daient la dévastation et tenaient la ville de Cairouan étroitement bloquée; sachant aussi que Mouça-Ibn-Yahya-el-Mirdaci, le rìahide, s'était rendu maître de Bedja, prit conseil d'AbouHafs, d'Abou-Ibrahîm et d'autres grands cheiks almohades, et forma la résolution d'envahir ce pays. Sorti de Maroc vers la fin de l'an 546 (mars 1152), sous prétexte d'aller combattre les chrétiens, il se rendit à Ceata, et, quand il eut reconnu que les affaires de l'Espagne marchaient à son gré, il fit courir le bruit qu'il allait s'en retourner à Maroc. En quittant Ceuta, il prit la route de Bougie et, à la suite d'une marche très-rapide, il réussit à surprendre et occuper la ville d'Alger. De là, il emmena El-Hacen-Ibn-Ali, ex-seigneur d'El-Mehdïa, qui était sorti au-devant de lui, et, ayant ensuite mis en déroute une armée sanhadjite qui était venue le rencontrer à Omm-el-Alou1, il pénétra, le lendemain, dans la ville de Bougie. Yahya-Ibn-el-Aziz eut à peine le temps de s'embarquer avec ses trésors dans deux navires qu'il tenait toujours prêts en cas de revers, et [alla prendre terre à Bône d'où] il se rendit à Constantine, ville qu'il remit plus tard à Abd-el-Moumen. Ayant ainsi mérité la clémence du vainqueur, il obtint l'autorisation d'aller vivre à Maroc sous la protection et aux frais du 1 Le texte arabe, tant imprimé que manuscrit, porte bi-amr el-Alou (par l'ordre d'El-Alou), mots qui ne donnent ici aucun sens. Je considère l'r du mot amr comme n'étant autre chose que la queue de la lettre précédente et j'obtiens la leçon bi-Omm-el-Alou, c'est-à-dire à l'endroit nommé Omm-el-Alou. D'après les indications d'Ibn-Khaldoun, on voit que cet endroit était à environ une journée de Bougie, sur la route d'Alger et de Milîana. Voyez, ci-devant, p. 90, où j'avais supposé qu'il était situé sur le Chelif, surtout à cause des mots du texte, « que les Berbères voulaient le faire passer la rivière» (idjaza). Mais, en supprimant le point qui, en arabe, distingue le z de l'r, on a la leçon idjara qui signifie protéger. Cette correction fait disparaître toute idée de rivière et me paraît être la bonne. L'auteur du Cartas dit qu'il se rendit, d'abord, à Gènes et, ensuite, à Constantine. Dans le Baïan, il est dit qu'il débarqua à Bone. Dans le texte imprimé du Cartas, on a mis deux fois, par erreur, Casta pour Cosantina. gouvernement almohade. Ce fut dans cette ville qu'il finit ses jours. A la suite de cette conquête, Abd-el-Moumen plaça son fils Abd-Allah à la tête d'une armée almohade et l'envoya contre El-Calâ, forteresse où se trouvait un corps sanhadjien sous les ordres de Djouchen, fils d'El-Azîz [et frère de Yahya]. Cette place fut emportée d'assaut et livrée aux flammes; Djouchen et toute la garnison furent passés au fil de l'épée, et dix-huit mille cadavres, dit-on, attestèrent la fureur des vainqueurs. Ce succès procura aux Almohades un butin énorme et une foule de pri sonniers. A cette nouvelle, les Arabes de l'Ifrikïa, tels que les Athbedj, les Zoghba, les Rîah et les Corra1, allèrent camper sous les murs de Bedja d'où ils partirent pour Setîf après avoir pris l'engagement de soutenir leur roi, Yahya-Ibn-el-Azîz. Abd-Allah, fils d'Abd-el-Moumen, obtint de son père un corps de renforts et marcha à leur rencontre. Ce monarque était déjà en route pour rentrer à Maroc, et il se trouvait dans la ville de Metîdja, quand on vint lui apprendre le mouvement des Arabes. Les deux partis en vinrent aux mains près de Setîf et continuèrent à se battre pendant trois jours; mais, enfin, les Arabes reculèrent