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parer d'El-Mehdia, ce fut Abou-Hafs à qui il confia le gouvernement du Maghreb pendant son absence.

L'on rapporte que, dans les dernières injonctions d'Abd-elMoumen à ses fils, il leur adressa ces paroles: « De tous les » disciples de l'imam El-Mehdi il n'en reste maintenant qu'[Abou>> Hafs-]Omar-Ibn-Yahya et Youçof- Ibn-Soleiman; quant à >> Omar, il est de vos amis, mais quant à Youçof, il faut vous >>> en débarrasser : chargez-le d'une expédition en Espagne, et >> faites-en de même à l'égard de tous les Masmouda dont vous >> ne serez pas contents. Quant à Ibn-Merdenîch, laissez-le >> tranquille tant qu'il ne se mêlera pas de vos affaires et, atten>> dez, pour le frapper, que la fortune se soit déclarée contre lui. » Eloignez de l'Ifrîkïa les Arabes et transportez-les en Maghreb; >> ils vous serviront de corps de réserve si vous avez à com>> battre Ibn-Merdenîch. >>

Quand Youçof, fils d'Abd-el-Moumen, monta sur le trône, le cheikh Abou-Hafs s'abstint de lui jurer fidélité et, par cette conduite, il donna de graves inquiétudes aux Almohades; mais, ayant enfin reconnu le mérite du nouveau sonverain à un jugement qu'il lui entendit prononcer dans une séance royale, il lui offrit l'hommage de sa fidélité, en déclarant à haute voix qu'il l'acceptait pour khalife. A la suite de cet événement, qui remplit de joie les partisans de Youçof, ce monarque prit, en l'an 563 (1167-8), le titre de Commandant des croyants (Emir-elMoumenin) 3.

Lors de l'avènement de Youçof, les Ghomara et les Sanhadja, travaillés par l'esprit du désordre, s'étaient laissés entraîner dans la révolte, l'an 562, par Sebâ-Ibn-Menaghfad. Le cheikh Abou-Hafs reçut alors la commission de leur faire la guerre et, dans l'accomplissement de cette tâche, il se couvrit de gloire.

1 Voy. p. 494 de ce volume.

Dans le texte arabe, on a imprimé, par erreur, le mot Youçof avec un sad.

3 Ceci eut lieu cinq ans après son avènement au trône. L'auteur du Cartas s'accorde, sur ce point, avec Ibn-Khaldoun.

Youçof lui-même marcha ensuite contre les rebelles et acheva leur soumission par le châtiment sévère qu'il leur infligea.

En l'an 564 (1468-9), Youçof prit la résolution de traverser le Détroit afin de secourir l'Espagne musulmane, sur laquelle le roi chrétien s'était rué avec acharnement, et afin de lui arracher Badajos dont l'occupation avait été le résultat d'une trahison'. Avant de se mettre en route, il y fit passer une armée almohade. Le cheikh Abou-Hafs, auquel il donna la conduite de cette expédition, s'établit à Cordoue, réunit sous ses ordres tous les princes de la famille d'Abd-el-Moumen qui commandaient en Espagne et délivra la ville de Badajos au moment même où elle allait succomber. Dans cette campagne, Abou-Hafs remporta plusieurs victoires éclatantes sur les infidèles. En l'an 571 (1175-6), il quitta Cordoue avec l'intention de rentrer à Maroc; mais il mourut avant d'y arriver. On l'enterra à-Salé où il avait rendu le dernier soupir.

Ses enfants jouissaient de tant de considération, qu'après sa mort, ils alternaient avec les fils d'Abd-el-Moumen dans les gouvernements de l'Espagne, du Maghreb et de l'Ifrîkïa. Ce fut ainsi que [Yacoub]-el-Mansour, au commencement de son règne, confia le gouvernement de l'Ifrikïa à Abou-Said-Ibn-Abi-Hafs, celui dont on connaît la transaction avec [Ibn-] Abd-el-Kerîm, le révolté d'El-Mehdïa 2. Il choisit aussi pour vizir Abou-Yahya, fils d'Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed [et petit-fils d'AbouHafs] 3. En 591 (1195), Abou-Yahya fit partie de l'avant-garde au combat d'El-Arca (Alarcos), journée glorieuse pour les musulmaus; il y déploya une bravoure qui excita l'admiration géné

