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Tinmelel. Les débris de l'armée almoravide s'enfermèrent dans Oran avec les habitants de la ville; mais, trois jours après, l'eau vint à leur manquer et ils se rendirent à discrétion. Une bande de fuyards, dans laquelle se trouvèrent Abou-Bekr-Ibn-Ouîhi, Sir-Ibn-el-Haddj, Ali-Ibn-Filou et d'autres chefs, porta à Tlemcen la nouvelle de la mort de Tachefin et entraîna dans sa fuite les troupes lemtouniennes que l'on avait laissées dans cette ville. Après leur départ, Abd-el-Moumen y arriva et passa au fil de l'épée la population de Tagraret. Les habitants de ce faubourg lui avaient déjà envoyé une soixantaine de leurs notables, mais toute cette députation avait été massacrée en route par Isliten, chef abd-el-ouadite. Tagraret fut livré à la fureur du soldat, parce que la plupart des habitants étaient almoravides (Djichem); mais Tlemcen éprouva la clémence du vainqueur. Abd-el-Moumen séjourna sept mois dans sa nouvelle conquête, et, en partant, il y installa, comme gouvernenr, Soleiman-Ibn-MohammedIbn-Ouanoudîn, ou, selon un autre récit, Youçof-Ibn-Ouanoudîn.

Au rapport d'un autre historien, il tint la ville de Tlemcen constamment assiégée et reçut, pendant cette opération, la nouvelle de plusieurs victoires remportées par ses troupes et les hommages des habitants de Sidjilmessa; puis, en l'an 540 (1445-6), quand il eut pris la résolution de rentrer en Maghreb, il chargea Ibrahim-Ibn-Djamê d'en continuer le siége.

Arrivé alors sous les murs de Fez, où Yahya-es-Sahraouï s'était refugié avec les troupes almoravides qui venaient d'évacuer Tlemcen, il y établit son camp afin d'en faire le siége, et il expédia, en même temps, un détachement contre Miknaça [Mequinez]. Peu de temps après, il partit lui-même pour cette dernière ville, après avoir laissé devant Fez un corps d'armée sous les ordres d'Abou-Hafs et d'Abou-Ibrahîm, deux des dix principaux disciples du Mehdi. Le siége de Fez avait duré sept mois, quand Ibn-el-Djîani, mocherref [ou prévôt] de la ville, y intro

Ici, il assigne une autre date à cet événement, ayant suivi l'autorité des mêmes documents dont l'auteur du Cartas s'était servi. El-Merrakchi fait mourir Tachefin en l'an 540.

duisit les Almohades pendant la nuit. Es-Sahraouï s'enfuit à Tanger et passa en Espagne pour y trouver Ibn-Ghania.

Abd-el-Moumen assiégeait encore la ville de Mequinez, quand on vint lui annoncer la prise de Fez. Il confia aussitôt à YahyaIbn-Yaghmor le soin de réduire Mequinez, et étant allé établir Ibrahîm-Ibn-Djamê dans Fez, il prit la route de Maroc.

Après la conquête de Tlemcen, Ibn-Djamê en était parti pour rejoindre Abd-el-Moumen sous les murs de Fez, mais, en passant par Guercif, il fut dépouillé, lui et les siens, par El-MokhaddebIbn-Asker, émir des Beni-Merîn. Abd-el-Moumen écrivit aussitôt à Youçof-Ibn-Ouanoudîn, gouverneur de Tlemcen, lui ordonnant d'envoyer un corps de troupes contre ces bandits. Abd-elHack-Ibn-Menaghfad, commandant de cette expédition et cheikh des Beni-Abd-el-Ouad, châtia les Beni-Merîn et tua leur chef,

El-Mokhaddeb.