en désordre, après avoir perdu beaucoup de monde, et ils laissèrent leurs troupeaux, leurs femmes et leurs enfants au pouvoir des Almohades. Rentré à Maroc, l'an 547 (1152-3), Abd-el-Moumen reçut une députation composée des principaux chefs arabes de l'Ifrîkïa, et, ayant accueilli leur soumission, il les chargea de dons et les renvoya chez eux. Quelque temps après, il donna le gouvernement de Fez à son fils, le cîd Abou-'l-Hacen, et plaça auprès de lui Youçof-Ibn-Soleiman en qualité de vizir; à son fils, le cîd Abou-Hafs, il assigna le gouvernement de Tlemcen avec AbouMohammed-Ibn-Ouanoudîn pour vizir. Le cîd Abou-Saîd, un autre de ses fils, reçut le gouvernement de Ceuta avec Mohammed-Ibn-Soleiman pour vizir, et, un quatrième fils, le cîd Les manuscrits et le texte imprimé porte Casra, nom inconnu. Abou-Mohammed-Abd-Allah, fut nommé au gouvernement de Bougie et eut pour visir Yakhlof-Ibn-el-Hocein. Enfin, leur frère, le cîd Abou-Abd-Allah[-Mohammed] fut désigné par son père comme héritier du trône 1. Abd-el-Azîz et Eïça, frères du Mehdi, furent profondément blessés de ces nominations; ils se rendirent à Maroc avec des pensées de trahison, gagnèrent l'appui d'une partie de la populace et pénétrèrent dans la citadelle où ils tuèrent Omar-Ibn-Tafraguin. Presqu'au même instant, le vizir Abou-Djâfer-Ibn-Atïa s'y présenta, suivi d'Abd-el-Moumen lui-même, et la sédition fut éteinte dans le sang des deux frères et de leurs complices 5. Selon le Cartas, toutes ces nominations eurent lieu en l'au 549. Dans le texte arabe imprimé, nous avons mis, par inadvertence, le mot Yahya à la place d'Eïça. Ils quittèrent Fez et prirent la route d'El-Mâden pour se rendre à Maroc, dit l'auteur du Cartas. • Abd-el-Moumen était à Salé quand il apprit l'évasion de ces deux hommes. Il envoya à leur poursuite son vizır Abou-Djâfer-Ibn-Atïa et, après le départ de cet officier, il se mit aussi en route. Dans le chapitre de l'Histoire des Hafsides qui renferme la notice de la famille Tafraguîn, notre auteur dit qu'Abd-el-Azîz et Eïça étaient fils de Ouamghar, frère du Mehdi. L'auteur du Cartas dit qu'ils étaient frères du Mehdi: mais la seconde opinion d'Ibn-Khaldoun est confirmée, jusqu'à un certain point, par la déclaration d'El-Marrekchi qui écrivit une histoire des Almohades en l'an 621, qui avait passé une bonne partie de sa vie en Espagne et qui était très-bien vu des princes de la famille d'Abd-el-Moumen. Il dit que certains parents d'Ibn-Toumert, appelés (en berbère) Aït ouamghar, c'est-à-dire, ajoute-t-il, les fils du fils du cheikh (ce qui est vrai), voulurent s'emparer du trône de Maroc auquel ils croyaient avoir plus de droits qu'Abd-el-Moumen. Secondés par une foule de partisans appartenant à leur tribu, celle des Hergha, ils combattirent à Maroc depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, quand ils furent vaincus et faits prisonuiers par le corps de troupes nègres Abd-el-Moumen arriva après la bataille et les fit mettre à mort. (The History of the Almohades by Abdo-'l-Wahid-al-Marrekochi; texte arabe, p. 166. Ouvrage important que M. Dozy a fait imprimer à Leyde en l'an 1847.) SUITE DE L'INVASION DE L'espagne. En l'an 549 (1154-5), Abd-el-Moumen apprit, à Maroc, que Yahya-Ibn-Yaghmor, gouverneur de Séville, venait de massacrer les habitants de Niebla en punition d'une trahison qui avait livré cette ville au rebelle El-Ouehbi. Insensible à leurs prières et à leurs protestations d'innocence, ce chef assouvit sa vengeance, sans se douter que sa cruauté l'exposerait au