1 Voy. ci-dessus, p. 198, note.

2 Voy. pp. 97 et 219 de ce volume.

3 Nous devons faire remarquer que l'anteur du Cartas désigne AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, non pas comme fils d'Abou-Hafs, mais comme fils d'Abou-Eekr et petit-fils d'Abou-Hafs. L'historien ErRoaïni-el-Cairouani adopte cette opinion. Ici, dans le texte arabe d'IbnKhaldoun, les manuscrits portent, par erreur, Ibn-Abd-el-Ouahed; le premier mot est de trop.

rale et il trouva le martyre sur le champ de bataille. Pour cette raison, ses descendants s'appellent encore aujourd'hui les fils du martyr (Beni-'s-Chehid). Ils habitent maintenant la ville de Tunis.

En 601 (1204-5), En-Nacer entra en Ifrikïa sur la nouvelle qu'Ibn-Ghanîa s'était emparé de Tunis, et, après avoir repris cette ville, il alla mettre le siége devant El-Mehdïa. Voyant que les Arabes nomades avaient pris les armes pour le combattre et qu'ils s'étaient ralliés autour d'Ibn-Ghania afin de bloquer la ville de Cabes, il expédia contre ces brigands une armée almo- . hade commandée par Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed, fils du cheikh Abou-Hafs. En 602, ce général attaqua Ibn-Gbanîa à Tadjera, localité des environs de Cabes, et lui tua son frère Djobara et une foule de partisans. Il fit aussi un grand nombre de prisonniers et délivra de captivité le gouverneur de Tunis, le cid Abou-Zeid, fils de Youçof, fils d'Abd-el-Moumen. Il rejoignit ensuite En-Nacer qui pressait le siége d'El-Mehdïa et contribua, par son arrivée, à la chute de cette place forte. Ce fut là un des services qui portèrent En-Nacer à lui confier le gouvernement de l'Ifrîkia.

ABOU-MOHAMMED, FILS DU CHEIKH ABOU-HAFS, EST NOMMÉ GOUVERNEUR DE L'IFRÎKÏA. -ORIGINE DE LA DYNASTIE HAFSIDE.

Ibn-Ghania et ses partisans venaient d'envahir l'Ifrîkïa, de s'emparer des principales villes de ce pays, d'occuper Tunis à la suite d'un siège et d'en faire prisonnier le gouverneur, le cid Abou-Zeid, quand En-Nacer quitta le Maghreb en 601 (1204–5), comme nous l'avons déjà mentionné, et enleva au chef almoravide toutes ses conquêtes. Après avoir fait investir El-Mehdïa, où Ibn-Ghania avait laissé ses fils et ses trésors, il plaça le cheikh Abou-Mohammed à la tête d'une armée et l'envoya contre ce chef qui était parti, avec ses bandes, pour ravager les environs de Cabes. L'officier hafside attaqua les insurgés à Tadjera, localité des environs de Cabes, et leur enleva tout, tentes,

bagages et troupeaux. Dans cette rencontre, il tua beaucoup de monde et fit de nombreux prisonniers. Il délivra alors de leurs mains le cîd Abou-Zeid et rentra triomphant au camp qu'En-Nacer avait établi sous les murs d'El-Mehdia. La garnison de cette place fut atterrée en voyant arriver Abou-Mohammed avec tant de butin et de captifs, et, cédant au désespoir, elle s'empressa de capituler. Cette conquête achevée, En-Nacer repartit pour Tunis où il passa une année entière. Ce fut vers le milieu de l'an 603 (commencement de 1207) qu'il se décida à quitter cette ville. Pendant le séjour qu'il y avait fait, son frère, le cîd Abou-Ishac, qu'il avait chargé de poursuivre les rebelles et de mettre un terme à leurs dévastations, soumit les pays situés derrière Tripoli, châtia les Beni-Demmer, les Matmata et les Nefouça, menaça les territoires de Sort et de Barca et s'avança jusqu'à Soueica-Ibn-Metkoud. Ibn-Ghanîa s'enfuit dans le désert de Barca et, pendant quelque temps, il ne fit plus parler de lui. Le cîd reprit alors la route de Tunis.

