambassadeurs lui rapportèrent de Tunis un acte qui le confirmait dans le gouvernement de ce pays. Il s'y maintint encore un an; mais, s'étant laissé enlever la ville de Murcie par Ibn-Houd, il dut se retirer dans la forteresse de Lecant-el-Hosoun (Luchente). En l'an 644 (1246), quand le roi de Barcelonne lui enleva cette place1, il se rendit à Tunis. ÉLÉVATION ET CHUTE D'EL-DJOUHERI. Mohammed, fils de Mohammed-el-Djouheri (le joailler), s'était acquis une haute réputation par les talents qu'il déploya au service d'Ibn-Agmazîr-el-Hintati, gouverneur de Ceuta et du pays des Ghomara, mais son habileté dans les affaires était encore moins grande que son ambition. Ayant obtenu une place, à Tunis, dans les bureaux du gouvernement, il rechercha toutes les occasions qui pourraient contribuer à lui gagner la faveur du souverain et à se faire donner de l'avancement. Les impôts Le château de Luchente fut pris en 4248, selon Ferreras. fournis par les peuplades berbères qui campaient au milieu des Arabes nomades, n'étaient pas encore fixés d'une manière précise, on ne les enregistrait même pas dans les bureaux. Cette circonstance ayant amené El-Djouheri à conclure que les percepteurs et les gouverneurs des provinces en détournaient une bonne partie à leur profit, il obtint la direction de cette branche des contributions et en fit rentrer et enregistrer pour une valeur considérable. L'emploi qu'on venait de lui accorder forma une administration à part sous le nom de bureau des nomades 1. La réputation qu'il sut acquérir dans l'exercice de ses nouvelles fonctions le fit remarquer par tous les fonctionnaires publics et lui attira la faveur et la confiance du souverain. La mort d'Abou'r-Rebia-Ibn-el-Ghoreigher-el-Guenficeni 2, directeur général des contributions à Tunis, eut lieu vers cette époque, et El-Djouheri réussit à obtenir sa nomination à la place vacante, bien que, jusqu'alors, elle n'avait jamais été confiée qu'à l'un ou à l'autre des grands cheikhs almohades; mais il avait tellement plu au sultan par son zèle et son habileté, que cette nomination n'éprouva aucune difficulté. Parvenu enfin à la position qu'il avait si ardemment recherchée, El-Djouheri crut faire servir son élévation au profit de son ambition : il adopta l'habillement militaire, équipa à ses frais un corps de cavalerie et, toutes les fois qu'il allait guerroyer contre les bédouins, il s'entourait des emblèmes de la royauté. Pendant qu'il poursuivait ainsi sa carrière, Abou-Ali-Ibn-enNoman et Abou-Obeid-Allah-Ibn-Abi-'l-Hacen travaillaient à le perdre. Mécontents du peu d'égards qu'il leur avait témoigné, ils cherchaient à le desservir auprès du sultan, auquel ils représentèrent qu'un tel homme était fort à craindre et qu'il pourrait se mettre en révolte au moment où l'on s'y attendrait le moins. Il est vrai qu'El-Djouheri donnait beau jeu à ses ennemis par sa * En arabe : aml el-Omoud (administration de l'omoud). L'omoud est le bâton ou mat qui soutient la tente des nomades. 2 Variente el-Guenfili. |