courroux du souverain almohade. Effectivement, les gouvernements de Séville et de Cordoue lui furent enlevés pour être confiés, le premier, à Abou-Mohammed-Abd-Allah-Ibn-Abi-Hafs-Ibn-Ali de Tînmelel, et, le second, à Abou-Zeid-Ibn-Igguit. Mis lui-même aux fers par Abd-Allah-Ibn-Soleiman qui vint l'arrêter par l'ordre d'Abdel-Moumen, il fut conduit à la capitale et resta aux arrêts dans sa propre maison, jusqu'à ce qu'il obtint du sultan l'autorisation d'accompagner le cîd Abou-Hafs à Tlemcen. Meimoun-Ibn-Yedder, général lemtounien, embrassa alors le parti des Almohades et leur remit la ville de Grenade. Le cîd Abou-Said, gouverneur de Ceuta, s'y transporta aussitôt en qualité de commissaire impérial et en envoya la garnison almoravide à Maroc. Il entreprit ensuite le siége d'Alméria et força les chrétiens, qui en formaient la garnison, à lui livrer la ville pour avoir la vie sauve. Le vizir Abou-Djâfer-Ibn-Atïa assista à cette capitulation. Bien que les chrétiens eussent reçu des secours d'Ibn-Merdenich, seigneur de l'Espagne orientale, et du roi chrétien lui-même, ils s'étaient vus dans l'impossibilité de prolonger leur résistance. En l'an 551 (1156), les cheikhs de Séville vinrent prier Abdel-Moumen de leur donner pour gouverneur un de ses fils. Le cîd Abou-Yacoub, qu'il leur désigna pour remplir ce poste, commença sa carrière par soumettre El-Ouehbi, chef qui se maintenait indépendant à Tavira. Le vizir Abou-Djâfer prit part à cette expédition. Le même prince occupa ensuite les états d'Ibn-Ouézîr et d'Ibn-Cassi; puis, en l'an 552, il força Tachefin, général lemtounien, à lui livrer Mertola, ville qu'Ibn-Cassi avait rendue aux Almoravides. A la suite de ces conquêtes, il rentra à Séville et laissa partir Abou-Djâfer pour Maroc. Ce fut alors que celui-ci tomba en disgrâce et fut mis à mort. Il eut pour successeur dans le vizirat Abd-es-Selam-el-Koumi, qui dut sa nomination aux liens de mariage qui attachaient sa famille à celle d'Abd-el-Moumen. SUITE DE LA CONQUÊTE DE L'IFRIKÏA. En l'an 553 (1458), Abd-el-Moumen se rendit à Salé avec l'intention de passer en Espagne et de combattre les chrétiens. Cette résolution lui avait été inspirée par une nouvelle bien fâcheuse : son fils, le cîd Abou-Yacoub, venait d'être défait par le roi chrétien, sous les murs de Séville, et plusieurs cheikhs et docteurs almohades, ainsi qu'un grand nombre de chefs indépendants, tels qu'Ibn-Azzoun et Ibn-el-Haddjam, avaient trouvé le martyre sur le champ de bataille. Ayant alors appris que le royaume d'Ifrîkïa venait de s'écrouler et que les chrétiens avaient occupé El-Mehdïa, il rassembla à Salé les divers corps de son armée et partit pour ce pays, après avoir désigné le cheikh Abou-Hafs comme son lieutenant en Maghreb et nommé Youçof-Ibn-Soleiman au gouvernement de Fez. Arrivé en Ifrikïa après une marche très-rapide, il assiégea les chrétiens de la Sicile dans El-Mehdïa et les obligea à capituler 2. A la suite de cette conquête, qui eut lieu en 555, il leur enleva Sfax, Tripoli et les autres villes maritimes de cette contrée. Déjà, pendant le siége d'El-Mehdïa, il avait envoyé son fils, Abd-Allah, contre Cabes, ville qui était tombée au pouvoir des Beni-Kamel, famille dehmano-riahide. Le jeune prince s'empara de Cabes, enleva Cafsa aux Beni-'l-Ouerd, Zerâ aux BeniBerougcen, Tebourba à Ibn-Allal, la montagne de Zaghouan aux Beni-Hammad-Ibn-Khalifa, Sicca Veneria aux Beni-Eïad et Ici l'auteur se contredit. Voy. ci-dessus, p. 488. 2 Voy. les extraits d'Ibn-el-Athîr dans l'Appendice n° v. T. II. 13 |