Pendant qu'Abd-el-Moumen se rendait de Fez à Maroc, il reçut une députation des habitants de Ceuta qui était venue lui prêter le serment de fidélité, et il leur donna pour gouverneur un cheikh hintatien nommé Youçof-Ibn-Makhlouf. Parvenu jusqu'à Salé, il y pénétra après une légère escarmouche, et alla se loger dans la maison d'Ibn-el-Achera. En reprenant la route de Maroc, il chargea Abou-Hafs de porter la guerre chez les Berghouata. Ce chef accomplit sa mission avec une grande promptitude, leur infligea un châtiment sévère, et alla ensuite rejoindre son maître. Ils arrivèrent ensemble aux environs de Maroc et y trouvèrent une foule de Lamta qui étaient venus s'y réfugier. Les Almohades tuèrent un grand nombre de ces nomades, et, après leur avoir enlevé bagages, femmes et troupeaux, ils mirent le siége devant la ville. Les Almoravides avaient alors pour émir un fils d'Ali-Ibn-Youçof, nommé Ishac, auquel ils venaient de confier le commandement, en apprenant la mort de son frère1 et

Le texte arabe porte son père. Ibn-Khaldoun nous a déjà appris qu'Ishac, fils d'Ali, remplaça sur le trône son neveu Ibrahîm, fils de Tachefin, fils d'Ali. Ibn-el-Athir s'accorde avec notre auteur en représentant Ishac comme très-jeune. (Voy. son chapitre sur la prise de Maroc, dans l'Appendice n° v.)

malgré son extrême jeunesse. Fatigués, enfin, par un blocus de sept mois et réduits à la dernière extrêmité par le défaut de vivres, ils tentèrent une sortie générale contre les assiégeants. Ceux-ci repoussèrent l'attaque et, les poursuivant l'épée dans les reins, ils pénétrèrent avec eux dans la ville. Maroc fut emporté d'assaut vers la fin du mois de Choual 544 (mars-avril 1147). Tous les Almoravides furent massacrés sans pitié, mais Ishac parvint à se réfugier dans la citadelle avec les gens de sa maison et les chefs de son peuple. S'étant ensuite rendu à discrétion, il fut conduit devant Abdel-Moumen et massacré sous les yeux de ce monarque. L'auteur principal de ce forfait fut AbouHafs-Ibn-Ouagag. Les Almohades ayant ainsi fait disparaître les derniers restes de la puissance almoravide, étendirent leur autorité sur le Maghreb entier.

A la suite de ces événements eut lieu la révolte de MohammedIbn-Abd-Allah-Ibn-Houd. Cet imposteur, natif de Salé et sorti de la lie du peuple, s'arrogea le titre d'El-Hadi (le directeur) et prit les armes dans la province de Sous. Il fit sa première apparition à Ribat-Massa où il rassembla de tous côtés une foule de mauvais sujets et s'attira les regards de tous les malfaiteurs qui habitaient les contrées voisines. Ayant converti à ses doctrines les habitants de Sidjilmessa et du Derâ, ainsi que les tribus de Dokkala, Regraga, Temsna et Hoouara, il parvint à infecter de ses erreurs le Maghreb entier. Un corps almohade qu'Abd-elMoumen fit marcher contre lui, sous les ordres de Yahya-Anguemar, le même chef messoufite qui avait abandonné TachefînIbn-Ali, fut obligé de battre en retraite et de rentrer auprès du souverain. Le cheikh Abou-Hafs-Omar, accompagné de plusieurs autres chefs almohades, partit alors pour Massa, afin d'étouffer l'insurrection pendant qu'Abd-el-Moumen faisait les préparatifs d'une nouvelle expédition. Le rebelle marcha au-devant des Almohades à la tête de soixante mille fantassins et sept cents cavaliers, mais toute cette multitude fut culbutée et laissa son chef et beaucoup d'autres morts sur le champ de bataille. Cette rencontre eut lieu dans le mois de Dou-'l-Hiddja 541 (mai 1147). Le cheikh Abou-Hafs donna connaissance de cette bonne nou

velle à Abd-el-Moumen par une lettre dont la rédaction avait été confiée à Abou-Djâfer-Ibn-Atïa.