En-Nacer, voyant enfin son autorité établie en Ifrîkïa, étendit sur les habitants de ce pays l'abri de sa protection et fit ses préparatifs pour rentrer en Maghreb. Convaincu qu'après son départ, Ibn-Ghanîa ne manquerait pas d'y faire irruption et que cette province ne pourrait jamais recevoir de prompts secours à cause de la distance qui la séparait de Maroc, il sentit la nécessité d'y laisser un homme habile en qualité de lieutenant et de viceroi. Son choix s'arrêta sur Abou-Mohammed, fils du cheikh AbouHafs, officier que la dynastie d'Abd-el-Moumen aurait difficilement négligé, vu la haute position qu'il occupait, ainsi que son père, dans l'empire des Almohades. Il s'était aussi rappelé que la cause de sa famille n'aurait jamais triomphée sans l'appui du cheikh Abou-Hafs, et que son propre père, El-Mansour, l'avait nonseulement recommandé, lui et ses frères, à la protection d'AbouMohammed, mais qu'il avait toujours chargé ce cheikh de présider à la prière du matin quand il se voyait lui-même empêché de remplir ce devoir. Mu par ces considérations, auxquelles d'autres circonstances venaient d'ajouter un nouveau poids, il fit prévenir Abou-Mohammed de ses intentions et eut ensuite un

entretetien avec lui afin de vaincre son hésitation et le décider à accepter la charge importante qu'il lui destinait. Dans cette conference, Abou-Mohammed pria avec instance d'être dispensé d'une telle mission; mais, ayant ensuite reçu la visite de Youçof, fils d'En-Nacer, qui vint le solliciter de la part de son père, il se considéra tellement honoré par cette marque de condescendance qu'il donna son consentement à ce qu'on lui demandait. Il y mit, cependant, les conditions suivantes : qu'au bout de trois ans, quand il aurait rétabli l'ordre dans l'Ifrîkïa, il lui serait permis de rentrer en Maghreb; qu'il choisirait lui-même ses officiers parmi les chefs almohades et qu'il devait exercer, sans contrôle, le droit de nommer et de destituer les fonctionnaires publics. Ces conditions ayant été acceptées, on le proclama gouverneur de l'Ifrikïa et l'on dressa, au milieu des Almohades, l'étendard de son antorité. En-Nacer partit alors pour le Maghreb, et Abou-Mohammed, qui l'avait accompagné jusqu'à Bedja, rentra à Tunis et y tint une séance solennelle en qualité de gouverneur. Cette céromonie eut lieu dans la citadelle, le samedi, 10 choual 603 (mai 4207). Il prit ainsi en main le haut commandement et choisit pour secrétaire d'état Abou-Abd-Allah-MohammedIbn-Ahmed-Ibn-Nakhil.

Peu de temps après ces événements, Ibn-Ghanîa reparut dans les environs de Tripoli, rassembla ses amis et partisans, les Arabes soleimides et hilaliens, ainsi que les Douaouida commandés par Mohammed, fils de Masoud-el-Bolt, et reprit le cours de ses brigandages. En l'an 604 (4207-8), Abou-Mohammed marcha contre lui à la tête des troupes almohades, et, soutenu par les Mirdas et les Allac, tribus soleimides de la branche des Beni-Auf qu'il avait attirés dans son parti, il s'avança jusqu'à Chebrou et livra bataille aux insurgés. Dans cette journée, les deux armées déployèrent une grande bravoure; mais, vers le soir, les troupes d'Ibn-Ghanîa reculèrent en désordre. Un riche butin devint la proie des Almohades et de leurs alliés arabes, qui s'étaient tous précipités à la poursuite des fuyards. Ibn-Ghanîa fut blessé dans ce conflit et courut se réfugier dans le fond du Désert, sa retraite ordinaire. Abou-Mohammed rapporta à Tunis le butin

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