Abou-Ahmed-Atïa, père de cet écrivain célèbre, avait été secrétaire d'Ali-Ibn-Youçof et de Tachefîn, fils d'Ali. Tombé entre les mains des Almohades, il dut la vie à la clémence d'Abdel-Moumen; mais, ayant tenté de s'évader à l'époque où ce monarque se tenait devant Fez, il fut ramené et mis à mort malgré ses supplications. Son fils Ahmed avait servi Ishac-Ibn-Ali à Maroc, en qualité de secrétaire; mais il fut compris dans le nombre de prisonniers auxquels le vainqueur accorda une amnistie. Il accompagna Abou-Hafs dans cette expédition et, d'après le désir de ce chef, il écrivit à Abd-el-Moumen l'annonce de la victoire remportée par les Almohades. Le prince trouva cette lettre si bien tournée qu'il en prit l'auteur pour secrétaire, et, ayant ensuite reconnu tout le mérite de son protégé, il l'éleva au rang de vizir. Ahmed fit alors sentir son autorité jusqu'aux bornes de l'empire; it commanda à des corps d'armée, il amassa des trésors qu'il répandit ensuite avec profusion, et parvint, enfin, à un degré de faveur auprès du sultan que personne, sous cette dynastie, n'atteignit jamais depuis. A la fin cependant, les scorpions de la délation glissèrent jusqu'à la couche où il s'était mollement étendu et lui donnèrent la mort : on sait que le khalife [Abd-el-Moumen] le destitua en l'an 553 (1158) et le fit mourir dans la prison où il l'avait relegué.

Le cheikh Abou-Hafs étant rentré de l'expédition de Massa, se reposa quelques jours à Maroc et marcha ensuite contre les populations du Deren qui avaient embrassé le parti de l'imposteur. Dans les montagnes de Nefis et de Hilana, il tua tant de monde et fit tant de prisonniers que le reste des habitants s'empressa de faire sa soumission. Dans une nouvelle expédition, il marcha de Maroc contre les Heskoura et les massacra jusque dans leurs châteaux et places fortes. Ensuite, il alla s'emparer de Sidjilmessa et, revenu à Maroc, il entreprit une troisième campagne contre les Berghouata.

Cette fois-ci, la guerre traîna en longueur et finit par la déroute des Almohades. Le feu de la révolte êclata de nouveau

dans le Maghreb; les habitants de Ceuta massacrèrent leur gouverneur, Youçof-Ibn-Makhlouf de Tinmelel, ainsi que tous les Almohades qui se trouvaient avec lui. Le cadi Eïad passa en Espagne et ayant trouvé à Algésiras Yahya-Ibn-Ali-Ibn-Ghania, le chef messoufite qui commandait dans ce pays, il lui demanda un gouverneur pour la ville de Ceuta. Ibn-Ghanta le renvoya en Afrique avec Yahya-Ibn-Abi-Bekr-es-Sahraouï, le même chef qui s'était échappé de Fez lors du siége de cette ville par Abdel-Moumen et qui s'était ensuite rendu de Tanger à Cordoue, pour y joindre le prince almoravide. Arrivé à Ceuta avec Eïad, Es-Sahraouï alla soutenir ses nouveaux alliés, les Berghouata, les Dokkala et d'autres tribus qui venaient de se révolter à la suite de la défaite des Almohades.

En l'an 542 (1447-8), Abd-el-Moumen marcha en personne contre eux, pénétra dans leur pays, brisa leur puissance, les força à la soumission et les obligea à rompre avec Es-Sahraouï et les Lemtouna. Rentré à Maroc, après une absence de six mois, il écouta les sollicitations de plusieurs chefs de tribu et expédia à Es-Sahraouï des lettres de pardon. La tranquillité se rétablit alors dans tout le Maghreb. Ceuta rentra dans l'obéissance et Salé vit pardonner ses habitants et raser ses fortifications.

INVASION DE L'ESPAGNE PAR LES ALMOHADES.

Abd-el-Moumen tourna alors ses regards vers l'Espagne, pays dont les Almoravides venaient d'apprendre la mort de Tachefîn-Ibn-Ali, le siége de Fez par l'armée almohade et la révolte du commandant de leur flotte, Ali-Ibn-Eïça-Ibn-Meimoun. Cet officier s'était rendu au camp d'Abd-el-Moumen, sous les murs de Fez, et rentré à Cadix, d'où il était parti et dont il s'était

1 Dans la traduction anglaise de l'Histoire des dynasties musulmanes de l'Espagne, par El-Maccari, v. II, Appendice, pp. XLIX et suivantes, M. de Gayangos a donné une traduction des chapitres dans lesquels Ibn-Khaldoun raconte les expéditions des Almohades dans ce pays.

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